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De l’autorégulation du changement social

CHAPITRE IV MODÈLE DE L’HARMONIE NATURELLE

4.5 De l’autorégulation du changement social

Dans le contexte de la popularité des idées issues du déterminisme biologique, il nous est apparu intéressant d’interroger les jeunes sur la notion de changement. Pour en rendre compte, nous faisons un parallèle entre, d’une part, l’école classique libérale dont le philosophe et économiste Adam Smith est considéré le fondateur et d’autre part, le modèle de l’harmonie naturelle s’inscrivant dans la même logique. En effet, Smith est celui qui mit de l’avant l’idée du marché comme mode de régulation automatique de la société, où les individus seraient guidés par leur intérêt individuel dans un rapport de complémentarité. À cet effet, l’économiste René Passet précise que cette approche « est micro-économique, c’est-à-dire […] qu’elle repose entièrement sur les comportements individuels dont la convergence est censée engendrer l’équilibre général » (2000, p. 26). Ainsi, les inégalités sociales et économiques constituent des inconvénients nécessaires dans la quête de l’augmentation de la richesse, laquelle aurait pour effet d’accroître le niveau de vie général.

Cette pensée économique éclaire les enjeux de l’harmonie naturelle dans la mesure où la « main invisible » annule les différences de statuts liés à des rapports inégalitaires entre les sexes, en faisant croire à la fiction d’un jeu social égalitaire. Quelques participants, dont Laura, exposent leur vision du changement dans l’optique des places à respecter dans la hiérarchie naturelle exempte de rapports de pouvoir : « C’est la personne qui a vraiment du leadership qui va se ramasser à diriger. Je pense que c’est une façon naturelle de créer une hiérarchie […] ce n’est pas une hiérarchie négative, c’est plutôt que tout le monde a une place, qui est aussi importante l’une que l’autre. Mais qu’il y a une place à respecter, que ce soit un homme ou une femme ».

Que ces jeunes appréhendent le changement social en termes de « mouvements de balancier » de société ou d’autorégulation, ils ont pour point commun de croire à l’inévitable évolution vers un idéal d’équilibre. C’est ainsi que Gabriel se montre confiant : « Mais globalement, le Québec comme tel va dans la bonne direction, je crois. Mais je reste optimiste, même si ce n’est pas parfait.

Veut, veut, pas, on ne peut pas combattre sur tous les fronts. C’est ça, la société, ça va un petit peu partout et je pense que ça s’autorégularise à un moment donné ».

La théorie de la main invisible a pour effet de dépolitiser et individualiser le social. Plusieurs s’en remettent alors à la volonté individuelle pour résoudre les problèmes de société :

Tout à l’heure je te parlais de travail, de cheminement individuel à faire, c’est là qu’un cheminement individuel se fait. Il n’y a pas une campagne de publicité qui va faire en sorte que la femme va se sentir mieux, qu’elle va se sentir elle-même. C’est seulement de se rendre compte que, certaines femmes doivent se rendre compte qu’elles ont une valeur, et l’exploiter. […] Selon moi c’est individuellement que ça se passe, ce n’est pas au niveau de la société. […] Et à force personnellement que ça se fasse, dans chaque foyer, bien c’est là que ça peut converger. (Laura)

4.5.1 La discrimination positive

Dans ce contexte de soutien aux idées non interventionnistes, il est prévisible que la discrimination positive ne soit pas une mesure jugée bénéfique par ces jeunes. D’ailleurs, au moment des entrevues en juillet 2010, le gouvernement conservateur canadien a annoncé son intention d’abolir la discrimination positive dans la fonction publique. Le ministre de l’Immigration, Jason Kenney, a appuyé cette démarche en déclarant: « Je pense que la plupart des Canadiens possèdent un sens inné de l’équité » (Rennie, 2010). En fait, lorsqu’interrogés sur la nomination d’un premier cabinet des ministres paritaire à l’Assemblée nationale en avril 2007, seulement quatre d’entre eux se disent en faveur de cette intervention. La majorité est soit contre l’idée, ou est partagée sur la question, tel que l’expose Joanie en faisant le lien avec le rapport entre les minorités visibles et les Canadiens à la peau blanche :

Je pense que c’est important de choisir en fonction de la compétence. Je ne suis pas tellement pour les quotas de... C’est sûr que ça a ses bons côtés, par exemple on engage x pourcentage d’Amérindiens, x pourcentage de personnes immigrantes, x pourcentage de personnes avec des handicaps. C’est bien, pour donner une chance. Mais je pense que si on a trois personnes égales, que ce soit un Latino, un Coréen ou un Canadien, bien tu prends le plus compétent des trois, tout simplement. (Joanie)

Enfin, les participants dont le discours s’apparente au modèle de l’harmonie naturelle fondent l’espoir d’une société plus équitable sur le renouvellement des générations. Ils et elles évoquent les idées progressistes des jeunes qui feront leur entrée dans les partis politiques, de même que le changement à la base de l’électorat. Julien identifie le sexisme des personnes âgées, surtout les hommes, comme le mur qui tombera à leur décès:

Je pense un peu que par attrition veut, veut pas, les générations plus vieilles vont finir par mourir je pense de plus en plus ça va devenir un 50/50. La personne la plus qualifiée pour un poste de dirigeant va l’avoir, peu importe qu’il soit homme ou femme, je pense qu’il n’y aura pas de différence, pas de préjugés. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup d’hommes c’est ça, qui ont des préjugés sur les femmes par rapport aux postes importants, aux postes un peu plus politiques. (Julien)

4.6 Rôles parentaux : la maternité au cœur de l’ordre