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Homoparentalité : « Je n’ai pas de problème avec ça, mais »

CHAPITRE IV MODÈLE DE L’HARMONIE NATURELLE

4.6 Rôles parentaux : la maternité au cœur de l’ordre hétéronormatif

4.6.3 Homoparentalité : « Je n’ai pas de problème avec ça, mais »

fascinant d’aborder la question de l’homoparentalité. Ce sujet nous a inévitablement amené sur son corollaire, l’homosexualité.

La tendance dominante laisse transparaître un désaccord avec l’homoparentalité, ou du moins des réserves. Elles s’expriment souvent sous la forme suivante : « Je n’ai pas de problème avec ça » suivie d’un « mais ». La première idée qui se dégage des entrevues est celle d’un manque de modèles masculin ou féminin, dont l’enfant d’un couple homosexuel serait la victime. La deuxième idée, sous-jacente à la première, voit dans l’homoparentalité et l’homosexualité une déviance de ces mêmes modèles. Suivant le principe d’égalité des chances, les jeunes croient que le développement de l’enfant sera affecté, et, en conséquence, qu’il est préférable qu’il ait un père et une mère : « Bien ça, je crois que c’est important que ce soit encadré parce que… Pour moi, c’est vraiment important que l’enfant ait autant la présence de son père que de sa mère. Dans le cas où il y a plus de maternité ou plus de paternité, bien je pense qu’il faut qu’il y ait soit des amis importants de l’autre sexe qui prennent une place dans la famille. Des gens de l’entourage. […] Justement pour avoir une éducation qui va plus amener l’enfant à avoir un certain équilibre » (Sophie).

Divorcée de sa copine et se disant homosexuelle, Cassiopée aimerait éventuellement avoir un enfant. Considérant que sa mère a été plutôt absente durant son enfance, elle insiste sur l’importance d’entourer l’enfant d’une figure maternelle ou paternelle, selon le sexe, afin d’éviter un vide identitaire néfaste : « Je sais pas si ça peut être dommageable, mais tu sais je mettrais toutes les chances de son côté quand même ». Comme plusieurs répondants, elle croit qu’un enfant qui différencie les genres en deux catégories est une manifestation d’un besoin intrinsèque :

Ça peut faire jusqu’à un certain point, mais pour un enfant je pense que des fois ça lui prend vraiment, comme, associer gars/fille. Je prends juste admettons mon ancien petit neveu, le neveu de mon ancienne copine. Quand je suis arrivée à un moment donné, c’est comme Titi c’est une fille et Cassiopée c’est un gars. Parce que lui, ça lui prend un gars et une fille là. Et le petit pit il a environ deux ans là! Il disait « gars », puis « fille », et là c’était comme « non, non, c’est une fille aussi! », et là ça ne marchait pas là! Ça pouvait être deux matantes, mais ça devait être gars et fille, ce n’était pas… C’était vraiment comique là! (Cassiopée)

Devant ce type de réaction d’un bambin, il n’est pas surprenant que des adultes, peu importe leur sexualité, en viennent à penser qu’un mode de vie autre qu’hétérosexuel soit contre nature et indésirable. Il est sûrement moins douloureux pour une personne non hétérosexuelle d’entretenir la croyance que la différenciation provient d’un scénario enfantin, plutôt que de porter le regard sur la mise en scène générale qui l’invalide insidieusement.

Tout en évoquant l’idée d’un manque, ils et elles mentionnent, à l’instar de Julien, que même si un père se montre sensible aux enfants, « […] un homme aurait à se forcer en maudit pour apporter autant de tendresse et de valeurs plus féminines à un enfant, qu’une femme elle-même ». De plus, ces jeunes émettent des réserves en anticipant le mal-être et la confusion d’un enfant qui sera inévitablement confronté à la différence : « Un père c’est une figure aussi, paternelle. Et une mère c’est... C’est deux entités c’est... T’as le physique qui vient aussi avec. Je ne suis pas sûr qu’un enfant qui soit avec un couple d’homosexuels va se sentir comme les autres. […] il va peut-être se demander où est sa mère, des questions peut-être dans l’enfance qui peuvent être plus difficiles à cerner » (Jérôme).

Pour ces jeunes se référant au couple homme femme comme étant le résultat d’un instinct et le référant social dominant, l’homosexualité et l’homoparentalité sont des déviances. Bien que Mathieu se montre très réticent à considérer un couple de pères comme des modèles masculins, il se

montre plus ouvert à l’idée d’un couple formé par deux femmes, qui seraient plus adéquates dans l’exercice de leur rôle parental :

C’est que tu n’as pas l’autre modèle en fait. […] Est-ce que deux gais sont nécessairement des modèles masculins, ça je ne le sais pas, c’est là mon préjugé que je veux dire là. Ils ne sont peut-être pas dans la généralité de ce qu’est un garçon, autant si tu as deux gars ensemble que deux filles ensemble là... Ça dépend, parce que j’ai quand même beaucoup d’ami-e-s qui sont gais, gars ou filles... Je pense que pour les garçons, c’est vraiment pas des... Ils ne sont vraiment pas dans le pattern classique de garçons, ce sont des personnes très différentes, et je pense que ça ferait des parents freak. Alors que toutes mes amies filles qui sont lesbiennes, je pense qu’elles ont plus de répartie... C’est peut-être un préjugé aussi là. Ça c’est par rapport à ceux que je connais. Elles sont moins... à part de la société. (Mathieu)

Poursuivant son analyse sur les différences entre sexualité masculine et féminine, Mathieu attire l’attention sur la sexualité douteuse, voire fallacieuse des homosexuels :

Deux filles qui sont lesbiennes, je les crois, deux gars qui sont gais, je ne les crois pas toujours.

Q : Qu’est-ce que tu veux dire par « je ne les crois pas toujours »? Ils mentent?

R : Non, mais qu’ils sont gais. Je pense que c’est une... Premièrement la plupart des gais que j’ai connus ce sont les gars qui ont couché avec le plus de filles que je connais. Et tandis que les filles qui sont lesbiennes, elles ne couchent pas nécessairement avec des garçons.

Q : Tu veux dire qu’ils sont bisexuels?

R : Bien au minimum, oui c’est ça. Ou en fait, ce sont tellement des hommes à femmes qu’ils font à semblant d’être gais. (Mathieu)

Ainsi, Mathieu fait de l’hétérosexualité la seule sexualité considérée authentique pour les hommes. Afin de saisir l’attachement de ces jeunes aux rôles sexuels, nous leur avons demandé comment ils et elles concevraient une société dans laquelle les genres masculins et féminins seraient troubles, au point où il n’y aurait plus de tendance dominante les définissant. Découlant de la peur de l’indifférenciation des sexes, le décloisonnement des catégories de genre représente l’ultime menace au principe de la complémentarité des sexes. Parmi les répondants qui conçoivent que l’Autre sexe est attirant, car différent, et inversement que le même sexe est pareil, quelques-uns assimilent explicitement l’homosexualité à une transgression de la loi du genre. En d’autres mots, un gai est efféminé et une lesbienne est masculine. Adam, lui, voit dans l’embrouillement des frontières le

non-respect de l’ordre naturel par la perte de sens de « l’instinct reproducteur ». Ainsi, ce scénario entraînerait une catastrophe démographique qui conduirait à l’effondrement du genre humain :

En fait, c’est qu’on arriverait à un point où que tu sois intéressé-e à un homme ou à une femme, ça ne change absolument rien, parce que les deux ont une personnalité qui, un fonctionnement qui est similaire. Donc là on arriverait à un point où la reproduction perdrait son sens. Donc, ce serait juste la chute de la société, ce serait la fin! Ah oui! Parce que ce serait un point où ton instinct de reproducteur, qui fait en sorte que la société perdure, bien il te pousse autant vers les hommes que vers les femmes, parce que c’est la même chose. (Adam)

Afin que l’homoparentalité soit tolérable, Adam applique la logique de la complémentarité des sexes aux parents de même sexe, où un des partenaires doit jouer le rôle du sexe opposé. Il spécifie que le premier rôle est joué par une personnalité forte, le père, et le deuxième rôle, la personnalité faible : « Par exemple, dans le cas d’un couple de lesbiennes, la femme qui est plus autoritaire, bien va prendre admettons le rôle du père, et qu’elle va être plus slack quand il faut, mais sinon elle va poser son pied à terre, et l’autre va probablement prendre le rôle de la mère classique ».

Même si des participants présument qu’un des pères ou des mères interprètera le rôle « opposé », dans la perspective de la complémentarité des identités sexuelles, les personnes de même sexe ne sont pas dignes d’être des parents « complets ». En d’autres termes, un enfant de sexe masculin ne pourra pas s’identifier à ses mères, parce que ce sont des femmes. S’il ne peut s’identifier, il lui manquera les ingrédients essentiels à son développement pour en faire un « vrai » homme et il en pâtira sûrement : « Aussi, ma prof en psychologie de la sexualité, elle disait […] qu’une mère ne peut pas, en particulier avec les petits garçons, une mère ne peut pas créer un homme, seul le père peut créer un homme. Pas créer, mais tu sais, amener l’enfant à devenir un homme » (Janick).

Suivant cette logique, il est inévitable que des parents qui n’élèvent pas leurs enfants dans la norme hétérosexuelle deviennent des déviants. Selon ces jeunes, l’homosexualité signifie beaucoup plus qu’une pratique sexuelle. Pour les quelques-uns qui ne se réfèrent pas à la thèse de l’origine biologique de l’homosexualité, c’est dans les théories psychanalytiques que se trouvent les réponses :

La mère ne peut pas apporter à sa fille l’amour que le père va donner, le regard de dire comme « Wow, tu es vraiment belle, et je suis fier de ça, je suis fier que tu sois belle comme ça ». Je pense que la fille a besoin de savoir que la première personne qui l’a vue toute sa vie la trouve vraiment belle. Je pense qu’une fille a besoin de ça, et la

mère ne peut pas montrer ça. […] Je pense que le gars c’est pareil, mais à l’inverse. Le père ne peut pas lui dire « Bien tu es vraiment attirant pour l’autre ». Je pense que les deux ont besoin de se sentir attirés, de sentir qu’ils ont été attirés par quelqu’un d’autre de l’autre sexe, c’est important. […] De sentir qu’il est accepté par l’autre, qu’il se dise « Mon père n’est pas pareil comme moi, mais il me trouve belle, alors ça veut dire que les gens pas pareils comme moi peuvent me trouver belle », ça c’est bon à savoir. (Élizabeth)

Ainsi, les repères identitaires de père, mère, fils et fille, lorsque adéquatement mis en scène, servent à maintenir l’ordre social hétérosexuel. De plus, tous et toutes conviennent que si la mère performe le rôle du père, c’est-à-dire par exemple si elle travaille trop à l’extérieur de la maison, les enfants en souffriront13; ils conviennent aussi que l’impact sera moindre si c’est le père qui investit plus son emploi. Par ailleurs, si la mère joue « trop » son rôle maternel, quelques-unes entretiennent l’idée que cela risque d’influencer la sexualité d’un garçon, au point où il ne serait attiré que par des hommes : « […] c’est arrivé aussi que le père ne soit plus là et que la mère elle a éduqué ses enfants seule et que le gars il ait eu juste l’exemple maternel... et qu’il ait découvert qu’il soit homosexuel plus vieux tu sais. Et je pense que la société a beaucoup influencé ça.» (Myriam).

En somme, l’homosexualité et l’homoparentalité sont des phénomènes dérangeants pour qui tient à protéger l’ordre social existant. Questionnée au sujet de sa perception de l’image des hommes dans les médias, Joanie dénonce le caractère artificiel, voire non naturel, de la trop grande présence des couples homosexuels : « Je pense qu’il y a de plus en plus de présence homosexuelle. Les homosexuels sont nettement plus affichés que les lesbiennes par exemple. J’ai l’impression que dans un téléroman, il y a toujours un couple homosexuel, c’est presque rendu un stéréotype, comme pour dire qu’on les accepte tellement, qu’on en met trop, et ça n’en devient plus naturel là ».

4.7 Éducation différenciée des enfants : « un peu, mais pas