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2 Corpus d'observatoires Catalyse

2.5 Un système d'information multimédia au service des acteurs : l'exemple du projet Eugénia

2.5.7 Transfert et formation en fin de projet

Dans le cadre d'un déplacement en Roumanie, en juillet 2002, à propos des thèmes de recherche 3 (Développement de nouvelles filières) et 4 (Protection par la valorisation), avec l'Université du 1er Décembre, et l'Institut de management territorial, un travail de restitution – interprétation collective a été initié, pendant lequel nous avons pu constater la complexité de l'organisation hiérarchisée du transfert ainsi que l'importance des distances culturelles et professionnelles.

2.5.7.1 Organisation du transfert

Le transfert doit pouvoir parfois s'organiser sur plusieurs niveaux. Nos partenaires Roumains se sont entourés de deux structures d'enseignement supérieur : l'Université du 1er Décembre, créée il y a 10 ans environ, et l'Institut de management, dont l'objectif de formation à la création d'entreprises et d'activité le rapproche naturellement des thématiques qui nous concernent. Certaines situations politiques complexes ont favorisé l'implication de ces deux structures externes au département d'Alba Iulia : elles ont finalement conduit les diagnostics préalables aux actions proprement dites dans les deux thèmes concernés, en voulant expérimenter une première approche de la méthode Catalyse dans ces contextes particuliers.

Comme souvent dans ce type de programme européen, le démarrage du travail concret est un peu lent. Les partenaires doivent apprendre à se connaître, comprendre ce que fait chacun, intérioriser les objectifs et ambitions du programme, en voir la traduction sur son terrain et ses implications. Pour ces raisons, et bien d'autres, le travail sur le premier diagnostic en Roumanie a été lancé tardivement.

La méthode de transfert utilisée a consisté à associer au maximum les partenaires aux différentes phases de travail, de la conception méthodologique adaptée au contexte, à l'accompagnement à la réalisation d'actions, sans omettre ici la spécificité propre au projet, qui fait que nous nous trouvons en situation de former des accompagnateurs - formateurs, de troisième ligne, à la différence d'autres projets où nous formons des acteurs de seconde ligne.

Cette situation devrait rendre plus aisée les phases d'abstraction utiles à l'appropriation de ce type de méthodologie. Se dessine peu à peu une praxéologie propre à la communication en intelligence territoriale, dans le sens où nous sommes amenés à analyser l'action avec une démarche pédagogique et communicationnelle.

L'objectif concret est ici de briser les pratiques habituelles des partenaires universitaires lorsqu'ils interviennent sur un territoire. Leur méthode classique est linéaire et inverse à Catalyse : partant de ce que nos partenaires roumains ont nommé "l'analyse- diagnostic", nous nous sommes rendus compte que leur premier acte est d'effectuer un bilan de type SWOT : points forts et points faibles, moteurs et freins au développement sur la zone. Ce travail est réalisé la plupart du temps par eux-mêmes et leurs étudiants. Certains aspects se rapprochent de ce que nous nommons analyse contextuelle territoriale, et qui donne lieu dans Catalyse au développement d'outils spécifiques (SIT en particulier). Ces travaux sont traditionnellement présentés par les universitaires aux acteurs de terrain, comme fruit de leur réflexion, résultats qu'ils accompagnent de préconisations dictées par leurs études et expériences.

Cette approche visant à creuser l'écart entre les deux mondes de la recherche scientifique d'une part, et du terrain d'autre part, a pour conséquences :

• de limiter la communication à une instance de type formation scolaire, où le maître enseigne à des élèves ce qu'ils doivent faire.

• de sous-entendre que le monde du terrain est éloigné, voire étranger au moindre concept scientifique, ce qui revient à dénigrer sa diversité et sa valeur, et nier la capacité des personnes qui le composent à faire preuve d'intelligence.

Les méthodes participatives prônées dans les principes de l'Intelligence Territoriale préconisent des attitudes professionnelles comme communicatives contraires, où la personne qui réalise les actes techniques indispensables (analyse statistiques, cartographies, documentations…) intervient comme une ressource au service du projet, un outil d'aide à la décision, et non comme l'entité puissante par la possession et la maîtrise de l'information, qui va dicter à d'autres les actes à accomplir. Encore une fois, l'utilisation de l'information doit être le privilège du consortium des acteurs, l'interprétation doit être partenariale, tout comme la décision, la mise en place, le suivi et l'évaluation des actions.

La procédure type pensée dans Catalyse a été présentée par JJ Girardot [GIRARDOT 2002] : il s'agit ici d'illustrer l'instance de transfert nécessaire à la bonne réalisation de l'étape de restitution des résultats d'un diagnostic des besoins collectifs à la population, phase qui consiste surtout à mener une réflexion commune sur la situation globale afin d'élaborer de nouvelles connaissances sur ce territoire, qui permettront alors d'élaborer les actions adéquates au développement territorial.

Cette étape se concrétise dans la rencontre de tous les acteurs impliqués dans le projet de développement, préalablement mobilisés selon le schéma vu précédemment (p. 92). Il arrive que nous soyons confrontés alors à une situation d'interlocution, où certains acteurs (universitaires ou non d'ailleurs, il s'agit plus d'une attitude face au terrain que d'une fonction restreignante) ne laissent que très peu de place aux initiatives personnelles des partenaires. Il est alors difficile d'instaurer une nouvelle instance de communication propice au travail commun tel que pensé dans Catalyse.

Contrairement à ce qui est attendu du déroulement d'interlocutions "spontanées", cette instance de communication repose sur une préparation fine qui vise à réguler le déroulement chronologique, les phases et points à traiter, les prises de parole contrôlées. Il ne s'agit pas toutefois d'installer une communication frontale de type magistral.

Les axes d'organisation majeurs, qui construisent une grille méthodologique communicationnelle, sont :

• thématiser les interventions dans le sens de la méthode Catalyse (cette phase idéalement se situe en amont de la réunion mais peut ressurgir en urgence). Il s'agit alors de modifier les éléments présentés, dans leur ordre, leur contenu, leurs commentaires (textes, cartes, tous supports…).

• si cette réorganisation n'est pas possible, tout en restant souhaitable, il s'agit alors de co- construire, par des interlocutions évaluatives fondées sur les principes méthodologiques, une hiérarchie des éléments à communiquer et des rôles à préserver.

• Faire évoluer le déroulement de la communication vers une prise de distance qui, par la verbalisation et le dialogue, permet aux acteurs cibles du transfert de devenir acteurs opérationnels de cette co-construction.

Notre objectif est de tendre vers des activités de formation active, en vue d'un transfert effectif ; pour ce faire, nous favorisons de la part des apprenants une réflexion

intellectuelle sur et à partir de leurs activités, en leur présentant d'autres exemples réels, et en effectuant un accompagnement pédagogique constant d'analyse de leurs propres pratiques. L'idée est de produire de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences à partir de situations existantes. Transformer le réel tel qu'ils l'entendent habituellement, par de nouveaux outils, par une nouvelle approche, doit induire une transformation identitaire : parallèlement se met en place une production de représentations et de savoirs sur leurs actes, qu'il faut ensuite analyser et digérer. Cette réflexion doit mener dans les faits à un nouveau positionnement institutionnel et personnel : les rôles et fonctions de chacun vont évoluer ; les enjeux stratégiques vont donc être modifiés, il faut à la fois les déterminer, et en accepter les nouvelles règles.

Le cas du programme Eugénia est révélateur du fonctionnement en réseau de multiples acteurs de terrain aux cultures différentes. Ces acteurs ne sont pas seulement issus de pays aux langues et cultures éloignées, mais aussi de professions et d'expériences laborales disparates. Il conviendrait donc ici de s'intéresser aux éléments moteurs d'une part et bloquants de l'autre : dans l'optique de la construction commune de stratégies d'intervention territoriale, comment vouloir, ou plutôt comment réussir à développer collectivement des méthodes et outils d'Intelligence Territoriale ?

2.5.7.2 Distance culturelle, distance professionnelle

A la manière de Chambers et Iser qui évoquent à la fois la distance culturelle, sociologique qui existe entre une œuvre littéraire et son lecteur, lorsqu'ils expliquent la pesante présence de l'horizon d'attente du lecteur face à l'œuvre, il est possible, dans le champ de l'observation et du diagnostic territorial, de transposer leurs théories aux pratiques rencontrées dans Eugénia.

Il existe en effet une distance non négligeable entre la plupart des acteurs de terrain et les "porteurs" de méthodologies éprouvées. La difficulté est souvent de tendre à réduire la période d'appropriation, de compréhension des phénomènes et de leurs processus, afin de réellement agir sur le terrain de façon efficace.

Selon les groupes, leur homogénéité, leur cohérence linguistique et culturelle, selon les compétences des porteurs de projets locaux (disons de proximité), cette période peut être plus ou moins longue, mais surtout plus ou moins bien vécue. Or nous fonctionnons dans

des terrains humains où le "ressenti" est primordial, puisqu'il est à même de faire capoter le projet très rapidement et de façon irrémédiable. Le travail à fournir pour remplir le contrat préétabli est alors considérable.

La base fondamentale est alors d'établir des stratégies de communication utilisant deux paramètres d'efficacité :

• l'identification des personnes-relais indispensables • la périodicité (régularité, moments-clés…)

Il est important de souligner quelques points de communication utiles au travail collaboratif :

• aspects stratégiques inhérents à ce type de projets européens à visée territoriale • contenu clair mais solide, attractif et pérenne

• expression consensuelle mais efficace, prenant en compte l'ensemble des partenaires • lisibilité, objectivité, efficience, interface

L'idée qui sous-tend ces propos est que le transfert de méthodes et d'outils est intimement lié à l'instance de communication ; la qualité de ce transfert dépendra autant de l'accompagnement que du travail fourni, qui doit être organisé comme une application pratique et concrète des concepts méthodologiques présentés.