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Chapitre 4 Les logiques autour du soutien aux enfants orphelins en pays moss

4.1 La valorisation du transfert d’enfants orphelins en pays mossi

4.1.2 Le transfert d’enfants orphelins : le « changement de case »

Comme dans nombre de sociétés d’Afrique de l’Ouest, le transfert d’enfant, connu également sous le terme de confiage, est très répandu chez les Mossi (Goody, 1975, 1982; Lallemand, 1981, 1993). Ces transferts d’enfants jouent plusieurs rôles : relation d’alliance entre groupes, restauration d’un « équilibre démographique ou économique » dans le but d’une « reproduction matérielle et sociale » (Isuigo- Abanihe et Wusu, 2006; Vandermeersch, 2002). Les motifs qui amènent les parents à « donner » ou à « recevoir » un enfant varient d’un contexte à l’autre. Au nombre de ceux-ci, figure la perte d’un ou des parents biologiques.

Chez les Mossi, la perte d’un parent, notamment le père, est souvent accompagné du transfert des enfants orphelins. Les Mossi conçoivent que le père ne peut pas remplacer efficacement la mère dans son rôle d’éducation, et vice versa. Les parents biologiques (parents géniteurs) ou leurs représentants immédiats occupent une place centrale dans l’éducation des enfants, bien que chaque membre adulte de la famille élargie ait l’obligation de veiller à cette tâche. Dans ce contexte, disent-ils, le décès d’un parent (géniteur ou éducateur)marque une rupture qui ne peut être rectifiée que par ce qu’ils appellent un « changement de case » pour l’enfant, c’est-à-dire son transfert. Ce « changement de case » évoque l’idée d’une mobilité résidentielle qui, disent-ils, ne signifie pas une séparation exclusive de l’enfant orphelin d’avec le reste

52Dans le cadre d’une enquête sur les enfants orphelins conduisant au rappel des circonstances du

décès des parents, la maîtrise du vocabulaire en rapport avec la mort, est cruciale. Un mot mal placé peut influencer négativement le déroulement des entretiens, voire la qualité des données recueillies. Sur le terrain, tenant la liste des enfants de tous les ménages retenus, avec le statut de survie de leurs parents, nous commencions par prendre des nouvelles de chaque enfant, en évoquant leur prénom. Un tel se porte-t-il bien? Comment va X? Il doit être à tel niveau pour ses études. Tout se passe-t-il bien? Avez-vous des nouvelles de ses parents (pour ceux qui ne sont pas fils ou filles du chef de ménage, sachant que cette question pouvait conduire à l’évocation du décès du parent ou des parents de l’enfant)? Cette entrée, apparemment banale, dans le vif de nos entretiens, semble porter fruit. Elle nous a permis, entre autres, de suivre le vocabulaire de nos enquêtés en ce qui concerne l’évocation du décès des parents.

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de la famille. S’il est vrai, affirment-ils, que ce « changement de case » place l’enfant sous la responsabilité rapprochée d’un « père » et d’une « mère », dont le rôle primordial est d’assurer l’éducation de ce dernier, il n’en demeure pas moins vrai que les autres membres de la famille élargieont aussi l’obligation de participer à cette éducation.

Il est bon que l’enfant orphelin change de case…On lui change de case pour mieux assurer son éducation. Si c’est son père qui est parti (décédé), on doit lui trouver une case, la case de son frère aîné ou du frère de son père, où il aura l’occasion de voir à la fois un « père » et une mère qui lui sont proches. Si c’est sa mère qui l’a laissé (qui est décédée), on doit lui trouver une case, le plus souvent, celle d’une de ses marâtres, où il aura à la fois un père et une « mère » dans son environnement immédiat. Les autres membres de la famille viendront en appui. Cela est d’autant plus important que l’enfant doit grandir avec le sens du respect, de la soumission et de l’effort... Dans un foyer, l’homme est le chef, et la femme doit lui être soumise. L’enfant doit être habitué à voir comment fonctionne cette règle dans le ménage. S’il y a quelqu’un qui manque dans le ménage, c’est-à-dire un « parent », il y a problème. C’est pour cela qu’on dit, chez nous, les Mossi, que si le « veau ne connaît pas le lion (le chef, l’autorité), qu’il demande à sa mère ». Ce sont les parents qui inculquent le sens du respect et de l’autorité aux enfants. Des fois, rien qu’en observant un enfant, on peut savoir dans quel type de famille il est élevé, c’est-à-dire si le père joue son rôle ou si la mère est bien à sa place. « La force du chien est sa cour » (chaque père de famille est maître de sa cour). Quand le père décède et qu’un changement de case n’est pas fait, c’est la société qui est en faute. On dit que « quand le propriétaire de la chèvre n’est pas là, elle donne naissance à des chevreaux » (quand l’autorité d’un père de famille fait défaut, les enfants développent des attitudes que la société n’accepte pas (E15-A-OP).

En effet, chez les Mossi, l’antériorité, c’est-à-dire le fait d’être né avant l’autre, confère les attributs d’autorité. « Un petit n’est pas un grand », disent-ils, pour signifier que chacun doit rester à sa place. Le père a de l’autorité dans sa cour, et, rappelons-le, l’aîné a de l’autorité sur le cadet. Ce principe d’autorité se manifeste également entre hommes et femmes, pères et fils. Ce qui interpelle particulièrement l’observateur étranger dans cette société, c’est, entre autres, la valeur accordée au sexe masculin et au statut d’aîné dans la définition des rapports sociaux. Il y a un devoir de respect de chacun envers tous, mais plus particulièrement envers les plus âgés. Que de fois n’entend-on, dans cette société, la formule suivante : « tout individu qui a vu le soleil avant toi peut te montrer le chemin de la vie ». Le statut d’aîné confère des devoirs envers les cadets, mais il est aussi entouré de privilèges : le

119 respect des cadets. En raison de ce devoir de respect des cadets, les aînés doivent savoir se contrôler dans leurs rapports vis-à-vis de ceux-ci : le contrôle dans les propos, le contrôle dans les échanges, le contrôle et la réserve dans tous les aspects de la vie. C’est du moins ce que nous apprend ce proverbe, assez récurrent chez les Mossi : « si tu manges le tô (pâte de maïs) avec l’enfant, il te demandera de l’accompagner aux toilettes »53.

Les membres d’une même concession54entrent dans les cases et y ressortent, sans la

moindre précaution. Il en est de même pour les échanges de plats, de paroles, etc. Il est difficile, en l’absence de précision, de distinguer les résidents des ménages d’une même concession. Toutefois, l’accès des individus appartenant à d’autres concessions à ces cases, semble être régulé. Concernant ces résidents d’autres concessions, un accès est souvent demandé par un geste de tapage des mains, en guise d’avertissement ou de signalisation de l’intention d’accès.

Il semble que les enfantsen visite à leurs amis de concession voisine se distinguent facilement des enfants de la concession visitée : les premiers émettent de la réserve dans l’accès aux chambres, à l’usage des ustensiles de cuisine, etc., alors que la deuxième catégorie d’enfants se révèle plus entreprenants.

Lorsqu’il s’agit d’envoyer les enfants faire un achat ou une commission dans le quartier ou chez le voisin, les enfants visiteurs demandent souvent l’accord de leurs parents avant d’accompagner leurs amis. C’est dire que l’idée selon laquelle les enfants appartiennent à toute la famille ou à la communauté, qui en assure

53 Les cadets mangent entre eux. Si un aîné se permet de manger avec un cadet, celui-ci trouvera dans

ce geste un si grand privilège qu’il cherchera à abuser, en exigeant une plus grande proximité.

54L’observation des quartiers dans lesquels nous avons menés nos entretiens nous a permis de noter

que, de manière distincte, chaque père de famille a sa cour (maison). Les maisons, souvent délimitées par un mur, sont organisées en concessions. À Polesgo et à Nonghin, les enquêtés ont plusieurs membres de leur famille élargie aux alentours de leur concession, mais aussi en retrait dans le quartier. Chaque fois qu’un enquêté devait faire référence à un membre de la famille, il nous montrait, du doigt, sa concession. « Vous voyez cet enfant, celui qui joue avec ses amis, là, à côté, c’est l’enfant d’un tel, mon frère d’à côté, dont je vous ai parlé tantôt... Il vient jouer tous les jours avec mes enfants, les enfants sont sans problème…Ils ne pensent à rien sinon qu’à leur ventre… », firent entendre certains de nos enquêtés, avec sourires. À Nioko2, à Tanghin ainsi qu’à Kilwin, nos enquêtés ont moins de parents dans leur entourage. « Ma sœur réside à Ouaga, mais elle est dans un autre secteur, elle est loin d’ici, à Ouaga inter, à 1200 logements, à Dassagros, etc. Sa maison là, ça vaut des kilomètres, seulement, je ne peux pas le dire de manière précise…Des fois, on part à vélo les voir…ou bien, si la mobylette d’un ami est disponible, on l’emprunte pour y aller », ont souligné quelques enquêtés. Dans les concessions, il y a plusieurs portes.

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l’éducation, ne doit pas faire perdre de vue l’existence de droits et de responsabilités spécifiques du père vis-à-vis de son ménage, c’est-à-dire ses enfants, les enfants d’autres membres de la famille accueillis dans son ménage, ainsi que ses épouses ou son épouse. Certes, dans cette société, l’importance de l’assistance aux autres membres de la famille ne peut être niée, mais elle n’est pas autant valorisée que la responsabilité de soutien à ses enfants et à sa femme ou ses femmes. Nous avons noté principalement deux types de responsabilité : une « responsabilité primaire » concernant son propre ménage et une « responsabilité secondaire » liée à la famille élargie.

La « responsabilité primaire » semble prioritaire par rapport à la « responsabilité secondaire ». Mais la première n’exclut ni ne dévalorise la deuxième, puisque, disent- ils, chaque membre internalise ses responsabilités et ses droits et sait à qui s’adresser prioritairement en cas de besoins. « Si un caillou tombe d’en haut, que chacun se protège la tête », disent-ils, pour souligner l’importance de cette « responsabilité primaire » dévolue au père, en ce qui concerne la gestion de son ménage. C’est au nom de cette « responsabilité primaire » vis-à-vis de son ménage que le lévirat et la redistribution des enfants orphelins aux membres de la famille sont éminemment valorisés dans la société coutumière en pays mossi. Il est important que chaque épouse ou chaque enfant ait son « toit », c’est-à-dire une protection rapprochée sous le couvert d’un père de famille. Le père constitue un « toit », aussi bien en ce qui concerne les processus décisionnels autour de l’enfant, qu’en matière de satisfaction de ses besoins.

Toutefois, les règles de filiation définissant les modes de transfert d’enfants orphelins ne sont pas toujours appliquées en pays mossi. En effet, ainsi que nous le soulignions au chapitre 1, selon ces normes de filiation, l’enfant appartient à la famille du père. Au décès du père, les frères de celui-ci ou l’aîné des enfants assurent la charge des enfants orphelins. Le lévirat est un mécanisme par lequel la veuve et les enfants orphelins sont maintenus dans la famille élargie. En d’autres termes, les sœurs du père défunt n’ont pas une responsabilité particulière en ce qui concerne l’accueil des enfants orphelins.

121 Il faut souligner, à la suite de Cook (1996), que dans la société coutumière en pays mossi, la pratique du lévirat et la redistribution des enfants orphelins à l’intérieur de la famille élargie reposaient fondamentalement sur les règles définissant l’accès aux héritages (terres, biens matériels, etc.). Dans la société contemporaine, notamment dans les villes, la définition de la filiation par rapport à l’accès aux terres ou aux héritages a perdu de son importance. Selon Badini (1994), chez les Mossi, le fonctionnement de ces normes de filiation définissant des droits et des devoirs supposent des instances sociales correctionnelles en cas de non-respect de ces normes. Dans la société coutumière, les personnes âgées assuraient ce rôle correctionnel. De nos jours, de plus en plus, les fondements de la filiation reçoivent un coup (Locoh, 2009), ce qui fragilise l’importance de la famille élargie dans le soutien aux enfants orphelins, en milieu urbain comme en campagne. En conséquence, bien que les normes de filiation soient connues, elles ne sont pas toujours appliquées en ce qui concerne le soutien de la famille élargie à la veuve ainsi qu’au regard de la circulation des enfants orphelins à l’intérieur de la famille. Les raisons qui justifient la fragilisation du soutien de la famille aux enfants orphelins chez les Mossi sont variées. Ces raisons s’inscrivent dans plusieurs logiques, et varient d’une famille à l’autre.