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L’épanouissement des mères et des travailleuses

CHAPITRE V – SOUS-MODÈLES DE L’ÉQUITÉ ET DE L’ÉGALITÉ DANS LA

5.2 Sous-modèle de l’égalité dans la différence

5.2.3 L’épanouissement des mères et des travailleuses

Le principe d’égalité auquel les participants adhèrent repose sur la volonté d’une part, d’assurer la stabilité de l’unité familiale en valorisant le rôle de mère, et d’autre part de favoriser l’épanouissement des femmes dans la sphère professionnelle.

La figure de la « bonne mère » apparaît comme un idéal normatif très puissant. Les jeunes critiquent la survalorisation du travail rémunéré par rapport à l’expérience de la maternité :

Quand tu travailles à temps plein admettons, je ne vois pas comment tu peux vraiment avoir des interactions significatives avec tes enfants. […] Je comprends que ça peut être difficile de sacrifier sa carrière, même momentanément, pour les enfants. C’est difficile de faire ça, tu sais. Moi je le fais le choix, et il y a des jours que je trouve ça plate mais, tu sais, il faut voir ce qu’on peut aller chercher de positif dans la maternité. Je pense que ce n’est pas vraiment valorisé dans la société, ce que ça peut nous apporter. Juste notre rôle de parent comme tel, tu sais le rôle de mère pour la femme, et

le rôle de père pour l’homme. Ça c’est moins problématique on dirait le rôle du père, mais la mère, ça veut dire que, pas nécessairement que tu sacrifies ta carrière au complet, parce que tu peux toujours travailler à temps partiel. […]

Q : Donc, être une bonne mère, ça veut dire sacrifier une partie de sa carrière, de sa vie professionnelle?

R : Je pense qu’il y a plusieurs choses qui définissent une bonne mère, mais je pense ça en fait partie. (Janick)

Tel qu’analysé dans le chapitre portant sur le modèle de l’harmonie naturelle, ces jeunes valorisent la place prépondérante de la mère auprès des enfants, sur la base des « lois de la nature ». Représentée comme une expérience difficilement conciliable avec un emploi à temps plein, la maternité leur apparaît problématique, d’autant plus dans un contexte de travail non traditionnel et compétitif. S’appuyant sur ce que vivent des collègues et amies, Cassiopée, ingénieure, dénonce le risque de mise à l’écart d’une femme qui se retire du marché du travail pour le congé de maternité : « C’est difficile pour nous en tant que femme de partir un an du marché du travail, de revenir, de se faire remplacer, puis d’essayer de retrouver sa place une fois qu’on est revenues. Ça l’a beau être pour qu’on soit plus longtemps avec les enfants, ça l’a plein d’avantages, mais ça l’a quand même des côtés contre parce que le gars qui va partir, il va prendre cinq semaines, deux mois, trois mois, il va aller en congé il va revenir, sa place va être là. Il n’a pas besoin de prouver quoi que ce soit ».

Ces jeunes n’entrevoient donc pas la possibilité de revendiquer une plus grande présence du père, notamment en divisant le congé parental ou en réclamant un plus long congé de paternité. Pour plusieurs, le dénouement de cette impasse se fait par l’adoption de lois qui prennent en compte les spécificités féminines, telles qu’un salaire pour les femmes qui élèvent leurs enfants à la maison et les allocations familiales. Philippe voit dans ces mesures une façon de rétablir l’équilibre de la société, par la valorisation du rôle de femme et de mère :

Je pense qu’on devrait vraiment se mettre sur un même pied d’égalité: dire ça c’est une femme, oui, elle est enceinte et elle va s’occuper des enfants dès la première année et c’est correct et il faut favoriser ça. […] Ça peut être au niveau de la politique, ça peut être au niveau des moeurs sociales, mais je pense vraiment que les gens doivent absolument faire en sorte que les femmes, elles se sentent bien dans leur rôle de femme. Tu sais que les femmes se sentent vraiment comme des femmes, pas comme des femmes qui vont prendre un rôle d’homme.

R : Moi je pense qu’il faut valoriser beaucoup la famille dans les liens qui l’unissent. Je pense que depuis trop longtemps on a délaissé justement la sphère familiale au profit justement de la sphère extérieure, le travail et tout ça. Et je pense que les jeunes ils en souffrent beaucoup de ça, parce qu’ils se sentent délaissés dans notre société, tu sais le taux de suicide a augmenté. (Philippe)

Si quelques-uns indiquent que la maternité constitue un frein à la progression professionnelle des femmes, d’autres se disent préoccupés par les écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Constatant les inégalités entre les emplois traditionnellement masculins et féminins, ces jeunes, surtout ceux et celles qui ont vécu des expériences en lien avec des emplois à prédominance féminine, défendent le principe d’équité salariale21. Selon Cassiopée, l’égalité entre les sexes, c’est d’abord la fin de la dévaluation des emplois féminins. Elle dénonce le système de récompenses qui veut que le salaire soit estimé en fonction de la force physique de la tâche. À l’opposé du modèle A qui évalue les salaires d’une façon utilitaire et en fonction de la valeur lucrative de l’emploi, le modèle B met de l’avant l’équivalence des catégories d’emplois féminins et masculins de valeur comparable, qui requiert un ajustement des salaires de façon à atteindre l’égalité :

Si on arrête d’associer des métiers aux femmes avec des salaires moindres, avec… Que tout le monde finisse par se rendre compte que peu importe le travail qu’on fait, ça l’a toute sa place dans la société. Alors à un moment donné ce n’est plus de dire ça c’est un métier d’hommes, il travaille plus fort alors ça va être plus récompensé que… Je trouve ça ridicule. L’égalité c’est que dans le fond les gens puissent avoir les mêmes chances, les mêmes choses, sans qu’il y ait des privilégiés de un ou de l’autre, à cause que soit c’est un métier non traditionnel, soit parce que c’est quelque chose qui est plus difficile physiquement. (Cassiopée)

Par ailleurs, si ces jeunes proégalité entretiennent des représentations mitigées du féminisme actuel, c’est qu’ils divisent le mouvement en « bon » et « mauvais » féminisme. En effet, les indésirables sont celles qui traversent la frontière du genre féminin. Quelques-un-e-s se disent ainsi irrités par les femmes qui s’affirment trop, notamment en exhibant leur volonté d’accomplir des tâches traditionnellement masculines qui mobilisent la force physique : « Il y a peut-être, je ne pense même pas que ça existe, il y a l’hyperféminisme. Si je pense, justement dans les usines, la fille qui va vouloir se prouver et qui va dire "Moi aussi je suis capable", mais justement quand il y a une limite qui est atteinte » (Joanie).

21 La Loi sur l’équité salariale, chapeautée par la Commission de l’équité salariale du Québec, repose sur le

principe du « salaire égal pour un travail différent, mais équivalent » (Commission de l'équité salariale, 2011: http://www.ces.gouv.qc.ca/commission/mission.asp).