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Chapitre 3 Méthodologie de la recherche

3.3 L’observation directe

Du point de vue de la sociologie, aller « observer sur place », être physiquement présent dans la situation, la regarder se dérouler en temps réel pour en rendre compte, est un privilège pour le chercheur (Anderson, 2003 ; Arborio et Fournier, 2005 ; Elias, 1993). Observer est, avant d’être une méthode scientifique, une pratique sociale dont le but est de rendre compte d’une réalité sociale. Selon Arborio et Fournier (2005, p. 7), la sociologie s’est intéressée à l’observation directe des pratiques sociales par défaut d’alternative à ses débuts. L’observation directe a été moins systématisée, comme pour les premiers sociologues de l’École de Chicago, mais sans exclure les

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tentatives de systématisation à l’instar de Le Play, connu pour son recueil de monographies de familles et d’ateliers49. La sociologie s’est aussi intéressée à

l’observation directe de manière intuitive comme dans le cas des promenades de Halbwachs, photographe des taudis parisiens. Dans son institutionnalisation, la sociologie se détournera de l’observation directe à laquelle elle préférera des formes d’investigation par questionnaires, études de cas par entretiens, etc. Le regain d’intérêt pour l’observation directe serait lié à la possibilité qu’elle offre au chercheur de contrôler l’intelligibilité des traitements quantifiés. C’est ce que souligne Arborio et Fournier (2005, p. 6) quand ils écrivent :

Si l’observation directe retrouve aujourd’hui grâce aux yeux des sociologues, c’est qu’elle constitue une façon d’échapper au sentiment de dépossession face aux outils toujours plus sophistiqués des traitements de données, perçus comme des « boîtes noires », et face aux interminables interrogations sur la construction sociale des catégories utilisées dans les dénombrements des pratiques. Elle est aussi un moyen de résister aux constructions discursives des interviewés en permettant de s’assurer la réalité des pratiques évoquées en entretien. En première analyse, son attrait tient ainsi aux mêmes raisons que le succès de ses usages profanes : aux effets de vérité qu’on peut escompter de son empirisme.

Le caractère empirique de l’observation directe repose sur l’importance qu’elle accorde aux ensembles circonscrits de faits, d’objets, de pratiques dans le but d’en tirer des constats permettant de les connaître. Le caractère direct de cette observation relève du fait que le recueil des faits et les hypothèses sur les rapports entre les faits, leur ressemblance ou leur différence, leur régularité ou leur variation, sont établis hors du contrôle du chercheur. Avec l’observation directe, on sort de l’ordre des faits constitués à la manière de Durkheim, pour considérer des actions collectives et des processus sociaux, que l’on peut comprendre à travers des interactions directes. Ainsi, contrairement aux analyses quantitatives, l’observation directe s’intéresse à des situations sociales circonscrites, examinées dans le but « d’établir des faits de pratique, de saisir le contexte contraignant dans lequel ils se développent, de prendre en compte le travail verbal des acteurs… Cela conduit à restituer les logiques d’acteurs, à rendre à leurs comportements leur cohérence, à révéler le rapport au

49Sa démarche a, néanmoins, reçu des critiques pour moralisme et dépendance forte à l’égard d’une

107 monde que chacun manifeste à travers les pratiques observables » (Arborio et Fournier, 2005, p. 8).

À Ouagadougou, nos espaces d’observation étaient variés : les ménages, les rues, les marchés, les chantiers, les célébrations. Dans les ménages, l’observation directea démarré avec notre participation aux autopsies verbales50. Une des choses qui retient

particulièrement l’attention dans ces ménages est la manière de saluer des enfants. Même les jeunes de cinq ou six ans sont invités à aller saluer, comme s’ils étaient des adultes. Ces enfants tendent la main aux adultes d’un air convaincu, en déclarant : « bonjour Tonton ». « Bonjour jeune homme » ou « bonjour jeune fille », avons-nous souvent répondu. Les maisons (murs en terre rouge coiffés de tôle ou de paille) sont construites presque de la même manière dans les trois quartiers non lotis : Nonghin, Polesgo et Nioko2. Un autre trait commun à ces quartiers non lotis est l’absence de l’énergie électrique et de robinets d’eau. Ces maisons ou concessions sont délimitées par une clôture (mur en sable). Contrairement à la zone non lotie, les deux quartiers lotis, Kilwin et Tanghin,disposent de robinets d’eau et d’électricité.

Le tableau 7 présente le cadre de l’observation, notre statut dans l’observation, l’objet de l’observation et la temporalité d’investigation.

50L’autopsie verbale consiste à recenser les causes des décès qui ont lieu dans chaque quartier de

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Tableau 7 Grille d'observation

Cadre Statut de

l’observateur

Faits observés Temporalité de

l’investigation

Ménages -À découvert -Incognito

-Compréhension des rôles sociaux

-Accès à des informations par questions

-Possibilité de prise de notes -Variété de situations observables

-Faits observés et réalités ordinaires

-Lors des entretiens -Heures de retour d’école

-Lors des autopsies verbales

-Lors des visites

Marchés Incognito -Compréhension des rôles sociaux

- Accès à des informations par questions

-Variété de situations observables

-Faits observés et réalités ordinaires

-Journée -Soirée -Nuit

Rues Incognito -Compréhension des rôles

sociaux

-Accès à des informations par questions

-Variété de situations observables

-Faits observés et réalités ordinaires

-Journée -Soirée -Nuit

Célébrations Incognito -Compréhension des rôles sociaux

-Accès à des informations par questions

-Variété de situations observables

-Faits observés et réalités ordinaires

-Journée -Soirée

Constructions Incognito -Compréhension des rôles sociaux

-Accès à des informations par questions

-Variété de situations observables

-Faits observés et réalités ordinaires

-Matinée -Journée -Soirée

Source : Réalisé par Georges Danhoundo dans le cadre de l’observation directe Les faits qui ont particulièrement retenu notre attention sont les interactions sociales, les rôles selon le sexe, les rapports entre enfants, les rapports des enfants au travail, les rapports entre hommes et femmes.

109 Le choix d’un mode d’observation revient au choix du rôle social à occuper dans la situation observée. Ce choix est d’autant plus important qu’il engage la précision des informations recueillies au sujet des faits observés. En effet, dans la plupart des ménages, nous avons assumé un rôle d’observateur (à découvert) en expliquant aux enquêtés l’objectif de notre présence. Dans d’autres cas (observation incognito), nous étions passés pour un client au marché ou dans la rue. Nous avons également adopté cette posture d’observateur incognito lors des autopsies verbales, en passant simplement pour un chercheur en accueil à l’Observatoire de population de Ouagadougou, désireux de comprendre ce qui se passe dans les ménages. Notre statut de doctorant n’a pas été dévoilé. Lors des célébrations, ce sont, notamment, nos amis et collaborateurs de Ouagadougou qui, à certains moments des célébrations, transmettaient nos questions aux chefs de famille. À ces occasions, nous avons été présentés comme une personne d’une autre culture, d’un autre pays, désireux de mieux comprendre telle ou telle pratique.

Le contexte de la ville de Ouagadougou offre une relative liberté, en ce qui concerne l’engagement d’une discussion avec un tiers dans la rue ou au marché, sans que cela ne soit autrement interprété. En effet, aucune condamnation morale ou juridique n’est accordée au fait de s’arrêter au niveau d’une maison en construction pour poser des questions sur les motifs d’engagement des enfants dans le travail. Il en est de même pour une discussion avec une fille, vendeuse ambulante, à qui l’on s’adresse pour connaître les motifs de son engagement dans le commerce. À ces occasions, aucun détail sur le but de notre recherche n’a été donné.

En ce qui concerne les ménages, la description du cadre domestique et des interactions sociales est d’autant plus nécessaire, qu’elle permet d’associer le discours des enquêtés aux faits observés. Par exemple, lorsqu’un père déclarait que ses enfants ne vont jamais au champ, et que de petites houes étaient accrochées au mur, nous trouvions des moyens détournés pour creuser la question du travail des enfants. Aussi, lorsqu’un chef de ménage déclarait que les travaux domestiques sont assurés par la tante des enfants orphelins, et que cette tante nous apprenait qu’elle est juste de passage dans le ménage, nous trouvions des moyens d’approfondir nos investigations. Les heures de retour des enfants de l’école étaient privilégiées pour les visites aux ménages. Cette période de la journée, ainsi que les fins de semaines,

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nous permettaient de voir ce que font les enfants de leur temps libre… Le matériel utilisé pour la cuisine, les éléments utilisés par les enfants pour la corvée d’eau; bref les occupations des enfants ont été soigneusement observées.

Notre rôle d’observateur à découvert nous a permis de prendre des notes détaillées à certaines occasions. À d’autres occasions, nous préférions prendre des notes ailleurs, quelques instants après l’observation. Lorsqu’il s’avérait nécessaire de nous comporter en observateur incognito, aucune note n’a été prise devant les personnes observées. L’observation réalisée au marché, dans les rues et sur les chantiers en constructionne porte pas spécifiquement sur les enfants orphelins. Ellenous a, néanmoins, permis de saisir, de manière générale, des éléments du contexte du travail des enfants. Cette démarche a été privilégiée dès notre arrivée à Ouagadougou en vue d’une mise en contexte de nos questionnements : il s’agissait de voir, au début de notre enquête,entre autres, le cadre des interactions des enfants avec le monde du travail.

Conclusion

De septembre à décembre 2012, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de 20 ménages des sites d’enquête de l’Observatoire de population de Ouagadougou sur trois thèmes principaux : les circonstances du décès parental, le soutien familial aux enfants orphelins, les activités exercées par les enfants orphelins et les enfants non orphelins à Ouagadougou. Tous les ménages enquêtés sont suivis depuis 2008 par l’Observatoire de population de Ouagadougou. Nos ménages d’enquête ont été tirés de l’échantillon de cet Observatoire.

Notre démarche d’entretien comporte une limite en ce sens que la parole n’a pas été accordée aux enfants orphelins, mais aux adultes. Pour cette raison, nous avons choisi d’observer les enfants dans leur interaction avec les adultes, ainsi que dans leur rapport au travail. Le mode d’observation privilégié est l’observation directe. Elle a été non seulement menée dans les ménages enquêtés, mais aussi dans les rues, les marchés, et sur les sites de maisons en construction.Dans les ménages, nous avions assumé un rôle d’observateur à découvert en dévoilant notre statut de doctorant. Aux

111 autres endroits, nous étions passés pour un client ou un étranger, désireux de mieux connaître certaines pratiques sociales chez les Mossi.

Ces données d’observation et d’entretien ont été complétées, à titre secondaire, par les données quantitatives de l’Observatoire de population de Ouagadougou.

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DEUXIÈME PARTIE

PRÉSENTATION, ANALYSE ET

INTERPRÉTATION DES RESULTATS

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Chapitre 4 Les logiques autour du soutien aux enfants