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Chapitre VIII. Vérité

1. L’indice

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Ibid., p. 66.

278

Alan F. Chalmers, Qu’est-ce que la science ? Popper, Khun, Lakatos, Feyerabend, op. cit., p. 107.

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Un taux de troponine cardiaque est considéré comme anormal s’il dépasse une valeur seuil de référence correspondant au 99e centile des valeurs obtenues dans un groupe de référence. Le 99e centile correspond à la valeur de taux sanguin de troponine cardiaque à laquelle 99 % des dosages de troponine dans une population « normale » de référence sont inférieurs. On place à raison l’adjectif normale entre guillemets.

Au commencement d’une enquête, on cherche des traces comme les chasseurs d’animaux sauvages ; toute trace de vie… On se souvient que Robinson découvre un jour sur l’île déserte une trace de pas :

« S’agissait-il de celle d’un autre homme ? Ou bien était-il depuis si longtemps dans l’île qu’une empreinte de son pied dans la vase avait eu le temps de se pétrifier par l’effet des concrétions calcaires280 ? »

La trace est l’association d’une absence et d’une présence, l’association de quelque chose qui a disparu et de quelque chose qui a été laissé. C’est le principe de Locard281 ou principe d’échange : « tout contact laisse des traces ». Par exemple, l’assassin laisse une trace sur le lieu du crime – empreintes digitales, brins d’ADN… – et en emporte une – traces de sang, traces de boue… – qu’il garde involontairement sur lui. Transfert, persistance et pertinence qualifient la trace que recherche l’enquêteur. Après avoir commis un assassinat, le personnage de la nouvelle de Bradbury, Les fruits posés au fond de la coupe282, se refuse à laisser sur les lieux du méfait la moindre trace qui permettrait aux enquêteurs de remonter jusqu’à lui. Il va donc procéder à un nettoyage méticuleux de tous les objets qu’il pense avoir manipulés. Les policiers l’interpellent alors qu’il œuvre au grand nettoyage du domicile de sa victime. Une seule trace suffirait à le confondre alors que l’absence de trace ne peut nécessairement le disculper. Le policier

traque le criminel, le meurtrier, l’assassin ; le médecin la cause de la maladie, de

la souffrance, de la blessure… Seule la psychanalyse cherche à donner un sens et non une cause au symptôme.

On retrouve la trace dans le mot « traçabilité ». La traçabilité est le processus qui permet de retrouver à chaque étape des soins, une trace du patient et parfois du soignant. On parle aussi de pathologies traçantes pour des maladies dont on va suivre l’évolution jusqu’à la guérison ou la morgue.

La trace et la traque rapprochent le médecin du policier. Ainsi la série TV

Dr House, qualifiée de série médicale, fonctionne comme une série policière. Une

énigme appelle une enquête qui conduit à un ou plusieurs suspects puis à un coupable, en l’occurrence une maladie ou un syndrome. La série est un hommage

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Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Paris, Gallimard, rééd. Folio, 1996, p. 66.

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Edmond Locard (1877-1966) a fondé à Lyon en 1910 le premier laboratoire de police scientifique.

282

Ray Bradbury, « Les fruits au fond de la coupe », in Les pommes d’or du soleil, trad. Richard Negrou, Paris, Denoël, coll. « Présence du futur », 1956.

explicite à Sherlock Holmes, le plus célèbre détective de fiction283. Mais le plus bel hommage est implicite. Pour créer son personnage, le Dr Arthur Conan Doyle s’était inspiré de l’un de ses maîtres. Durant ses études de médecine à Edimbourg, de 1876 à 1881, l’étudiant Doyle est marqué par deux professeurs, le Pr Rutherford et le Pr Joseph Bell (1837-1911). Ce dernier, par sa science de l’observation et de la déduction, lui inspire le personnage de Holmes284.

« La déduction subtile, insouciante, fulgurante, inspirée par un fil, un anneau de fumée, une éraflure que la plupart des simples mortels négligent, mais qui était tout pour Bell comme pour Holmes285. »

Ainsi, par ricochet, le professeur d’Edimbourg se trouve à nouveau incarné et cette fois-ci non plus dans le personnage d’un détective londonien mais dans celui d’un médecin nord-américain de Princeton, dans un odieux diagnosticien « pas physiquement programmé pour être poli286 ».

L’indice sera toute trace autre qu’une empreinte. L’indice, tout comme l’empreinte mais aussi le symptôme, une fois établi par un « acte de reconnaissance », s’identifient aux faits. L’acte de reconnaissance est le processus qui advient lorsqu’un observateur interprète un événement ou un objet, produit naturel ou de l’action humaine, un fait parmi les faits, « comme l’expression d’un contenu donné287 » L’empreinte est une corrélation posée en règle288. Le symptôme médical est une expression bien codifiée – préétablie donc – qui en théorie contient la classe de toutes les causes possibles. L’indice– quant à lui, est rarement codifié et son interprétation est plus souvent question d’inférence. C’est, selon Umberto Eco, « ce qui rend les romans policiers plus passionnants que les

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On retrouve quelques indices récurrents qui signent l’air de famille des deux personnages. Gregory House n’a pas de biographe mais c’est un confrère très proche, le Dr James Wilson, qui fait figure de Dr Watson. Ce n’est pas l’usage de la cocaïne mais la surconsommation de codéine sous forme d’hydrocodone qui est à l’origine de sa dépendance. La musique rapproche les deux personnages même si le violon a cédé la place à la guitare électrique ou au piano selon les épisodes. L’appartement privé du chef de service de médecine interne du Princeton-Plainboro Teaching Hospital porte le numéro 221B. Enfin, House et Holmes sont tous deux proches de

home, le premier par synonymie et le second par phonétique.

284

Lucien-Jean Bord, Dictionnaire Sherlock Holmes, Paris, Le cherche midi, coll. « Néo », 2008, pp. 39 et 87. Le Pr Rutherford servira de modèle au Pr Challenger dans Le Monde Perdu.

285

Ely M. Liebow, L’homme qui était Sherlock Holmes. Une biographie de Joseph Bell, Trad. Dominique Goy-Blanquet, Paris, Baker Street, 2009, p. 34.

286

Dr House, saison 5, ép. 11.

287

Umberto Eco, La production des signes, Paris, Librairie Générale française, 1992, p. 72.

288

L’empreinte renvoie à la fois au processus de la métaphore car elle ressemble ou représente l’agent imprimeur et à celui de la métonymie car elle fait preuve d’un « rapport préalable de contiguïté entre empreinte et agent imprimeur ». (Id., p. 73)

diagnostics médicaux ordinaires289 ». Pour Charles Sanders Peirce, le rapport nécessaire à l’objet, dont il fait signe, et contingent à l’interprétant distingue radicalement l’indice (index) des autres catégories sémiotiques290 que sont l’icône et le symbole.

« Exemple : un moulage avec un trou de balle dedans comme signe d’un coup de feu ; car sans le coup de feu il n’y aurait pas eu de trou ; mais il y a un trou là, que quelqu’un ait l’idée de l’attribuer à un coup de feu ou non291. »

L’indice renvoie toujours à un objet différent de lui-même qui le détermine en vertu de la relation réelle qu’il entretient avec lui. Mais l’indice n’affirme rien, il n’intervient que sur un mode impératif ou exclamatif aussi peut-on qualifier d’indiciaire tout signe clinique physique. Si le symptôme médical ne parvient pas à saturer le signe clinique, l’indice peut l’y aider. Les signes médicaux se nourrissent autant du symptôme, fait parmi les faits, que de l’indice, signe parmi les faits. Si le symptôme d’une maladie est absent, il faut en chercher les indices dans l’examen paraclinique. C’est le propre des examens sanguins, des radiographies de dépistage avec leurs limites propres. La trace nous a conduit à l’indice mais celui-ci doit encore faire ses preuves.