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La pensée hétéro : l'égalité dans le prisme de la différence sexuelle

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Academic year: 2021

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JANIE POUDRIER

LA PENSÉE HÉTÉRO

L’égalité dans le prisme de la différence sexuelle

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en

sociologie

pour l’obtention du grade de Maître ès arts

(M.A.)

DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

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Résumé

L’égalité, une notion abondamment utilisée dans l’espace public québécois, semble diluée dans une mer de significations. On assiste par ailleurs, depuis une dizaine d’années, à un processus de renforcement discursif de la différenciation entre les sexes, appuyé sur des théories naturalistes qui confortent les assignations sexuées. Dans un tel contexte, comment les jeunes négocient-ils les tensions entre leurs représentations de la différence sexuelle et de l’égalité? Ce mémoire tente d’élucider cette question en interrogeant les représentations sociales de l’égalité à travers le prisme des significations de l’être homme et de l’être femme. L’analyse des entretiens semi-dirigés réalisés auprès de neuf femmes et de neuf hommes a mené à la construction d’une typologie de modèles culturels mettant en scène des jeunes tantôt conformistes, tantôt acteurs du changement social. Les résultats convergent dans un premier temps vers une représentation de l’égalité structurée par le principe de complémentarité des sexes et, dans un deuxième temps, mettent en évidence des effets de l’hétéronormativité traversant les modèles culturels.

MOTS-CLÉS : égalité, jeunes, différence sexuelle, sexe, genre, sexualité, représentations sociales, hétéronormativité, Québec

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Remerciements

Réaliser un mémoire de maîtrise est comparable à terminer un marathon pour la première fois : on ne prend connaissance de l’ampleur qu’une fois le projet terminé. Si le passage du travail social à la sociologie a nécessité des années de travail acharné, il aurait cependant été impensable de franchir la ligne d’arrivée sans les encouragements de mon entourage.

Je tiens d’abord à exprimer ma reconnaissance à mes deux directrices de recherche, Andrée Fortin et Stéphanie Rousseau, qui m’ont soutenue de façon constante. Votre générosité et votre rigueur dans tous les commentaires, et ce, malgré la distance, ont grandement contribué à mes apprentissages. Merci du fond du cœur.

Je remercie également les participants qui m’ont témoigné une grande confiance en acceptant de discuter librement de la question du genre, un sujet sensible. Votre enthousiasme envers mon projet m’a touchée et m’a insufflé de l’énergie durant la rédaction de ce mémoire.

Je suis par ailleurs reconnaissante aux femmes du milieu communautaire qui m’ont inspiré ce thème de recherche. Un merci particulier à Viviane Nadeau de ConcertAction femmes Estrie, qui a, tout au long de ma démarche, montré un grand intérêt et avec qui il a été très agréable de collaborer. Je remercie également ConcertAction femmes Estrie et le Conseil de recherches en sciences humaines pour leur soutien financier.

Merci à mon père Claude, ma soeur Catherine et mes amis pour leur grande écoute, leur support moral et leur aide technique. Un merci spécial à Christine (ma « pompomgirl »), Angie (mon « Alter ego intellectuel »), Mathieu (mon « pro de la correction »), Isabelle (mon « Jedi de la métho »), ainsi qu’aux nombreuses personnes pour les discussions passionnantes qui m’ont aidé à faire progresser ma pensée.

Enfin, je dédie ce travail intellectuel à deux êtres précieux : ma mère Nicole, et mon conjoint Éric, qui ont toujours cru en moi et qui continuent de m’épauler par leur présence bienveillante.

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Table des matières

Résumé ... I Remerciements ... II Table des matières ... III Liste des tableaux et des figures...VI

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I – LA DIFFÉRENCE DES SEXES ET L’ÉGALITÉ... 3

Introduction ... 3

1.1 Des tensions entre égalité et altérité ... 3

1.1.1 Actions gouvernementales et communautaires... 5

1.1.2 Féminismes, masculinismes et anti-féminismes ... 6

1.1.3 Les jeunes et le féminisme ... 9

1.2 Représentations sociales de la différence sexuelle et de l’égalité : éléments théoriques et empiriques ... 10

1.2.1 Théorie des représentations sociales... 10

1.2.2 Cadre conceptuel : du sexe/genre à l’hétéronormativité ... 15

1.2.3 Perspectives récentes de la recherche ... 19

Conclusion ... 22

CHAPITRE II – OBJECTIFS ET MÉTHODE DE RECHERCHE ... 23

Introduction ... 23

2.1 Objectifs et question de recherche ... 23

2.2 Constitution du corpus de données ... 24

2.2.1 Technique d’entrevue ... 25

2.2.2 Justification des critères de sélection des participants ... 25

2.2.3 Recrutement des participants et déroulement des entretiens ... 27

2.3 Méthode d’analyse des données ... 29

Conclusion ... 30

CHAPITRE III - PORTRAIT DES REPRÉSENTATIONS DES DIFFÉRENCES ET RESSEMBLANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES ... 32

Introduction ... 32

3.1 Des traits de personnalité différents ... 32

3.1.1 L’émotivité ... 32

3.1.2 Des formes de communication ... 34

3.1.3 L’affirmation de soi ... 35

3.2 Sexualité ... 38

3.3 Représentations du rapport à l’emploi... 39

3.3.1 Qui s’occupera des enfants? ... 40

3.3.2 Compétences féminines au travail... 41

3.4 Les sports ... 42

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CHAPITRE IV - MODÈLE DE L’HARMONIE NATURELLE ... 44

Introduction... 44

4.1 De l’harmonie naturelle comme fondement de l’équilibre sociétal ... 47

4.2 La peur de l’indifférenciation des sexes ... 48

4.3 La perte du rôle masculin ... 50

4.4 L’éternel et l’animalité des humains ... 52

4.5 De l’autorégulation du changement social ... 56

4.5.1 La discrimination positive ... 57

4.6 Rôles parentaux : la maternité au cœur de l’ordre hétéronormatif... 58

4.6.1 Les femmes sont des mères ... 58

4.6.2 Rôles parentaux traditionnels : préserver les frontières ... 61

4.6.3 Homoparentalité : « Je n’ai pas de problème avec ça, mais… »... 65

4.7 Éducation différenciée des enfants : « un peu, mais pas trop » ... 69

4.7.1 À l’école ... 73

4.8 Travail des femmes : « l’épuration naturelle » ... 76

4.8.1 Travail domestique ... 76

4.8.2 Travail rémunéré ... 77

4.9 Politique et hautes sphères dirigeantes ... 79

4.9.1 De la transgression... 80

4.9.2 À la condition… ... 82

Conclusion ... 83

CHAPITRE V – SOUS-MODÈLES DE L’ÉQUITÉ ET DE L’ÉGALITÉ DANS LA DIFFÉRENCE... 85

Introduction... 85

5.1 Sous-modèle de l’équité dans la différence... 85

5.1.1 « On est tous inégal »... 86

5.1.2 Rapports hiérarchiques entre les sexes... 88

5.1.3 Travail des femmes... 96

Synthèse du sous-modèle A ... 100

5.2 Sous-modèle de l’égalité dans la différence ... 101

5.2.1 Principe de la dignité : « Égaux mais différents » ... 102

5.2.2 Principe du « Yin et du Yang » ... 104

5.2.3 L’épanouissement des mères et des travailleuses... 105

5.2.4 À la recherche de l’authenticité dans les médias... 108

Synthèse du sous-modèle B ... 110

Conclusion ... 111

CHAPITRE VI - MODÈLE DU DROIT À L’ÉGALITÉ ... 113

Introduction... 113

6.1 Principe d’émancipation des sexes... 114

6.1.1 Des luttes au cœur du changement ... 115

6.1.2 Rôles parentaux : nécessairement interchangeables ... 118

6.1.3 Éducation des enfants : « S’adapter à la personnalité de chacun » ... 120

6.1.4 Travail des femmes : la maternité comme handicap social ... 124

6.2 Sous-modèle de l’égalité dans la subversion ... 126

6.2.1 Principe de l’égalité à construire ... 126

6.2.2 Critique de la marchandisation du corps dans les médias ... 128

Synthèse du modèle C ... 130

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CONCLUSION GÉNÉRALE... 132

BIBLIOGRAPHIE... 138

ANNEXE 1 : Schéma d’entrevue... 149

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Liste des tableaux et des figures

TABLEAU 1: Caractéristiques sociodémographiques des répondants... 31 TABLEAU 2: Positionnement des répondants selon les modèles culturels ... 46 FIGURE 1: L’étude des significations de l’égalité à travers les représentations sociales de la différence sexuelle ... 24 FIGURE 2: Deux modèles culturels des représentations sociales de la différence sexuelle et de l’égalité ... 45

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Introduction

Aucun antisexisme n’est imaginable sans une remise en question et un travail sur ses représentations propres.

Collectif contre le publisexisme, 2009

Inspirée par l’idée de répondre à la demande sociale de certains groupes communautaires estriens, nous leur avons offert, au printemps 2009, un apport à la réflexion sur l’égalité entre les sexes en liant l’objet de notre recherche à leurs préoccupations. Les intentions de ce mémoire sont donc doubles: d’une part, établir des ponts entre la théorie et la pratique, et d’autre part, jeter un éclairage nouveau sur des problèmes que les dirigeantes de ConcertAction femmes Estrie (CAFE) jugent importants. En commun avec cet organisme, nous avons identifié des questions liées au fait que dans la population en général, et chez les travailleuses récemment embauchées dans les organismes communautaires du secteur « femmes », les jeunes n’osent pas s’identifier en tant que féministe, car ce mot a une connotation négative. Les leaders de cet organisme perçoivent un recul de la cause féministe et une montée des masculinismes. Les médias en particulier transmettent des messages qui soutiennent que le féminisme québécois a abusé de son pouvoir et a causé la dégradation des conditions de vie des hommes, dont l’identité sexuelle serait en perdition. On assiste ainsi, depuis une dizaine d’années, à un processus de renforcement discursif de la différenciation entre les sexes, appuyé sur des théories naturalistes qui confortent les assignations sexuées.

Dans le but d’orienter leur action, les intervenantes jugent pertinent de mieux comprendre les idées que les jeunes entretiennent au sujet du projet de société égalitaire porté par les mouvements féministes. En conséquence, ce mémoire visait en partie à servir de base pour l’adaptation du matériel d’animation féministe et des stratégies de mobilisation à la réalité des jeunes, conformément à l’objectif du plan triennal « Favoriser la création de la relève ». En effet, la littérature scientifique est unanime: le féminisme, ça s’apprend (Alminc, 2007; Aronson, 2003; Guindon, 1996). Le sujet de ce mémoire découle donc de la collaboration avec le regroupement politique CAFE. Il s’agit d’une recherche féministe en sociologie et il importe de spécifier d’emblée ce qu’on entend par recherche féministe. Celle-ci est « une forme d'analyse scientifique engagée de la société, ayant comme point de départ, angle d'approche privilégié et variable fondamentale, les rapports sociaux de sexe » (Dagenais, 1996, p. 11). Notre démarche, bien que pragmatique, ne repose en aucun cas sur la technique de persuasion. Il faut malgré tout rappeler que le domaine des sciences humaines est caractérisé par le fait que ce sont des humains qui étudient d’autres humains ;

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force est de reconnaître qu’il s’agit d’un processus de construction de sens intersubjectif auquel le chercheur prend part.

L’égalité, une notion abondamment utilisée dans l’espace public québécois, semble diluée dans une mer de significations. Des études antérieures ont montré qu’il est synonyme d’ambiguïté aux yeux de la population en général (Sénac-Slawinski, 2007; Surprenant, 2005). Dans un contexte où des discours contradictoires circulent sur les identités masculines et féminines, comment les jeunes se représentent-ils le concept d’égalité entre les sexes? C’est à travers les représentations de l’être femme et de l’être homme que nous avons tenté de découvrir les logiques de cette idée pour le moins complexe. La prise en compte de la distance critique à l’égard des catégories de genre a permis de mettre en scène des jeunes tantôt conformistes, tantôt acteurs du changement social. Pour répondre aux objectifs de cette recherche, la démarche qualitative s’est imposée. Nous avons choisi d’interroger neuf femmes et neuf hommes âgés de 20 à 30 ans. Leurs témoignages nous ont donné accès aux représentations sous-tendues par les mots « homme » et « femme », dont l’étendue couvre des thèmes aussi variés que les ressemblances et les différences entre les sexes, les rôles parentaux et les nouvelles formes de parentalité, l’éducation, le travail, la politique, les médias et les mouvements féministes.

Le premier chapitre présente une revue de littérature qui a servi de fondement à ce mémoire et qui met en évidence les principales théories qui encadrent notre perspective d’analyse. Le deuxième chapitre expose notre démarche de recherche et notre méthode d’analyse. Le troisième chapitre fait état des résultats en présentant les observations des jeunes en termes de différences et de ressemblances entre les hommes et les femmes. Les quatrième, cinquième et sixième chapitres sont quant à eux consacrés à l’interprétation de ces représentations, qui dégagent le sens à la lumière d’un idéal à atteindre, c’est-à-dire l’égalité.

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CHAPITRE I – LA DIFFÉRENCE DES SEXES ET

L’ÉGALITÉ

Le problème, dès lors, n'est pas tant que les femmes obtiennent moins, mais de savoir selon quel agencement cela se produit, et quelle est la lecture symbolique qui est donnée de cet agencement.

(Goffman, 2002, p. 57)

Introduction

Les conditions à l’intérieur desquelles les jeunes aujourd’hui grandissent laissent à penser que le sexisme envers les femmes a été le lot des générations précédentes. Ainsi, l’accès aux études et aux mêmes professions que les hommes, de même que l’égalité de statut juridique, sont des éléments indiquant que l’égalité entre les sexes est désormais acquise (Neveu & Guionnet, 2004). Les quelques inégalités qui subsistent sont le produit de différences d’origine naturelle. Cette vision est largement répandue dans l’opinion publique et diffusée par les médias québécois. D’où proviennent ces discours et sous quelles formes circulent-ils? Quel est le contenu des discours féministes et comment sont-ils reçus dans la population, en particulier par les jeunes femmes et les jeunes hommes? Ce premier chapitre se divise en deux sections. La première s’intéresse au contexte social des jeunes Québécoises et Québécois sous l’angle de l’égalité des sexes. La seconde expose notre cadre analytique et les concepts-clés qui le sous-tendent.

1.1 Des tensions entre égalité et altérité

Loin d’être dépassées, les tensions entre la différence sexuelle et l’égalité homme femme sont au cœur des débats de société, au Québec comme ailleurs. Quotidiennement, dans les médias, au sein des groupes de pression et dans les milieux universitaires, des préoccupations concernant les différences sexuelles sont soulevées. On questionne entre autres la mixité des milieux scolaires (St-Amant, 2007) ; certains clament qu’il faut freiner la féminisation de la profession médicale au nom de la complémentarité des sexes (Dongois, 2009, 4 mars). Les débats sur les accommodements raisonnables, alimentés par les différences culturelles, créent un choc sur la question de l'égalité entre les hommes et les femmes (Bilge, 2010). On consacre des émissions et des conférences à l’identité et la « condition » masculine ou au sexe des cerveaux (Gagné, Desgagnés, & Bernard, 2009; Institut de recherches et d'études féministes, 2010, 13 mai; Kantaoui, 2007, 22 novembre; Languirand, 1999; Proulx, s.d.). Des millions de copies de livres en psychologie populaire

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valorisant la différence sexuelle sont vendues à travers le monde (Gray, 2009) et dans la francophonie (Y. Dallaire, 2003, 6 mai; Marsan & Gril, 2009). Enfin, ces essais sont parfois utilisés comme manuels de référence en psychologie de la sexualité au niveau collégial (Bourbonnais, 2007).

Au-delà de la diversité de ces thèmes, une question émerge : comment concilier l’exigence d’égalité démocratique et l’expérience des identités dites sexuelles? Certes, l’identité en tant que construction sociale est un phénomène complexe. Elle interroge avant tout le lien entre soi et autrui au fondement de tout « vivre ensemble ». Selon Touraine, « nous ne pouvons vivre ensemble avec nos différences que si nous nous reconnaissons mutuellement comme Sujets » (1997, p. 196). De cette conception, il faut tirer d’emblée une conséquence élémentaire : altérité et identité sont indissociables, puisque la reconnaissance est un processus de modelage de l’identité. En effet, « la problématique de l’identité imbrique la réflexion sur « qui suis-je » avec celle sur « qui sommes-nous? » (Sénac-Slawinski, 2007, p. 36). Cela dit, il s’agira ici de comprendre comment s’articulent les contradictions inhérentes à l’expérience sociale du genre qui est assigné aux individus et l’égalité entre les sexes.

Les termes égalité, équité et parité constituent le cheval de bataille des mouvements féministes, et ce, en tant que valeur, moyen et fin (Neveu & Guionnet, 2004; Sénac-Slawinski, 2008). De multiples définitions de l’égalité entre les sexes sont débattues à l’échelle internationale, parmi lesquelles nous retenons celle présentée par le Conseil du statut de la femme du Québec (CSF) :

L'égalité est accomplie lorsque toute personne a la possibilité de réaliser tous ses droits à la mesure de son propre potentiel et de contribuer à l'évolution culturelle, économique, politique et sociale de son pays, tout en bénéficiant personnellement de cette évolution. Pour cela, il est essentiel d'admettre que la société établit une différence entre le groupe des femmes et celui des hommes, que cette distinction est systémique et qu'elle est aggravée par d'autres facteurs telles l'origine ethnique et l'orientation sexuelle. (Conseil du statut de la femme, 2007, pp. 74-75)

Selon le Conseil, l’atteinte de l’égalité implique une égalité de traitement (formelle) et de résultat (réelle), ce qui suppose l’élimination de toutes les discriminations basées sur le sexe : « L’idéal d’égalité […] implique que la société soit libérée de la hiérarchisation des rapports sociaux entre les hommes et les femmes et que le sexe ne soit plus un marqueur des rôles sociaux » (2004, p. 33). L’objectif derrière l’égalité n’est donc pas l’uniformisation des individus. Plusieurs auteurs ont

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soulevé la confusion des registres en montrant qu’il est philosophiquement insoutenable d’assimiler l’égalité à l’identité ainsi que la différence à l’inégalité. En effet, l’opposition sémantique se trouve entre l’identique et le différent, non entre l’égal et le différent : « Reste à expliquer la rencontre la catégorie politique, l'égalité, et la catégorie ontologique, la différence. Elle vient en réalité de la substitution du terme égalité à celui d'identité dans la supposition que la différence sera toujours source d'inégalité » (Fraisse, 1996, p. 120). Dans cette optique, Birh et Pfferkorn (2002) établissent des liens entre les notions d’identités sexuelles et de différence. Ils affirment que ce sont les identités sexuelles qui créent la différence; que ces identités sont politiques, car elles représentent les effets de la hiérarchie entre les sexes. Ainsi, les inégalités découlent de la construction de la différence. Nous développerons davantage la question de la construction de la différence et de la hiérarchisation en deuxième partie du présent chapitre.

D’autre part, les sondages et les politiques sociales montrent que l’égalité homme femme est une valeur québécoise et canadienne (Myles, 2007; QMI, 2010, novembre; Radio-Canada, 2007, 12 décembre). Plus précisément, 93% des jeunes Canadiens font de l’égalité entre les sexes une des caractéristiques de la société idéale, tout comme la plupart des jeunes occidentaux (Reynié, 2011). Malgré l’affirmation de la primauté de cette valeur dans notre société, les études montrent que les inégalités subsistent entre les sexes (Camirand & Nanhou, 2008; Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2010; Conseil du statut de la femme, 2006, 2010; L. Dallaire, 2007; Statistique Canada, 2005), et ce, même en présence des conditions favorisant des représentations et des pratiques égalitaires (Perkins & DeMeis, 1996; Surprenant, 2009).

1.1.1 Actions gouvernementales et communautaires

Au Québec, une articulation poussée entre les interventions étatiques et les formes de solidarité communautaires s’est progressivement établie afin de lutter contre les inégalités. Le gouvernement québécois a pris un tournant majeur en adoptant, en 1997, la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance, reçue entre autres comme une « politique d’égalité des sexes » (Cantin & Bigras, 2008, p. 17). La même année entre en vigueur la Loi sur l'équité salariale, ayant « pour objet de corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l'égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d'emplois à prédominance féminine » (Commission de l'équité salariale, 1996). En 1997, poursuivant l’objectif de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, le Québec mettait en œuvre sa première expérience d’analyse différenciée selon les sexes (Secrétariat à la condition féminine, 2007). En l’an 2000, la Marche mondiale des femmes a propulsé, à partir du Québec, un

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mouvement international de mobilisation qui s’exprime à chaque cinq ans. Depuis 2001, la Loi sur l’assurance parentale a institué un régime d’assurance parental permettant l’accès à des prestations de maternité, des prestations de paternité et parentales à l’occasion de la naissance d’un enfant. Au chapitre de la gouvernance, 2003 a vu le Québec devenir la première province canadienne à imposer un quota de femmes au sein des conseils d'administration des sociétés d'État. Et en 2007, pour la première fois dans l’histoire du Québec, le conseil des ministres du gouvernement Charest est formé d’autant de femmes que d’hommes. Enfin, pour ne nommer que quelques exemples, terminons avec le dévoilement, à l’automne 2009, de la « Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée ». Ces réalisations au plan politique n’auraient pas pu prendre forme sans la contribution des réseaux d’organismes communautaires ancrés sur le plan local, régional et national, et reconnus par l’État. Ainsi, par l’entremise de ces organismes de défense des droits ou de services, les besoins spécifiques des femmes et des hommes peuvent trouver une réponse.

Cependant, les études sur les inégalités montrent que ces mesures sont limitées dans la transformation des rapports sociaux de sexe. Tel qu’énoncé par le gouvernement français, les résistances aux pratiques égalitaires semblent prendre racine dans les mentalités : « Il paraît difficile d’aller plus loin sur un plan législatif, et ce sont plutôt certains comportements ou visions de la société qu’il convient de faire évoluer. Les droits étant les mêmes, reste à les faire comprendre, accepter et appliquer » (Direction de l'information légale et administrative du gouvernement français, 2006). Du côté québécois, le plan d’action mis en œuvre dans le cadre de la politique Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait vise à « favoriser une culture de l’égalité » (Secrétariat à la condition féminine du Québec, 2007, p. 11).

1.1.2 Féminismes, masculinismes et anti-féminismes

En ce qui a trait aux revendications des organismes communautaires féministes, une entrevue avec la directrice générale de CAFE, Viviane Nadeau, nous a permis de saisir les débats de société qui traversent le regroupement des femmes de l’Estrie (Poudrier, 2009, 6 juin). Parmi les enjeux féministes estriens actuels, Madame Nadeau soulève l’hypersexualisation des jeunes filles, les publicités sexistes, la violence faite aux femmes, la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes, la timidité des femmes à investir les lieux de pouvoir, la pauvreté des femmes, les difficultés de conciliation famille-travail en lien avec les employeurs, le maintien des rôles traditionnels sexués, la prépondérance des femmes dans le rôle d’aidantes naturelles, la lutte pour le droit à l’avortement et les enjeux de santé reproductive, la responsabilité étant quasi-totalement assumée par les femmes.

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Depuis le début du mouvement féministe en 1893 au Québec, de nombreux courants se sont croisés. Au Québec, comme aux États-Unis, c’est à partir des années 70 que l’on observe une diversification des positions, des puritaines de l’Église catholique, des réformistes libérales et institutionnelles aux jeunes radicales matérialistes ou queer, en passant par les communistes et les anarchistes (Blais, 2008; Collectif du 8 mars, 2009; Dumont, 2008; Tong, 2009; Watkins, Rueda, & Rodriguez, 1992). Comme le souligne Butler: « En tant qu'entreprise démocratique, le féminisme a dû abandonner l'idée qu'il est possible de se mettre d'accord au départ sur certaines choses » (2006, p.202). Les féministes radicales des années 60 et 70 ont grandement alimenté le débat portant sur différences entre les sexes. Tong (2009) oppose les féministes radicales-culturelles aux radicales-libertaires. Les premières croient en des natures féminines et masculines distinctes et font la promotion des qualités dites féminines. Les deuxièmes croient qu’une identité féminine stéréotypée limite le développement des femmes en tant qu'être humain. Elles encouragent donc les femmes à développer leur personnalité unique, androgyne, sélectionnant à leur guise des caractéristiques dites masculines ou féminines, jugées bonnes ou mauvaises. Elles rejettent la supposition de la société patriarcale selon laquelle il y a nécessairement une connexion entre le sexe et le genre. Elles défendent plutôt la position selon laquelle le genre est une notion indépendante du sexe. Ces féministes affirment que c'est la société patriarcale qui produit les rôles sexuels rigides, enfermant les femmes dans la passivité (affectueuses, obéissantes, sujettes à la sympathie et à l'approbation, amicales) et les hommes dans l’activité (agressifs, curieux, ambitieux, responsables, compétitifs et originaux).

De leur côté, les penseuses de la « troisième vague féministe » - nommées ainsi pour les distinguer de la deuxième vague associée aux années 60 et 70 – ont remis en question l’universalité de la catégorie « femme » en attirant l’attention sur la diversité au sein du groupe, par exemple en considérant le vécu des femmes de couleur, lesbiennes, autochtones, prostituées, handicapées. En mettant de l’avant l’idée que les identités, les genres et les corps peuvent être multiples, leurs analyses amènent à déconstruire le sexe et le genre (Butler, 2006; Nengeh Mensah, 2005). Par ailleurs, de l’avis de jeunes féministes se réclamant de la troisième vague, la cimentation des hommes dans une position dominante occulte les autres formes d’oppression, et passe sous silence la réelle aspiration au changement de certains hommes. Si, pour certaines, il faut préserver les espaces non mixtes, d’autres croient que « transformer comment les femmes se pensent sans transformer comment les hommes se pensent, c’est courir à une forme d’échec » (Béchard, 2005, p. 201). Cet ébranlement de la catégorie sociale fondamentale « femme » invite à la labilité des rôles. Il semble toutefois que cette aspiration à la subversion des genres perturbe l’ordre social et sexué.

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S’inscrivant dans des dynamiques socio-économiques et politiques en transformation, les crises de la masculinité suivraient une constante. Que ce soit lors des bouleversements de la Révolution française, des profondes transformations du système capitaliste à la fin du XIXe siècle, ou le durcissement du marché du travail durant années 1980 combiné au recul des mouvements progressistes et la montée conservatrice, des hommes trouvent un bouc émissaire pour canaliser leur ressentiment. Selon Blais et Dupuis-Déry, « le racisme comme l’anti-féminisme sont généralement moins violents lorsque les hommes hétérosexuels à la peau blanchâtre savent profiter dans diverses sphères de leur vie de reconnaissance, de services et de biens matériels » (2008, p. 18).

Une nouvelle forme d’anti-féminisme, dépassant les discours isolés de certains individus, apparaît pour la première fois vers la fin des années 1990. Blais et Dupuis-Déry associent cette tendance au masculinisme, une notion complexe : « le masculinisme est avant tout une forme particulière d’anti-féminisme » (Ibid., p. 13). De l’avis de Surprenant, ce n’est que récemment qu’il a acquis le statut de mouvement social : « En germination dans les années 1980, en émergence dans les années 1990, le masculinisme se constitue réellement en tant que mouvement social dans les années 2000 » (Ibid., p. 252). Adoptant une diversité d’appellations, dont celles « d’hoministe » ou « d’humaniste » (Dupuis-Déri, 2009), la mouvance anti-féministe québécoise semble avoir pris des proportions grandissantes ces dernières années, notamment car il utilise les médias comme armes de prédilection (Alminc, 2007; Pelchat, 2009).

Dénonçant les abus des « féminazis » et l’aveuglement des « fémi-sexistes » au « féministan québécois », des masculinistes sont en quête identitaire permanente (Y. Dallaire, 2003, 6 mai; Jean, 2009). Ils militent essentiellement pour la revalorisation du rôle de père en tant que modèle viril (au sein d’une famille nucléaire) et diffusent l’idée que les élites québécoises font « tout pour éliminer les différences naturelles entre les hommes et les femmes et éliminer les aspirations différentes des hommes et des femmes » (Patrick, 2006, 15 décembre). Ces hommes tentent également de brouiller les statistiques sur les inégalités entre les sexes en défendant la thèse selon laquelle la société québécoise discrimine les personnes de sexe masculin (Conseil du statut de la femme, 2009). De ce point de vue, le mouvement masculiniste a tous les attributs d’un mouvement se positionnant en réaction aux acquis de la lutte des femmes.

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D'après Hazan (2010), les idées des masculinistes trouveraient écho dans la population québécoise. Ainsi, les hommes québécois seraient déchirés entre deux scénarios, d'une part, l'égalité et, d'autre part, l'affirmation d'une identité masculine ranimée par la crainte de la domination féminine. Selon cette auteure, ce phénomène serait davantage palpable au Québec qu’ailleurs dans le monde, où le modèle patriarcal d’antan demeurerait solidement ancré. Globalement, les études dans le monde occidental montrent que les hommes de tous âges, contrairement aux femmes, sont moins sympathiques aux causes défendues par les féministes (Burn, Aboud, & Moyles, 2000; N. J. Davis & Robinson, 1991; S. N. Davis, 2007; S. N. Davis & Greenstein, 2009; Kroska, 2000; Saint-Pierre, 2008; Sherwood, 2007). Par ailleurs, plusieurs chercheurs se sont penchés sur le rôle que peuvent jouer d’autres facteurs sociaux, tels que l’influence des idéologies néolibérales sur les discours des jeunes femmes. Tout en masquant les inégalités générées socialement, les idéologies néolibérales feraient croire en des possibilités infinies de choix dans un contexte où la valorisation de la responsabilité individuelle est exacerbée. Selon Baker (2007), le climat sociopolitique néoconservateur sur la scène occidentale est susceptible de voiler la subordination des filles et des femmes au profit d’un discours trompeur de « l’égalité-déjà-là » (Delphy, 2004).

1.1.3 Les jeunes et le féminisme

En Amérique du Nord, la majorité des filles et des femmes ne se disent pas féministes, phénomène qui transcende les classes sociales (Alminc, 2007; Conseil du statut de la femme, 2009; des Rivières, Mailloux, & Girard, 2002; Griffin, 2001; Lamoureux, 2001; Quiénart & Jacques, 2004; Reed, 2004; St-Amant, 2007). À ce sujet, CAFE a réalisé en 2003-2004 une recherche qui a révélé que : « Le féminisme n’a pas la cote chez les jeunes femmes aujourd’hui. En fait, la situation est un peu paradoxale. La majorité des jeunes femmes approuvent le fait qu’il faut travailler à l’amélioration des conditions de vie des femmes et que celles-ci vivent encore aujourd’hui des injustices, de la discrimination et des inégalités. Pourtant, elles ne veulent pas être associées au féminisme, car, le mot lui-même implique trop de choses et leur fait peur » (ConcertAction Femmes Estrie, 2004, p. 7).

Cette peur d’être jugées se traduit en un rejet, particulièrement chez les jeunes femmes, de l’appellation féministe, préférant s’identifier comme « humaniste » (La coalition, 2009). D’autres, sans le savoir, supporteront des thèses masculinistes, telles que « les femmes sont aussi violentes que les hommes », « l’égalité est atteinte », « les féministes sont allées trop loin », « le féminisme c’est dépassé »,« elles sont frustrées et haïssent les hommes » (Guindon, 1996, pp. 60,76; Quiénart & Jacques, 2004, pp. 75-77). Dans ses recherches, Rhodebeck (1996) nuance le portrait :

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l’identification au mouvement féministe n’est qu’une manifestation parmi d’autres d’une conscience reliée à la catégorie sociale à laquelle on est identifié. Or, bien qu’inoffensifs en apparence, les stéréotypes négatifs reliés aux féministes peuvent menacer l’implication dans les mouvements féministes, ce qui peut poser problème pour le développement de l’identification au groupe, étape préalable à l’action collective (Burn, et al., 2000; Crossley, 2009).

1.2 Représentations sociales de la différence sexuelle et de

l’égalité : éléments théoriques et empiriques

À la lumière des écrits qui nous ont servi de point de départ pour ce mémoire, la présente section circonscrit la théorie des représentations sociales en lien avec les concepts de genre et de l’égalité.

1.2.1 Théorie des représentations sociales

Depuis les premiers balbutiements de la théorie des représentations sociales, dont Durkheim en est l’instigateur par la théorisation des « représentations collectives » en 1898, de nombreux ouvrages scientifiques à ce sujet ont été publiés. En relançant la théorie par l’étude des représentations sociales de la psychanalyse en 1961, le psychologue social Serge Moscovici a tracé la voie d’un vaste champ d’études. Positionnée « au carrefour d'une série de concepts sociologiques et de concepts psychologiques », cette théorie est complexe, mais féconde (Moscovici, 1976, p. 39). Nous tenterons de relever le défi, d’une part, de retracer ses origines sociologiques, et d’autre part, d’en résumer les récents développements dans le domaine de la psychologie sociale.

Simmel, Weber et Durkheim sont généralement identifiés comme les sociologues ayant significativement contribué à la fondation de la théorie des représentations sociales. À sa façon, Simmel a intégré l’idée de représentation dans ses théories sur les liens entre les individus. Il a proposé que l’individu se situe à distance des autres en se les représentant et que la manière dont il se les représente modèle l’action réciproque et les cercles sociaux. Selon lui, les représentations sociales constituent une sorte de connecteur dont la fonction est de stabiliser les actions réciproques entre un ensemble d’individus, ce qui permet la formation d’unités abstraites que sont les institutions : État, Église, mariage, famille, etc. Son collègue Weber, fondateur de la sociologie compréhensive, « fait des représentations un cadre de référence et un vecteur de l'action des individus » (Moscovici dans Jodelet, 1989, p. 63). Elles constitueraient un savoir commun rendant possible l’anticipation et l’ordonnancement du comportement des individus.

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En ajoutant le qualificatif « collective » à « représentation », Durkheim a souligné la séparation entre l’individuel et le collectif : la représentation est au collectif ce que la perception est à l’individu. D’ailleurs, Durkheim lui-même a « dit expressément et répété de toutes les manières que la vie sociale était toute entière faite de représentations » (1973, p. XI). Nous comprenons alors que toute représentation est fondamentalement sociale, et que son étude ouvre les portes à la compréhension de l’ensemble des manifestations. Précurseur de l’approche fonctionnaliste, Durkheim concevait les représentations collectives comme des savoirs stables qui sont produits par la société dans sa globalité. Par leur pouvoir de contrainte, elles s’imposent durablement aux individus et servent à intégrer la société. Ainsi, à moins de transformations sociales majeures, les représentations collectives imprègnent tous les individus qui forment la société, et ce, « quels que soient leurs rôles, leurs statuts ou leurs groupes d'appartenance » (Deschamps & Moliner, 2008, p. 97).

Dans les années 1960, les psychologues sociaux, dont Moscovici et Jodelet ont redéfini la notion de représentation collective. Moscovici a, en partie, construit la théorie des représentations sociales sur la critique du travail de Durkheim. D’abord, en préférant le terme « social » à « collectif », il a mis l’emphase sur l’aspect dynamique des représentations, plutôt que sur son caractère fixe ou statique, au sens où Durkheim les concevait. Ensuite, là où Durkheim a vu les représentations collectives comme des formes de compréhension embrassant la société entière, Moscovici s’est intéressé à la variation et à la diversité des idées « collectives » dans les sociétés modernes. De son point de vue, la diversité témoigne de l’absence d’homogénéité à l’intérieur de ces sociétés, dans lesquelles les différences reflètent la distribution inégale du pouvoir et génèrent l’hétérogénéité au sein des représentations (Moscovici, 2001). Cette brève incursion dans la pensée de Moscovici montre son intérêt pour les conditions de production et de circulation des représentations sociales. En effet, il a insisté sur le rôle de la communication sociale, ou de l’interaction, dans l’élaboration des systèmes intellectuels et de leurs formes. Selon lui, l’objectif de toute représentation est de rendre un objet non familier ou étrange, familier. Les représentations sociales émergeraient non seulement d’une tentative de comprendre un objet en particulier, mais serviraient également une fonction identitaire, en permettant aux individus et aux groupes de se définir par rapport à l’Autre. Une image, une idée et un langage partagés par un groupe représentent donc l’affirmation d’une identité et d’un lien social. Partant de ces hypothèses, Moscovici poursuit sa critique :

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L'idée de représentation collective nous embarrasse dans la mesure où le mot collectif peut s'appliquer à tout, donc ne désigne rien. [...] En se représentant une chose ou une notion, on ne se fait pas uniquement ses propres idées et images. On génère et transmet un produit progressivement élaboré dans d'innombrables lieux selon des règles variées. Dans ces limites, le phénomène peut être dénommé représentation sociale. Il a un caractère moderne pour autant que, dans notre société, il remplace les mythes, les légendes, les formes mentales courantes dans les sociétés traditionnelles. Étant leur substitut, et leur équivalent, il en hérite à la fois certains traits et certains pouvoirs. (Moscovici dans Jodelet, 1989, p. 83)

Ainsi, les représentations sociales présenteraient des fonctions semblables aux mythes. Selon Sénac-Slawinski, les identités sexuelles peuvent être également associées aux mythes. En effet, ces derniers « intègrent les catégories dans lesquelles s’enracinent les cultures et jettent les bases de la signification et de la communication de nos sociétés. Comme l’adhésion au langage, l’adhésion à ces mythes ne repose pas sur une croyance, mais sur l’intériorisation inconsciente » (2007, p.283). À cet égard, Moscovici soutient que la pensée sociale s’appuie davantage sur les conventions et la mémoire que la raison, sur les structures traditionnelles plutôt que les structures actuelles ou projetées (Moscovici, 2001). Jodelet établit également un lien entre représentation sociale et communication. Faisant référence aux écrits de Bourdieu (1982), elle aborde la théorie sous l’angle de la constitution de l’ordre social, mais aussi du changement : « [la représentation sociale] apparaît, via son objectivation dans le langage et sa mise en acceptabilité par le discours politique, comme un facteur de transformation sociale » (Jodelet, 1994, p. 40).

Au-delà des méandres théoriques, la pensée des auteurs converge quant à la valeur symbolique de la représentation sociale : elle est « toujours représentation de quelque chose (l'objet) et de quelqu'un (le sujet) » (Ibid., p.43). Aux fins de ce mémoire, nous retenons la définition de Jodelet : « Forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social » (1989, p. 36). Forme de connaissance, la représentation constitue la matrice de l’objet, que le chercheur aborde via le langage, des comportements ou des supports matériels. L’auteure qualifie ce savoir de « pratique » en attribuant de l’importance à l’expérience dans laquelle il s’inscrit, c’est-à-dire aux conditions de (re)production, mais d’abord parce que la représentation vise à agir sur autrui et son environnement. Ensuite, il s’agit d’une « construction » opérée par un sujet : la représentation symbolise un objet, et par le fait même, lui attribue des significations par un processus d’interprétation. Ainsi, la représentation sociale constitue l’expression du sujet à l’égard d’un objet : tant les caractéristiques du sujet et de l’objet ont une incidence sur son contenu et sa forme.

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En ce qui concerne l’utilisation de la théorie des représentations sociales, Jodelet attire l’attention sur la diversité des études et des disciplines qui en tirent profit, et ce, autant en recherche fondamentale qu’appliquée. Si elle dresse un très large portrait de ses usages, elle relie aussi les représentations sociales à de multiples dimensions, nommément « à des systèmes de pensée plus larges, idéologiques ou culturels, à un état des connaissances scientifiques, comme à la condition sociale et à la sphère de l'expérience privée et affective des individus » (Ibid., p.35). Parmi ces dimensions, il nous apparaît prometteur de développer l’étude des représentations sociales en remontant vers ses éléments génératifs. Dans cette perspective, Rouquette et Rateau entrevoient l’idéologie « comme l’instance de raison des représentations » (1998, p. 24). En effet, la définition que formule Calhoun de l’idéologie peut fournir un cadre d’interprétation des représentations sociales : « A cohesive set of beliefs, ideas, and symbols through which persons interpret the world and their place within it » (2002, Oxford Reference Online).

Les chercheurs en sociologie et en psychologie sociale ont produit des travaux qui éclairent les enjeux de la construction de la différence. Rappelant l’idée selon laquelle l’objectif des représentations sociales est de transformer un objet « étrange » en objet familier, Jodelet montre que la différence se révèle « comme une étrangeté qui focalise l'attention et conduit à chercher une explication dans l'idéologie, masquant et naturalisant les inégalités sociales ». En d’autres mots, lorsqu’il y a sentiment d’étrangeté, les acteurs recourent à des explications naturelles. L’idéologie sert ainsi un principe d’économie cognitive et la préservation de l’identité sociale : « De la sorte, s'ajoute à la fonction cognitive une fonction de protection et de légitimation. » (1994, p.51). Puis elle conclut en explicitant les liens entre représentation et pratique : « La naturalisation des notions leur donne valeur de réalités concrètes directement lisibles et utilisables dans l'action sur le monde et les autres » (p.56).

Il nous apparaît pertinent d’expliciter un type de représentation sociale mobilisé dans notre recherche : le stéréotype sexuel. Dans leur revue de littérature sur le concept, Descarries et Mathieu (2010) établissent la connexion entre les stéréotypes sexuels et la théorie des représentations sociales en avançant qu’ils « sont consubstantiels des représentations sociales des rapports de sexe : à la fois « raccourcis » et composantes de celles-ci » (p.16). Tel que nous l’avons vu précédemment, plusieurs auteurs s’entendent sur le fait que les représentations sociales, tout comme les stéréotypes qu’elles soutiennent, sont traversées par des enjeux identitaires (Abric, 1994; Amossy &

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Herschberg-Pierrot, 1997; Moliner, 2002). En effet, les stéréotypes interviennent dans la construction des identités : ils sont dits sexuels lorsqu’ils font référence à une caricature (les modèles de sexe) « que l'on se fait d'un groupe de sexe, comme membre de ce groupe (les attributs qu'on lui confère) » (Bouchard, St-Amant, & Tondreau, 1997, p. 283). Pour rendre compte de leur aspect irrationnel et de leur lien avec la pratique, plusieurs chercheurs décrivent les stéréotypes comme un « prêt-à-porter » conduisant à la fois sur un « prêt-à-penser » et sur un « prêt-à-agir ». Ces clichés ou « jugements pétrifiés » sont retransmis par les mécanismes de socialisation et font rarement l’objet de remise en question. En soulignant que l’identification à son genre constitue un processus d’adaptation aux conditions idéologiques, religieuses, culturelles et sociales dans lesquelles elle se matérialise, Descarries et Mathieu s’appuient sur les résultats de multiples études en psychologie sociale pour conclure que « les stéréotypes sexuels masculins […] s’avèrent aujourd’hui plus figés et plus permanents que ceux associés aux femmes » (2010, p.32).

Les stéréotypes sexuels participent donc à la constitution des représentations sociales et des identités, dans une société qui est le théâtre de « dynamiques collectives de différenciation et d'intégration, [où] les agents construisent leurs perceptions et leurs interactions à travers des processus d'accentuation des différences intergroupes et de renforcement des ressemblances intragroupes » (Régnier, 1994, p. 332). Selon Mannoni (2006), les représentations sociales se dessinent derrière les rôles qui débouchent sur des relations hiérarchisées. En effet, c’est à partir de la mise en jeu des systèmes de représentation que s’élaborent des « rapports de rivalité, de soumission ou de complémentarité […], et la manière dont on se représente l'autre détermine la relation hiérarchisée que l'on va mettre en oeuvre à son égard » (p.94). Ainsi, les traits stéréotypiques ne parlent pas de la cible qu’ils décrivent, mais de la source qui les porte et surtout des relations intergroupes. Sales-Wuillemin fait d’ailleurs remarquer que le phénomène d’androcentrisme1 se manifeste lorsque le stéréotype vise les relations entre les sexes, car « le stéréotype attaché au groupe [« femme »] n'est pas construit en soi, mais en référence au groupe dominant » (2006, p. 80). C’est ainsi qu’en tant que mode de connaissance, les stéréotypes sexuels relèvent du processus relationnel de bicatégorisation asymétrique des sexes, sur lequel se construisent les identités.

1 « Sociologists use the term “androcentrism” to refer to a new kind of sexism, one that replaces the favouring

of men over women with the favouring of masculinity over femininity. According to the rules of androcentrism, men and women alike are rewarded, but only insofar as they are masculine (e.g., they play sports, drink whiskey, and are lawyers or surgeons). Meanwhile, men are punished for doin g femininity and women… well, women are required to do femininity and simultaneously punished for it. » (Wade, 2011)

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Comme nous l’avons constaté, le champ de recherche sur les représentations sociales, tout comme ses enjeux relationnels, est vaste. La prochaine étape consiste à expliciter les concepts spécifiques à notre problématique.

1.2.2 Cadre conceptuel : du sexe/genre à l’hétéronormativité

D’emblée, cette étude s’inscrit dans le champ de la sociologie politique, en tant qu’analyse des mécanismes de domination (Merrien, 2006), ainsi que dans le champ des « gender studies », en tant qu’étude de la différenciation sociale entre les sexes (Maruani, 2005). Sans prétendre à l’exhaustivité, le cadre conceptuel vise à baliser les multiples angles théoriques du phénomène à l’étude tout en explicitant notre démarche. Il sera donc question des concepts de sexe et de genre, ainsi que le fil conducteur de cette recherche : l’hétéronormativité.

De Beauvoir (1949) a attiré l’attention sur la façon dont la société agit sur l’enfant pour l’orienter dans un rôle féminin ou masculin, « mais toujours complémentaire à l’autre et répondant aux besoins d’une économie générale servant le fonctionnement de l’ordre social » (Dantier, 2007, 9 mai). Durant les années 1960, le psychanalyste Robert Stoller a inventé le concept de gender, servant à départager les aspects biologiques et psychologiques dans la définition des identités sexuelles. En théorisant systématiquement l'usage de gender, dans Sex, Gender and Society (1972), Ann Oakley ouvre la perspective au culturel et au social. Goffman, dans son ouvrage L'arrangement des sexes, fait la lumière sur l’ordre sexuel sous-tendu par « l’idée de nature », cette « construction sociale légitimant les hiérarchies et modes d'exploitation des femmes » (Guillaumin, 1978, p. 27). Dans la préface du livre, Zaidman critique le genre en tant que classification sociale masculin/féminin, qui « reste un instrument encore limité, voire ambigu, dans son rapport avec l'idéologie du genre », c'est-à-dire l'idéologie du partage et de la complémentarité des rôles sexuels (Zaidman dans Goffman, 2002, p. 19). Saltzman Chafetz (1991) s’est penchée sur la définition conceptuelle de l’idéologie du genre. Selon cette auteure, les perspectives marxistes et interactionnistes appuient leurs analyses sur le fait que les élites dominantes sont (et ont été) majoritairement des hommes : en conséquence, ce sont eux qui produisent les idéologies et les normes qui les avantagent. Les idéologies de genre seraient à l’origine de la croyance selon laquelle il n’existerait que deux genres immuables - résultats de la nature ou de la volonté de Dieu - et conditionneraient la supériorité des attributs masculins sur les attributs féminins.

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Dans une perspective plus dynamique, Dorlin (2008) définit le genre « comme un rapport de pouvoir qui assure sa reproduction en partie grâce aux mutations du système catégoriel qu’il produit et sur lequel il s’adosse. Mais, en faisant cela au su et au vu de tous, comme dans le cas des protocoles pour intersexes2, il s’expose pleinement dans toute son historicité : son histoire est celle de ses multiples crises et des multiples mutations qu’ils opèrent sur les corps, au gré du rapport de force qui l’ébranle et le menace » (p. 54). En ces termes, le genre représente la construction sociale et culturelle de la différence des sexes. S’il désigne un concept, le genre est aussi un instrument commode pour dialoguer et débattre au niveau international. Fassin (2006) et Maruani (2005) abordent le genre en tant qu’outil d’analyse construit par les sciences sociales afin d’appréhender les questions reliées à la féminité et à la masculinité, aux mécanismes de production des inégalités et des hiérarchies entre les hommes et les femmes. En somme, le genre est un produit du mouvement social féministe et de la perspective scientifique.

De notre point de vue, le genre est la construction sociale de la différence sexuelle. Cependant, quels sont les liens qui unissent ce concept au groupe « femme », à l’identité et aux féministes? Traiter du sujet « femme » en tant que groupe distinct engendre des généralisations et des exclusions. Suite aux critiques formulées par des féministes sur cette difficulté, nous adopterons la posture de Young (2007), qui rappelle que les expériences des femmes varient en fonction de la classe, de l’ethnie, de l’orientation sexuelle, de l’âge ou de la communauté d’appartenance. De là origine le dilemme féministe : les chercheuses veulent décrire les femmes en tant que groupe, mais doivent éviter de tomber dans des analyses essentialistes et normalisantes.

S’inspirant de Sartre, Young propose alors de penser le genre comme structure sérielle pour rendre compte de l’influence de l’organisation de la société, en distinguant la série « femme ». L’usage du terme structure sérielle invite également à séparer le genre de l’identité, cette structure étant « vécue comme un médium ou un milieu, où l’action est dirigée vers des fins précises qui présupposent la série sans pour autant que les membres en soient conscients » (p.24). Ainsi, la contrainte à l’hétérosexualité et la division sexuelle des tâches, en tant qu’ensemble de significations, de règles et de pratiques entourant le corps, constituent la structure des genres « homme » et « femme ». L’auteure évacue le concept de l’identité de genre pour mettre de l’avant

2 « Le concept d'intersexualité, en fait, englobe tout ce qui se trouve entre les frontières arbitrairement crées

des sexes, le corps médical ayant déterminé la limite d'un clitoris de « vraie » femme à 0,8 cm et la taille minimale d'un pénis de « vrai » homme à 2,5 cm. Cette mesure est celle employée à la naissance des b ébés lorsqu'une ambiguïté est pressentie » (Bastien Charlebois, 2011).

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l’identité personnelle. Elle affirme qu’une femme ne peut faire abstraction des conditions imposées par les catégorisations de genre, mais que la façon dont elle négocie ces contraintes lui est propre : son identité est donc unique. Quant à la série « femme », elle « ne désigne pas une identité qui serait mutuellement admise et accompagnée d’un certain projet commun ou d’une certaine expérience partagée » (p.31). Chaque unité de la série vit isolément, la série étant un ensemble amorphe, mais qui présente le potentiel de s’organiser comme groupe. Ainsi, le groupe (par exemple les groupes de femmes) réfère à « l’ensemble de personnes partageant un but commun et une reconnaissance mutuelle et consciente de faire partie de ce groupe » (p. 19). Young conclut en exposant l’aspect parcellaire des regroupements de féministes, dont le but commun est de politiser le genre, ou, en d’autres termes, de transformer les rapports sociaux de sexe.

Tout comme Young, Rubin (1975) ouvre la voie à la désarticulation des concepts de genre, de sexe et de sexualité. Bien que leurs analyses diffèrent, les théoricien-ne-s dont la pensée s’inscrit dans le paradigme constructiviste s’entendent sur le rôle central du langage dans la production et la reproduction de l’ordre social. C’est ainsi que, par un travail de déconstruction de la catégorie de sexe, des féministes ont critiqué la naturalisation de l’identité féminine. En pointant le fait que la « nature » est toujours appréhendée à travers le prisme de la culture, elles ont montré comment la conformité au genre féminin est l’effet de l’oppression. Dans cette vision, c’est l’oppression qui crée la différence. La domination vient donner un sens à des caractères physiques qui n’ont pas de signification intrinsèque : le sexe devient alors une catégorie politique.

C’est dans cette perspective critique que, dès les années 1970, des féministes lesbiennes ont remis en question les fondements biologiques de l’hétérosexualité. L’hétérosexualité se révèle sous un système de pouvoir normatif qui renforce et naturalise la domination masculine. En distinguant genre et sexualité, Rubin montre comment l’hétérosexualité constitue un système politique et économique défini par un binarisme des sexes qui assoit une hiérarchie des genres féminins et masculins, ainsi que l’exclusion des individus qui ne correspondent pas à ces idéaux : « Le genre […] suppose également que le désir sexuel soit dirigé vers l’autre sexe. […] La suppression de la composante homosexuelle de la sexualité humaine, et de façon corolaire, l’oppression des homosexuels, est par conséquent un produit du même système dont les règles et les relations oppriment les femmes » (Rubin, 1975, p. 180). Ainsi, plutôt que la naturalisation des sexes, c’est l’affirmation de la différence des sexes qui se joue dans le système de l’hétérosexualité obligatoire,

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qui agit comme principe des rapports de domination à l’œuvre dans le genre et la sexualité. Wittig assimile d’ailleurs la « pensée straight » à la pensée de la différence des sexes (2001).

Cependant, si le « régime politique » de l’hétérosexualité se maintient, il n’est pas immuable, mais sujet à changements, au gré de l’espace et du temps. Bien que le pouvoir des mots serve à maintenir l’ordre établi, plusieurs ont compris qu’il peut également favoriser sa subversion. C’est l’idée centrale de l’ouvrage Trouble dans le genre: Pour un féminisme de la subversion (2005) de Butler, qui illustre comment les genres, les sexualités et les corps – sur lesquels on colle l’étiquette d’un sexe - peuvent être multiples. D’autre part, en mettant de l’avant sa composante sociohistorique, Katz (2007), à la suite de Foucault, décrit, à partir du début du XXe siècle, la mise en place d’une norme hétérosexuelle. Depuis les années 1990, on recourt au terme « hétéronormativité » pour qualifier l’hétérosexualité normative (Ingraham, 2006).

À l’instar de Jackson (2006), nous nous en tiendrons à la conception hybride de l’hétéronormativité en tant que norme guidant l’action humaine, mais aussi en tant que pratique se (re)produisant dans l’interaction quotidienne. L’auteure insiste sur le fait que l’hétéronormativité possède une double régulation, c’est-à-dire que l’hétéronormativité opère à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de l’hétérosexualité. Par ailleurs, bien que changeants, l’hétérosexualité et le genre sont des structures sociales déterminées par des patterns associés à des inégalités matérielles. Ces patterns structuraux créent et maintiennent des formes de compréhension qui apparaissent naturelles ou inévitables – et constituent les effets manifestes de la normalisation de l’hétéronormativité.

Si l’hétéronormativité agit au niveau macrosocial à travers sa dimension structurelle, Jackson montre également que les relations sociales et les pratiques sont imprégnées de sens, qui lui, se trouve dans le langage et les discours. C’est dans la dimension du sens que le genre et la sexualité se croisent constamment. La construction de la différence des genres est liée au principe de complémentarité, c’est-à-dire l’idée que les femmes et les hommes sont faits l’un pour l’autre (Ingraham, 1999; Katz, 2007). En articulant les éléments non-sexuels de l’hétérosexualité (par exemple famille, père, mère) et les pratiques sexuelles, Jackson illustre l’interrelation entre le genre et l’hétérosexualité. Ainsi, les frontières de la division des genres et de l’hétérosexualité normative se renforcent mutuellement. Au-delà d’une pratique et d’une institution hétérosexuelle, l’hétéronormativité en tant que concept critique doit être pensé comme normalisateur de modes de vie et de sexualités.

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En somme, les concepts mobilisés dans ce mémoire sont des catégories politiques : le sexe (les corps) le genre et l’hétéronormativité représentent des structures sociales imbriquées. Maintenant que nous avons délimité notre perspective que l’on peut qualifier de constructiviste, nous explorerons les résultats de recherches en lien avec les représentations de la différence sexuelle et de l’égalité.

1.2.3 Perspectives récentes de la recherche

S’il existe une abondante littérature et une multiplicité d’approches donnant accès aux représentations sociales de la différence sexuelle, nous constatons que peu d’études se sont penchées sur les significations entretenues par les jeunes au sujet de « l’être femme » et « l’être homme » au sein de la société québécoise, et ce, dans une perspective sociologique. La présente section se veut un bref tour d’horizon des recherches sur lesquelles nous nous sommes appuyées pour construire les bases de cette étude. Il s’agit de clarifier notre positionnement et, par le fait même, d’énoncer l’orientation de ce projet.

Kroska (2001) a étudié la relation entre les idéologies de genre (« progressiste » versus « conservatrice ») et les significations des rôles sexuels chez des couples américains. Dans son investigation, elle met à l’épreuve les thèses de chercheurs selon lesquelles il y a éclatement des catégories sociales, dont la catégorie « sexe ». Ses résultats confirment ceux d’études antérieures, selon lesquels les femmes, autant que les hommes, évaluent négativement et spécifiquement les hommes dont le genre ne correspond pas à leur sexe. Toutefois, la transgression des rôles traditionnels est perçue plus positivement chez les conjoints et conjointes qui adhèrent à l’idéologie progressiste. En s’appuyant sur le paradigme de l’interactionnisme symbolique qui statue que les individus d’une même culture partagent les significations pour la majorité des concepts sociaux, Kroska conclut que la thèse du consensus social s’applique de façon générale quant aux rôles sexuels chez les adultes, et ce, peu importe l’orientation idéologique du répondant. Elle émet l’hypothèse que les variations dans les significations des rôles sexuels se situent dans les sous-cultures plutôt que dans les idéologies de genre.

Surprenant a (2005, 2009), pour sa part, regroupé les représentations et les pratiques de l’égalité chez des jeunes couples québécois en trois catégories : la complémentarité, conception de la division sexuelle du travail reposant sur les goûts personnels; la valorisation des rôles sexuels, une

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question d’attachement aux repères identitaires traditionnels; les couples associatifs, qui conçoivent la relation conjugale en dehors des catégories de genre. Elle a montré que la majorité d’entre eux conçoivent l’égalité en termes de différence et de complémentarité des sexes. Surprenant conclut qu’en dépit d’une scolarisation accrue des femmes, ces dernières se heurtent à un rôle sexuel qui les assigne à la sphère domestique, en particulier après la naissance du premier enfant.

À l’aide de données ethnographiques, Mathieu (1991) a tenté de répondre à une question controversée que se posent les mouvements féministes : « qu’est-ce qu’une femme? ». Pour ce faire, elle s’appuie sur le postulat que les définitions du sexe sont multiples et que les frontières entre les genres et les sexes sont nébuleuses, et, en conséquence, qu’il est erroné d’opposer le biologique au social, soit le sexe et le genre. Centrant son analyse sur les phénomènes de transgression et de conformité, Mathieu a élaboré trois modes de conceptualisation entre sexe et genre à partir de la problématique de l’identité personnelle. Elle dégage un point commun à la majorité des sociétés, soit une tendance à rapporter le sexe/genre à des systèmes de pensée bi-catégorisants. Le premier type, l’identité « sexuelle », est basé sur une conscience individualiste du sexe, c’est-à-dire sur le « vécu psychosociologique du sexe biologique » (p. 232). Cette conception, la plus courante, fait de la différence des sexes (comme expression de la Nature) la fondation de l'identité personnelle, de l'ordre social et de l'ordre symbolique. L’identité « sexuée » est un mode caractérisé par une conscience de groupe (groupe « femme » ou « homme »). Bien que les deux groupes soient « pensés comme clos sur le biologique », l’emploi du « participe passé [marque] la reconnaissance d’une action, d’une élaboration faite par le social sur le biologique » (p. 239). Enfin, le troisième mode d’articulation entre sexe et genre, l’identité « de sexe », se construit sur une conscience de classe. Il s’intéresse à la construction sociale du sexe, en particulier des sexualités. À l’opposé de la logique naturaliste, « ce troisième mode ne pense pas que la différence des sexes est traduite (mode I), ou exprimée ou symbolisée (mode II) à travers le genre, mais que le genre construit le sexe » (Sénac-Slawinski, 2007, p.57). Bref, il dénonce le recours à l’idéologie de la nature aux fins du maintien de la hiérarchie.

Inspirée de Mathieu, Sénac-Slawinski a mené une étude qualitative et exploratoire sur les représentations des identités sexuées et des inégalités dans la société française (2007). Elle a classé des définitions de l’égalité et de la différence à la lumière des principes de justice. Les conceptions des participants ont servi à l’élaboration de deux modèles culturels (de l’harmonie naturelle et du droit à l’égalité), se déclinant en quatre sous-modèles (d’une part, de l’équité et de l’équivalence, et

Figure

Figure  1:  L’étude  des  significations  de  l’égalité  à  travers  les  représentations  sociales  de la différence  sexuelle
Tableau  1: Caractéristiques  sociodémographiques  des répondants
Figure  2:Deux modèles culturels  des représentations sociales de la différence sexuelle et de l’égalité
Tableau  2: Positionnement  des répondants  selon les modèles culturels  A. Équité  dans

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