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Transport primaire

Chapitre V. Histoire

4. Transport primaire

Le recensement des blessés et tués sur les routes est devenu plus systématique et plus médiatique.

Le code civil par son article 81 prescrit aux officiers de Police de dresser un procès verbal en cas de « signes ou indices de mort violente ». Ainsi, les accidents routiers mortels sont comptabilisés depuis 1825. A partir de 1950, les forces de Police et de Gendarmerie sont tenues d’enregistrer la totalité des accidents ayant occasionné un dommage corporel, mortel ou non. L’exploitation des renseignements tirés des procès verbaux de Police et Gendarmerie sont exploités par le service d’études et de recherches sur la circulation (SERC) de 1954 à 1967 puis par le Service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements (SETRA). On distingue les tués, victimes décédées sur le coup ou dans les 6 jours, et les blessés qui se distribuent en blessés graves dont l’état nécessite une hospitalisation supérieure à 6 jours et les blessés légers pour lesquels l’hospitalisation est nulle ou inférieure à 6 jours. Les chiffres du SETRA sont complétés par ceux de l’INSERM depuis 1968.

Ce n’est donc pas une augmentation inquiétante des accidents de la route qui, dans les années 1950, éperonne la sensibilité publique, c’est la connaissance précise annuelle du nombre de tués. Aux Etats-Unis, la route tue plus que la guerre. En 1965, on déplore 1724 morts au Vietnam, 49 000 sur les routes ; 6 110 blessés au Vietnam, 3 500 000 sur les routes137.

Au début des années 1960, on assiste à un changement de paradigme : le conducteur n’est plus nécessairement seul coupable en cas d’accident. Il est admis que les voitures peuvent en elles-mêmes et à elles seules être responsables

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Toujours aux Etats-Unis, la guerre a tué 605 080 américains en 190 ans et 1 500 000 sont morts sur les routes en 25 ans.

d’accidents souvent mortels. L’avocat Ralph Nader138 a eu une influence considérable sur la responsabilisation des constructeurs automobiles américains mais aussi européens.

La mort sur la route devient une mort imméritée. Les rescapés porteurs de séquelles handicapantes se liguent en association. Ils vont participer à une conversion du regard sur le handicap de l’adulte.

Les secouristes en association, les ambulances municipales, les cars police

secours, les sapeurs-pompiers139… Tous se lancent sur les routes pour sauver des

vies humaines. La route alimente une « industrie de services ».

« A Toulouse, c’était la police qui se déplaçait. On couchait la victime sur un brancard et on la conduisait à l’hôpital le plus proche sans autre forme de soin. Tout cela était réalisé avec la meilleure volonté du monde, par des agents qui avaient reçu une formation élémentaire de secourisme. Mais ils ne savaient ni ne pouvaient prendre toutes les précautions requises. Et ils perdaient forcément beaucoup de temps140. »

Louis Lareng, président de la SFAAR de 1964 à 1972, conclut par une formule lapidaire devenue célèbre qu’il attribue à son confrère de Marseille, le Pr Marcel Arnaud : « On ramassait un blessé, on transportait un agonisant, on hospitalisait un mort ».

Ces trois éléments vont forcer la main du corps médical et l’engager dans un processus qui fait encore long feu : la médicalisation pré-hospitalière.

Mais ces médecins pionniers de la médecine d’urgence hospitalière étaient peut être aussi lancés dans une stratégie de légitimation interne d’un champ médical en lutte pour la reconnaissance de compétences acquises lors des transports secondaires. Dès lors, les grandes figures de l’anesthésie-réanimation naissante font pression sur les pouvoirs publics. Les décrets de décembre 1965 imposent à 240 hôpitaux de France l’allocation de lits pour l’hospitalisation des victimes d’accidents et la dotation en véhicules de secours qui seront appelés « services médicaux d’urgence routière » ou « services mobiles de secours et de

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Ralph Nader, Ces voitures qui tuent, trad. A. M. Suppo et A. de Pérignon, Paris, Flammarion, 1966.

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L’écart entre « Blancs » des SAMU et « Rouges » des services d’incendie et de secours est toujours présent et ravivé de façon récurrente. Un discours à charge du SAMU par un officier de sapeurs-pompiers en 2006 a imposé la réunion d’un comité quadripartite et la rédaction d’un rapport visant à harmoniser les pratiques (juin 2008). Ce rapport est désormais le support incontournable pour la rédaction du renouvellement des conventions départementales signées entre SDIS et SAMU.

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soins d’urgence routiers » (SMUR)141. Ils ont vocation « d’assurer aussi souvent

que possible la présence de personnel médical ou paramédical auprès des malades ou des blessés en état de détresse, avant même leur transport » pour « augmenter leurs chances de survie, empêcher l’aggravation de leur état, faciliter leur guérison ». Un des principes réside dans l’effacement de « la solution de continuité qui existe parfois entre l’action des équipes de secours et l’action des équipes de soins142 ».

Le principe et l’efficacité des SMUR ne seront désormais évalués qu’à l’aune de leur coût financier. Mais pour créer une véritable chaîne de soins du « pied de l’arbre » à l’hôpital approprié sans solution de continuité, il faut un système dont l’objectif répondrait à la règle des 3 R, forgée par le chirurgien Nord-américain Donald D Trunkey à tout autre dessein, nous allons le comprendre plus loin : Good trauma care depends on getting the right patient to

the right place at the right time. Le « bon » patient, au « bon » endroit et au

« bon » moment. C’est la vocation du centre de réception et de régulation des

appels (CRRA) alias centre 15 des SAMU. On doit à René Coirier143 l’acronyme

SAMU pour initialement « service d’assistance médicale urgente » puis définitivement « service d’aide médicale urgente ». L’acronyme est devenu un mot, Samu, décliné sous divers modes que ce soit dans l’expression Samu social ou dans le langage courant comme le signifiant tout à la fois de l’urgence et de l’excellence.

Le CRRA15 du SAMU est un service qui efface l’espace entre le médecin

et le patient. Par le téléphone, le domicile et l’hôpital se confondent. Instantanément, le médecin régulateur est présent et peut faire agir proches et témoins d’une urgence médicale. Certains ont proposé la belle formule de « Gardien du temps » à défaut d’en être le Maître. Mais c’est quand même la maîtrise des délais d’intervention qui est la marque du métier. Le médecin régulateur est celui qui décide du temps de l’urgence, une fonction totalement inédite dans le champ de spécialités médicales qui recouvrent la surface du

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Décret n° 65-1045 du 2 décembre 1965 complétant le décret n° 59-957 du 3 août 1959 et instituant l’obligation pour certains établissements de se doter de moyens mobiles de secours et de soins d’urgence. L’acronyme SMUR sera redéfini en service mobile d’urgence et de réanimation en 1966 par Louis Serre à Montpellier.

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Circulaire du 22 juillet 1966 relative à l’organisation hospitalière des secours médicaux d’urgence.

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Responsable du bureau de la défense au Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale. Le SAMU de Grenoble porte son nom.

triangle que constituent victimes ou témoins, moyens de transport et hôpitaux de destination.