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Chapitre 4 Les logiques autour du soutien aux enfants orphelins en pays moss

4.3 Le décès de la mère et la place du père

Contrairement aux enfants orphelins de père, les enfants orphelins de mère font rarement l’objet de transfert chez les Mossi ; on note leur maintien auprès de leur père. Ce maintien des enfants orphelins de mère auprès du père est favorisé par deux éléments principaux : la polygamie et l’orgueil du père.

4.3.1 Le soutien des coépouses

Comme pour le cas des enfants orphelins de père, les coépouses occupent également un espace central dans le soutien aux enfants orphelins de mère. À la suite du décès de la mère, les enfants sont transférés vers le ménage de leur belle-mère, avec qui ils partageaient déjà, dans certains cas, la même cour. Certains enfants, même du vivant de leur mère, résident avec leur belle-mère. Ce contexte favorise le maintien des enfants orphelins dans leur concession ou dans leur ménage habituel. Assurer le rôle de mère en contexte de décès d’une coépouse instaure, chez les femmes, un devoir de réserve en ce qui concerne l’appréciation des soutiens extérieurs : entre autres, soutien de la famille élargie, soutien de la famille de la coépouse décédée. Ce devoir de réserve est utile dans la mesure où elle contribue à l’assimilation des enfants orphelins de mère à ses propres enfants : évoquer la défaillance du soutien des oncles maternels des enfants orphelins, tout comme celle de la famille du père, peut signifier une marque de différenciation, un étiquetage de ces enfants orphelins, ou encore la stimulation chez ces enfants du sentiment d’être une charge. Or, en pays mossi, le soutien apporté à l’enfant de la coépouse défunte n’est jamais vain. Ce soutien est récompensé par la bénédiction divine.

Chez les coépouses, l’assimilation des enfants orphelins de mère à leurs propres enfants se justifie non seulement par la quête de la récompense divine, mais aussi et surtout par l’idée selon laquelle la mort n’épargne personne. Les Mossi assimilent la mort à la ration de Dieu, qui sert aux uns aujourd’hui ce que les autres reçoivent demain (Bonnet, 1988). « Quand la mort demande la clé d’une porte, il est souvent

149 difficile de lui résister », laissaient entendre la plupart de nos enquêtés. Ne pas assister convenablement les enfants d’une défunte, c’est ignorer que ses propres enfants pourraient se retrouver dans la même condition. En d’autres termes, l’accueil et le soutien aux enfants d’autrui, notamment de la coépouse, ne constituent pas, en tant que tel,un bienfait à autrui. Il s’inscrit dans le cadre d’un bienfait à soi-même dans la mesure où cet acte de « bonté » garantit que ses propres enfants seraient bien traités par autrui, si la mort survenait : « le bienfait n’est jamais perdu », dit-on. Des contes de cette société mettent en évidence les malheurs qui accompagnent la maltraitance des enfants orphelins, ou encore le refus d’accueillir l’enfant orphelin (Platiel, 2004). Quelques-uns de ces contes nous ont été racontés au cours de nos entretiens pour justifier la dimension compassionnelle et « désintéressée » du soutien aux enfants de la coépouse défunte.

4.3.2 Le décès de la mère et l’orgueil masculin : la valorisation de la polygamie et le maintien des enfants orphelins dans leur ménage

L’importance des coépouses76, en pays mossi, dans l’accueil et le soutien aux enfants

orphelins met en évidence, chez les hommes, la valorisation de la polygamie. Cette valorisation de la polygamie repose, entre autres, sur l’idée selon laquelle plusieurs valent mieux qu’un. En effet, le décès de la mère constitue une preuve de la « validité » de cette formule. Avoir une seule femme, c’est mieux qu’être célibataire, mais on n’est pas très loin d’être célibataire, car il n’y a qu’un seul pas entre la monogamie et le célibat; car le jour où le « malheur » frappe la seule femme, on redevient célibataire.

J’ai six enfants orphelins issus de deux femmes. Vous savez, j’étais polygame. Les deux femmes sont décédées. La première épouse qui est décédée a laissé ses enfants. Ces enfants étaient gardés par la deuxième épouse. Quelques années plus tard, et plus précisément le 03 avril 2010, la seconde épouse est décédée. Depuis ce temps, je ne me suis pas remarié et les six enfants vivent avec moi. C’est réellement depuis 2010 que j’ai senti ce que ça signifie d’être père d’enfants orphelins…Ma vie a changé depuis le 1er février 2006, date du décès de la première épouse. Mais elle

76Dans d’autres travaux sur les enfants orphelins en Afrique subsaharienne, on note néanmoins un

refus des femmes à accueillir les enfants de leur coépouse décédée (Bagirishya, 2008 ; Desclaux, 2000 ; Hien, 2010).

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a davantage changé à partir du 03 avril 2010, date du décès de la deuxième (E01-P-OM).

Chez les hommes, transférer son enfant à un autre ménage en raison du décès de la mère représente un manque de responsabilité, voire une démission dans la vie. Ce sentiment « d’orgueil » justifie, dans nombre de cas, que les enfants orphelins de mère résident avec leur père. Cet « orgueil » masculin ne garantit pas, néanmoins, de meilleures conditions de vie à ces enfants.

Une des tantes maternelles de mes enfants les a demandés pour les éduquer. Je lui ai répondu que ces enfants peuvent passer des vacances chez elle, mais qu’ils n’y resteront pas. Je suis leur père. Si je mange du sable, ils vont manger du sable. Je vais me battre pour leur avenir. Vous voyez ces enfants, je ne les force pas pour faire quoi que ce soit. Quand je trouve, je leur donne. Mais ils savent se taire quand je n’en ai pas (E01- P-OM).

L’idée de « responsabilité primaire » du père en ce qui concerne le soutien aux enfants orphelins de mère, évoquée plus tôt, semble fortement ancrée chez les hommes. En effet, en pays mossi, pour les pères d’enfants orphelins de mère, s’attendre à de l’assistance matérielle ou financière venant des autres en vue de subvenir aux besoins des enfants revient, en quelque sorte, à « survaloriser » la place des mères dans le soutien aux enfants. Cet « orgueil » masculin explique tout de même que l’absence de soutien familial n’est pas le reflet de la fragilisation des liens familiaux, mais de la pauvreté collective.

Mes frères ont aussi leurs problèmes. Est-ce qu’ils ont déjà réglé les problèmes de leurs propres enfants ou de leurs propres femmes? Ce qu’ils peuvent faire pour moi et pour mes enfants, ils le font. Ils passent voir mes enfants plusieurs fois quand je suis de garde la nuit au service, pour voir si tout va bien au niveau de ma cour. Mon frère, celui qui est là, en face, passe ici plus de cinq fois en journée lorsque je ne suis pas présent pour voir les enfants. On peut parler de mauvaise volonté des frères à donner aux enfants lorsqu’on a les moyens et qu’on refuse de le faire. Mais ici, parmi nous tous, je ne connais pas quelqu’un qui possède quelque chose et qui refuse de donner (E01-P-OM).

Si le fait que la pauvreté soit collective justifie l’absence du soutien des autres membres de la famille, il faut souligner que certains hommes émettent des réserves à l’idée de solliciter le soutien de leurs frères, parce qu’ils pensent que leur situation

151 est légèrement meilleure que celle des autres. La reconnaissance de la pauvreté des autres, tout comme la conscience de ses propres difficultés, mettent les Mossi devant la nécessité de ne pas tendre les mains aux autres, ou de ne pas s’attendre à leur soutien. Ils disent que : « affirmer ne pas avoir dormi la nuit, c’est se moquer du poteau de l’entrée de la maison », pour signifier qu’on ne doit pas se plaindre devant quelqu’un qui aurait de meilleures raisons de le faire, mais qui préfère pourtant se taire.

On le voit, le récit ci-dessus ne fait pas de l’aide matérielle et financière la seule condition de la vivacité de la famille.

Le fait que les enfants orphelines de mère disposent, dans leur entourage, c’est-à-dire dans leur famille, de femmes qu’elles fréquentent de temps en temps, est décrit comme étant déterminant pour leur éducation. Elles apprennent de ces femmes ce qu’elles auraient à apprendre de leur mère. Toutefois, l’autorisation du père pour ces fréquentations est suivie de prescriptions : « ne racontez pas aux épouses de mes frères ce qui se passe dans votre ménage, ne publiez pas mon ventre, et surtout je ne veux pas entendre que vous avez mal parlé des autres… », furent ressortis de quelques entretiens. Le fait que des enfants orphelines soient coupées des femmes de leur famille est mal vu. En effet, les Mossi croient que la solitude conduit à poser des actes qui ne cadrent pas avec les normes sociales. Ils disent que « celui qui aime la solitude tuera un chien et en fera un repas pour sa belle-famille ». Le chien, en effet, n’est pas consommé en pays mossi, et le fait d’en faire un repas, de surcroît pour sa belle-famille, représenterait la pire des aberrations.

4.4 Le décès des deux parents et l’élasticité des trajectoires