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Éducation des enfants : « S’adapter à la personnalité de chacun »

CHAPITRE VI MODÈLE DU DROIT À L’ÉGALITÉ

6.1 Principe d’émancipation des sexes

6.1.3 Éducation des enfants : « S’adapter à la personnalité de chacun »

d’émancipation des sexes. Plutôt que l’identité sexuelle, c’est l’identité personnelle qui prime dans le processus de socialisation. Le droit à l’égalité tente de dépasser le sexe des individus pour non

seulement s’adapter à la personnalité de chacun, mais aussi afin de réaliser un idéal de société : « Selon moi, non au lieu d’axer ça vers une éducation pour gars et une éducation pour filles ou bien une variation de ça, je vais tout simplement dire "ok, qu’est-ce qui serait le meilleur pour la personne, et pour la société alentour?", et tu y vas! » (Jean-François). Cette position requiert une remise en question des interactions sociales et de l’environnement dans lequel l’enfant grandit, notamment les jeux et les jouets, qui constituent une part importante de l’apprentissage des rôles masculins et féminins. Comparant le traitement différencié des garçons et des filles de son entourage quant aux jouets proposés, Marie révèle un des rôles que l’on attend des petites filles une fois adultes : la mère. Elle conteste ainsi les théories biologiques qui se représentent l’enfant comme un individu déterminé par la binarité des gènes :

J’ai l’impression que justement, même petite, même petit, la maman dit à sa petite fille :« regarde la belle poupée » et le papa dit à son petit gars :« ha regarde le beau Transformer » tu sais. Alors c’est ça, je ne suis pas convaincue que c’est un instinct génétique des gènes là, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de... Je regarde mes petits neveux, parce qu’ils sont trois gars, ils n’ont pas reçu de poupées là! Ils ont reçu des Tonka et ils ont reçu, et des fois, de temps en temps, il y avait un livre de Caillou là, ça c’était ce qu’ils avaient de plus intellectuel! (Marie)

Jean-François complète le point de vue de Marie en insistant sur l’aspect passif des attentes que les parents et la société en général entretiennent à l’égard des enfants. En recourant à la figure de la célèbre Barbie, il indique le deuxième rôle que l’on attend d’une petite fille une fois adulte : la femme séduisante.

Bien je parle au point de vue de la culture en tant que telle, je parle au point de vue de la société, et quand je dis encourager, ce n’est pas seulement actif : t’as aussi plein d’incentives passifs qui a, mais on regarde simplement les jouets qui sont faits là... Le classique truck de pompier et une Barbie rose avec des longs cheveux blonds, ça représente justement la différence qui a. […] Alors c’est quelque chose qui est imposé, pas imposé, mais plutôt fortement suggéré. On te met dans un environnement où il y a ça, alors tu fais avec ce que t’as, ton environnement, qui est déterminé par les autres. (Jean-François)

C’est à partir de cette perspective constructiviste que Francis s’interroge sur les moyens qu’il mettra en œuvre afin d’amenuiser les effets structurants du genre sur ses propres enfants. Il fait remarquer que les parents doivent user de subtilités dans la socialisation. Selon lui, si les enfants risquent le rejet de leurs pairs s’ils ne s’identifient pas à leur genre, ils risquent tout autant l’étrangeté à eux- mêmes s’ils abondent trop dans le sens du stéréotype :

Mais je trouve que c’est peut-être plus délicat, parce que le carcan féminin est très, très oppressant. […] Mais la femme, étant très, très exposée à ça, je pense que j’essaierais de faire en sorte que mon enfant, si c’est une fille, soit, sans qu’elle se sente aliénée du reste de la société - ce qui serait d’un point de vue du développement, terrible - mais qu’elle ne s’y sente pas trop à l’aise, car elle pourrait juste se perdre là-dedans. J’ai vu des collègues féminins au secondaire qui n’étaient ni trop genrées, ni pas assez genrées, donc elles n’étaient ni exclues, ni aliénées, et elles arrivaient à se débrouiller. (Francis)

6.1.3.1 À l’école

Sur la question de l’instruction et des débats sur l’échec scolaire des garçons, le modèle du droit à l’égalité refuse les explications reposant sur les besoins différenciés ou la thèse du manque d’identification à un professeur de sexe masculin. Quant aux solutions diffusées dans les médias, dont le retour aux classes non mixtes, les jeunes y voient une attaque à la diversité et un frein au développement personnel des individus :

[…] je trouve encore une fois qu’on ne s’attarde pas aux bons problèmes, on s’attarde à : "ok, est-ce qu’on va avoir un environnement plus féminin, moins féminin, plus de gars, est-ce qu’on devrait les mélanger ou les séparer et dans le fond optimiser les deux vers chacune une éducation spécialisée?". Mais tant qu’à moi tu regardes la personne. […] La fille là, ça se peut qu’elle aime le football, ça se peut qu’elle aime ça, du même point que ça se peut qu’un gars n’aime pas le football! (Jean-François)

Un des enjeux de ce débat est alimenté par l’hypothèse que les garçons ne seraient pas adaptés à suivre un enseignement magistral au même titre que les filles. Alors qu’elles posséderaient la docilité de façon innée, les garçons ne pourraient contrôler leur besoin physiologique de bouger, ce qui expliquerait le plus grand pourcentage d’échecs scolaires. Une solution populaire à ce problème est l’ajout de périodes d’éducation physique à l’horaire des garçons. Gabriel, dont le discours est à cheval entre les deux modèles culturels, réagit. Il ne se reconnaît pas dans ce besoin de bouger qui serait un trait biologiquement fondé chez les individus de sexe masculin. Se définissant comme bisexuel davantage attiré vers les hommes, il formule son analyse en se défendant contre les stéréotypes sur les lesbiennes et les gais, qui s’appuient sur une inversion des traits et des comportements sexués :

Et moi, je ne suis pas d’accord, que les gars ont besoin de bouger plus, je ne suis pas d’accord. Moi je suis un gars, et ce n’est pas parce que je suis gai, j’étais très, très content d’être dans ce système-là, parce qu’il fittait avec moi. Pas parce que je suis un... Et il y a un de mes amis hétéro, si on avait un doute sur ce que je dis, c’est pareil pour lui. Ce système-là fonctionnait très bien, et les cours d’éduc., il n’aimait pas ça. Alors de dire « Il faut que les gars bougent, se défoulent », peut-être qu’il y en a plus,

oui, mais si on veut modeler les cours en fonction des besoins spécifiques de différentes classes de personnes, catégories de personnes je veux dire, bien ça ne se fait pas en fonction du sexe. C’est comme y aller à peu près, y aller en fonction du sexe. Ce n’est pas moderne du tout. (Gabriel)

Ainsi, là où le modèle de l’harmonie naturelle la pense en termes de nécessité, le modèle du droit à l’égalité associe la différenciation sexuelle à une époque archaïque. Sans nier les phénomènes de genre, ces jeunes proposent des alternatives afin de diminuer les inégalités entre les sexes. Marie souhaiterait que le rôle de l’école ne soit pas un lieu de reproduction des inégalités, mais plutôt une institution qui contribuerait à compenser le traitement différencié des enfants dans la sphère privée :

Q : Est-ce que tu crois que l’éducation devrait être différente selon qu’on s’adresse à un gars ou à une fille?

R : Oui et non. Non dans le sens qu’il faut qu’à la fin admettons de leurs études, primaires ou secondaires, qu’ils sortent avec les mêmes connaissances, aptitudes et habiletés. Mais je pense que dans la façon d’apprendre il y a quelque chose à faire. Justement, l’éducation, et le meilleur exemple c’est une de mes amies là, les filles, de par notre façon, de par notre éducation, on a plus tendance à jouer aux poupées et les petits gars, à faire des blocs Lego. Ça, ça fait qu’au bout de la ligne, les gars ils sont bons en maths et en 3D, et les filles sont ultra poches. Moi j’ai une de mes amies, que sa mère lui a acheté un petit livre de 3D, et quand elle était petite, elle jouait avec ses blocs 3D, et quand elle est arrivée en maths, elle était super bonne! Bien moi aussi j’étais capable de le faire, mais elle avait vraiment plus d’habiletés. Alors c’est dans ce sens-là, je pense que l’éducation [l’école] il faut qu’elle soit faite différemment, pour aller combler les lacunes qui sont présentes de par la façon dont les autres les éduquent. (Marie)

Enfin, Francis propose une explication sociale et une piste de solution globale à un problème qu’il considère social. Il croit que l’écart entre la culture scolaire et la culture populaire est trop grand :

Les enfants, ce n’est pas vrai que l’école les définit absolument là, ils se définissent aussi par ce qu’ils écoutent à la télé, ce qu’ils grignotent, ce qu’ils regardent comme films, comme téléséries, ce que leurs parents leur disent, ce que leurs amis font. Et tout ça est rarement complètement cohérent avec ce qu’ils voient à l’école. […] Donc je dirais que si on veut que les garçons aient plus de facilité à l’école, si on réalignait la culture populaire qui érotise des choses qui sont insidieuses, qui sont superficielles... C’est-à-dire que développer de l’intelligence serait perçu comme étant quelque chose d’attirant […] il y aurait cette espèce de drôle de réflexe-là, que l’homme exigeant de la femme l’intelligence, et la femme exigeant de l’homme l’intelligence, et l’intelligence étant porteuse d’une capacité critique et de remise en question des valeurs, ça accélérerait non seulement l’instruction, ça valoriserait l’école, les gens seraient plus passionnés, les professeurs seraient plus intéressés. (Francis)