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Chapitre 2 Contexte, problématique et cadre d’analyse de la recherche

2.4 Cadre d’analyse

2.4.2 Hypothèses de la recherche

L’affirmation classique, qui souligne le caractère spontané et enthousiaste du soutien de la famille élargie aux enfants orphelinsen pays mossi met en avant l’harmonie de la famille élargie, et repose sur l’idée selon laquelle les substituts du père biologique, les frères ou le fils aîné de ce dernier, jouent leur rôle au décès de celui-ci. Elle présuppose le caractère consensuel de cette institution, notamment, du point de vue de la relation entre les frères d’une même famille, et n’analyse les relations matrimoniales que du point de vue des normes de filiation. Cette croyance en l’harmonie de la famille élargie se fonde, par exemple, sur l’idée que :

L’orphelin dans le contexte social et culturel africain a, en dépit du décès d’un ou de ses parents, toujours appartenu à une famille; il a toujours bénéficié de soins et d’attentions égales aux autres enfants dont les parents vivent toujours. Ce qui en l’occurrence ne permettait pas à la société de ségréguer les orphelins. En somme, il n’existait pas de difficultés pour tout orphelin de bénéficier, au même titre que les autres enfants, des avantages qui leur étaient accordés. Ne dit-on par ailleurs en pays mossi, au Burkina Faso, que « l’orphelin n’est pas une poule de sacrifice ». Ceci pour simplement rappeler à chaque membre de la communauté que l’orphelin ne doit pas servir de corvéable. S’il arrivait que les enfants fussent scolarisés dans cette communauté ou cette famille, alors l’orphelin y avait droit... (Yaro et Dougnon, 2003, p. 8).

En effet, bien que les règles de filiation soient connues, il est important, selon nous,de différencier le droit d’appartenance à une famille élargie de deux autres considérations : le caractère « approprié » dans tel ou tel cas (par exemple, l’âge et le sexe de l’enfant, l’existence d’anciens liens entre familles) ; ainsi que la possibilité matérielle et financière de la famille élargie de faire face aux besoins de ses membres. En d’autres termes, les obligations de la famille envers ses membres ne peuvent être engagées qu’à travers ceux qui sont réellement présents, mobilisables et motivés. Tout autre contexte aboutirait à un échec dans le transfert d’un enfant.

À l’analyse, l’étude du soutien familial aux enfants orphelins en pays mossi est révélatrice de la complexité du fait familial. En effet, la famille est une institution hétérogène qu’on ne peut pas comprendre à la lumière des seules normes de filiation (hypothèse générale).

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Postuler l’hétérogénéité de la famille revient, entre autres, à considérer que cette institution sociale n’est pas, a priori, une entité consensuelle ou harmonieuse. Elle est traversée de conflits et d’intérêts divergents. Lorsque la question du soutien aux enfants orphelins vient à se poser pour cette institution, elle révèle irrémédiablement ses clivages internes (première hypothèse secondaire).

En d’autres termes, la responsabilité du soutien aux enfants orphelins dévolu à la famille élargie, ne peut être assumée qu’à condition de son harmonie, de la bonne foi de ses membres à se serrer les coudes, de la disponibilité des ressources nécessaires à cet effet. Or, le contexte matrimonial ou social, sommairement présenté, permet de mettre en doute cette harmonie, de même que la disponibilité des ressources matérielles et financières nécessaires à cette fin.

Il s’ensuit que le soutien aux enfants orphelins révèle de profonds changements dans la relation entre alliés, c’est-à-dire entre la famille de la femme et celle de l’homme. Il n’engendre pas de mutations des normes de filiation, mais éclaire sur le non-respect de ces normes (deuxième hypothèse secondaire).

Ces mutations sociales, qu’elles relèvent de la lignée de la mère ou de la lignée du père des enfants orphelins, ne mettent pas pour autant les enfants orphelins en marge de la société. Tant s’en faut, loin de l’image victimaire (enfants de la rue ou enfants hors de l’école), souvent associée aux enfants orphelines pays mossi, les enfants orphelins ne subissent pas les conditions de leur famille. Ils constituent une illustration parlante des enfants acteurs (troisième hypothèse secondaire).

Conclusion

Chez les Mossi, selon la coutume, le mariage est un don par lequel un chef de famille offre une de ses filles au chef d’une autre famille, qui décidera du mari. Par exemple, le cadet dépend de l’aîné pour se marier. Ainsi, l’aîné contrôle la circulation des femmes, hérite du père, détient les richesses qui autorisent l’accès aux femmes. Par là- même, il dispose d’un moyen pour retarder la promotion du cadet. Si l’acquisition d’une première épouse est une étape importante pour un homme, elle ne lui fait pas changer de statut. Les Mossi disent que « l’homme n’ayant qu’une femme est le chef

83 des célibataires ». La polygamie est ainsi élevée au rang de pouvoir, de la capacité à gérer plusieurs femmes, à assurer la perpétuation de la lignée par la procréation. Et pour une femme mariée, la venue de coépouses, même si elle n’est pas toujours un souhait, représente, semble-t-il, un allègement en ce qui concerne les tâches domestiques. Elle pourra désormais partager ces tâches avec ses coépouses. Il semble également que les femmes d’un polygame disposent de plus de temps pour leurs activités économiques.

La femme, notamment, celle qui n’a pas plus d’une décennie de mariage, est perçue comme une étrangère dans la lignée de l’époux. Elle est suspectée de pouvoir fuir son mari pour rejoindre l’homme qu’elle souhaiterait. Pour cette raison, après le sevrage, ses enfants seront confiés à ses coépouses, plus anciennes, c’est-à-dire celles qui, dans la hiérarchie, sont plus stables dans la famille de l’époux. Ainsi, jeunes, les femmes doivent laisser leurs enfants, du moins elles se voient retirer leurs enfants; vieilles, elles assument la garde des enfants de leurs jeunes coépouses. Nous avons pu noter que la femme n’est pas habilitée à jouir, de manière autonome, des biens que le lignage met à sa disposition. Seul l’époux permet la relative intégration des femmes. Dans ce contexte, le lévirat apparaît comme un dispositif de protection sociale des veuves. Soulignons que, chez les Mossi, les enfants d’une femme appartiennent à son mari. Suite au décès de celui-ci, si elle quitte sa belle-famille, elle n’aura pas le droit d’emmener ses enfants, à l’exception de l’enfant qu’elle allaite mais qu’elle devra retourner à la famille de l’époux, après le sevrage.

Dans le contexte actuel des Mossi, à Ouagadougou, coexistent les mariages arrangés par les aînés, les mariages relevant du consentement mutuel des deux conjoints, mais aussi des unions libres. Les mariages laissés à l’initiative des deux conjoints semblent devenir la pratique dominante. En effet, dès les années 1990, les pratiques matrimoniales sont régies par le Code des personnes et de la famille du Burkina Faso. Ce Code n’attache aucun effet juridique aux mariages coutumiers et religieux, et interdit les mariages forcés, qu’ils soient imposés par la famille ou qu’ils résultent du lévirat.

Concernant les relations entre frères, l’âge ou le rang dans la fratrie constituent encore des critères d’aînesse, mais les ressources financières et la capacité de

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redistribution deviennent de plus en plus déterminantes pour l’obtention du statut d’aîné social. L’accession au savoir scolaire et aux ressources financières, grâce au commerce ou à la migration, semblent instituer, de fait, de nouvelles modalités d’ascension sociale. Ainsi, le fait de donner aux autres membres de la famille avec ostentation est une preuve de son pouvoir économique et social, de son autorité morale. Donner, c’est se faire connaître dans la famille, c’est faire « grandir » son nom.

Dans un contexte où coexistent plusieurs logiques matrimoniales, la logique du droit coutumier et celle du droit moderne, ainsi que différentes modalités d’accès à l’aînesse, il convient de s’interroger sur les logiques d’acteurs autour du soutien aux enfants orphelins. En effet, pour nous, cette coexistence de logiques antagonistes fait de la famille une entité conflictuelle, hétérogène, dont les membres peuvent avoir des intérêts divergents. Cette hétérogénéité conduit à mettre en doute la capacité de soutien aux enfants orphelins de cette institution. L’objectif de cette recherche est donc de comprendre les logiques d’acteurs autour du soutien aux enfants orphelins, chez les Mossi, à Ouagadougou.

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Chapitre 3 Méthodologie de la recherche