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La peur de l’indifférenciation des sexes

CHAPITRE IV MODÈLE DE L’HARMONIE NATURELLE

4.2 La peur de l’indifférenciation des sexes

Ces derniers propos, exprimés par des répondants et des répondantes, laissent transparaître la peur de la fusion, de l’indifférenciation des sexes, et même l’avènement d’une domination féminine. Du côté des jeunes femmes, les discours semblent exprimer une forme de culpabilité reliée au fait qu’elles appartiennent au même groupe social que des femmes qui ont transgressé les normes de genre, celles qui ont gravi les échelons du pouvoir par exemple :

On prend plus de place dans la société, on est en train de leur faire ce qu’ils nous ont fait, tu sais. J’ai l’impression qu’il y a une espèce de retour de balancier qui n’est pas sain. Avant qu’on retrouve le milieu. On a peut-être trop longtemps été inférieures à l’homme, et quand on a pris notre pouvoir, bien on l’a pris! Et là, on ne veut pas le laisser aller au point que, j’ai l’impression qu’on est en train de les émasculer, on ne leur laisse pas leur place. […] Et je suis comme, bien là, ce n’est pas correct! Ça je trouve que c’est méchant... » (Élizabeth).

Du côté des jeunes hommes, certains expriment la peur de la surpuissance des femmes, car elles contrôleraient déjà la sphère familiale et elles seraient en train d’investir la sphère politique. Adam

évoque par exemple que la persévérance scolaire des femmes mènera à un siècle de domination intellectuelle des femmes :

Bien les filles ont beaucoup plus d’aisance à l’école que les gars. Et dans les milieux universitaires, on voit de plus en plus de filles que de gars. Donc à quelque part, je pense que les postes de direction, de plus en plus, les mieux scolarisés ça va être les filles, donc il va avoir un changement à ce niveau-là. […] Si par exemple la tendance continue, et on voit qu’il y a de moins en moins de gars qui rentrent à l’université et si c’est juste des filles... Bien au lieu d’assister à un siècle des lumières où c’était les hommes qui étaient les philosophes qui réussissaient, bien on va assister vraiment à un siècle où c’est les femmes qui vont devenir les intellectuelles. (Adam)

Dans ce contexte, le féminisme est vu comme inutile ou comme une menace : « Là je trouve que c’est pas pire là quand même, mais j’ai peur que ça aille plus loin que ça, que l’homme perde beaucoup de pouvoir par rapport à la femme. […] je sais que des fois je vois des exemples dans les médias, que je me dis "ouin là elles se battent pour, pas juste pour l’égalité". Les féministes je trouve qu’elles se battent pour gagner du pouvoir » (Julien). C’est sur cette base que plusieurs sympathisent avec les hommes – surtout les pères séparés- victimes des abus du féminisme, et entrevoient le rétablissement de « l’équilibre » par les mobilisations masculinistes. Au mieux, les féministes représentent un mal nécessaire, malgré qu’elles soient identifiées à des « extrémistes ». Martin, dont la conjointe s’identifie en tant que féministe, déclare :

Je pense qu’ils sont utiles dans le sens où ça prend des extrêmes dans la vie pour tendre, pour avoir « ok, il se passe ça, ça, ça. Ça n’a pas d’ostie de bon sens ». Il y a des affaires qui marchent, mais il y en a tellement qui ne marchent pas. Mais on va prendre ce qui est de mieux et on va faire un équilibre tu sais. […] Alors l’extrémisme, ça a son bon côté, mais ça a son mauvais côté aussi. En fait le nuisible c’est le côté extrémiste de la chose. Autant il est utile pour faire changer les choses, pour faire bouger, mais autant il est nuisible parce qu’il y a du monde que tout ce qu’ils veulent, c’est de se faire dire quoi faire. (Martin)

Les répondants entretiennent une pensée très clivée au sujet de deux représentations des féministes : celles du passé sont qualifiées de courageuses alors que les féministes actuelles sont vues comme des « enragées ». Les jeunes affirment unanimement que le combat mené (avant leur naissance) par les femmes était légitime, car ils considèrent qu’elles n’avaient pas d’autre possibilité que d’être confinées dans le rôle de mère à la maison. Plusieurs s’imaginent que les femmes sont passées du statut de soumises à leurs maris à l’égale des hommes. Se basant sur cette image, ils énumèrent les libertés qu’elles ont acquises : d’abord le droit de voter, d’occuper un emploi bien rémunéré, d’aller à l’université, de ne pas se marier ou de ne pas avoir d’enfants. Pour les répondants souscrivant au

principe de la complémentarité entre les sexes, le féminisme est un mouvement social positif, pour autant qu’il ne brouille pas les différences entre les sexes :

Les groupes féministes ont vraiment amené l’égalité entre la femme et l’homme, et aujourd’hui, je pense que ça a beaucoup amené l’homme à se compléter vis-à-vis la femme. Tu sais à trouver en elle une complice de sa vie, beaucoup plus qu’une subordonnée. Je pense que vraiment les mouvements féministes ont amené l’eau au moulin dans notre société pour nous aider justement à éradiquer les inégalités et à promulguer justement les différences, et que c’était bon d’avoir des différences, et qu’elles étaient capables autant que nous. (Philippe)

Pour la quasi-totalité des jeunes rencontrés, les enjeux féministes de l’heure leur sont étrangers et le féminisme n’est saisissable que dans sa forme historique, celle « du bon vieux temps ». Tout ce qui vient après est automatiquement étiqueté abusif : « Dans le fond le féminisme à l’époque et au départ, c’était vraiment pour arriver à quelque chose de plus équitable entre les droits des hommes et des femmes, en tout cas c’est comme ça que je le perçois. Ça, c’était bien et je n’ai aucun problème avec ça. Là quand on tombe dans l’excès par contre, c’est peut-être là que c’est plus difficile » (Cassiopée).