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Chapitre 4 Les logiques autour du soutien aux enfants orphelins en pays moss

4.4 Le décès des deux parents et l’élasticité des trajectoires d’enfants orphelins

En faisant état de la littérature sur les inégalités éducatives entre les enfants orphelins et les enfants non orphelins au chapitre 1, nous avons souligné que, de manière générale, les enfants doubles orphelins sont plus défavorisés que les enfants orphelins de père, les enfants orphelins de mère, ainsi bien entendu, que les enfants non orphelins. C’est dire que le fait qu’un des deux parents biologiques soit en vie peut représenter une source de protection sociale pour l’enfant orphelin. Des contes de la

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société mossi soulignent l’impossibilité de changer de père ou de mère, quelle que soit la raison de cette décision. En effet, chaque individu, à un moment donné de la vie, fait des choix : se marier, aller à l’école, travailler à Ouagadougou ou à Bobo- Dioulasso. Mais, en ce qui concerne le père ou la mère, personne ne peut faire un choix. Le père et la mère sont donnés par le « bon Dieu ». Ce qui retient particulièrement l’attention dans les contes à cet effet, c’est la « simplicité » du lien de sang entre enfants et parents, simplicité à la fois symbole de la centralité de ce lien dont on ne perçoit réellement l’importance qu’à l’issue du décès d’un ou des parents.

Un fils, un orphelin, avait décidé de changer de mère, une pauvre veuve. Cette mère était si pauvre que son fils n’a jamais eu la moindre fierté de marcher avec elle dans la rue. Elle n’avait qu’un seul pagne. Rares étaient les occasions où elle pouvait se procurer d’un petit savon pour laver ce pagne. Un jour de marché, comme à l’accoutumée, tous les enfants attendent impatiemment au bord de la rue, le retour de leur mère. Chaque fois qu’une mère percevait son enfant dans ce groupe, elle criait de joie, puis lui remettait ensuite un cadeau. Ce soir-là, le fils de la pauvre femme s’est fait rejeter par plusieurs mères, à qui il tentait d’exprimer un sentiment de fils. Nous connaissons notre fils, lui répondirent-elles. Ce jour-là, la lune avait retardé son éclat. Les étoiles étaient à peine visibles. Déçu, le fils de la pauvre veuve pleurait au coin de la rue, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui. Dans ce calme, une voix fut chuchotée tendrement dans ses oreilles : enfin, je suis là pour toi. Tiens ce gâteau et suis-moi, j’ai hâte de faire à manger pour toi. Ce fut la voix de sa pauvre mère (E08-P-OM).

Ce conte souligne l’importance des parents biologiques dans la société mossi, société où, pourtant, les enfants sont définis comme appartenant au cercle familial et non pas seulement aux géniteurs. Une des choses que ce conte permet de mettre en évidence, c’est le caractère sacré et non mécanique de la relation biologique entre parents et fils.

Comme le note Guillermet (2004), dans le contexte du Bénin, les doubles orphelins sont plus souvent transférés que les enfants orphelins de père et les orphelins de mère. Alors que les orphelins de père et les orphelins de mère sont transférés auprès de la lignée de la mère ou du père, les doubles orphelins vivent le plus souvent dans des ménages dirigés par un individu non apparenté (Delaunay, 2012). On note, de manière générale, une élasticité, c’est-à-dire une fréquence dans le changement de ménages chez les enfants doubles orphelins. Dans cette catégorie d’enfants doubles

153 orphelins, la tendance à changer de ménage semble plus forte chez les filles que chez les garçons.

Je ne connais pas le nombre de personnes chez qui elle est restée avant de venir ici. Mais elle m’a dit que ça vaut cinq différentes familles comme ça. Quand elle va quelque part et qu’elle n’est pas bien traitée, elle quitte. Des fois, elle reste chez sa tante, celle dont je vous ai parlé, là, avant de trouver une autre famille. Elle n’est pas chanceuse, c’est pour cela qu’elle tombe dans de mauvaises mains. Mais là, ça va. Elle a trouvé sa maison ici, chez nous (E12-S-DO-F-14).

On note, à la lecture de ce récit, l’existence d’un intermédiaire de la famille de l’enfant orpheline qui assure son transfert dans des ménages, sans pour autant l’accueillir longtemps dans son propre ménage. En effet, à la suite du décès du deuxième parent, notamment le père, les enfants doubles orphelins, avant de se retrouver dans des ménages non apparentés sont souvent accueillis par des membres de la famille de la mère ou du père.

Son oncle l’a d’abord envoyée à Pissy parce qu’elle avait commencé par poser des pas bizarres. Elle avait des amies qui ne lui montraient pas le bon chemin. C’est pour ça qu’elle est partie de làà cause des garçons. On a dit que,si elle change de quartier, tout va s’arrêter. En tout cas, avec nous ici, pas de problème. Je n’ai pas encore perçu un faux pas d’elle. Tout va bien. Vous savez, avec des filles, il faut faire beaucoup attention. Les gens ne sont pas souvent attentifs et jettent le tort seulement sur les enfants. Je pense que nous aussi avons une responsabilité. Quand tu gardes une fille, il faut la surveiller (E13-S-DO).

L’analyse des « trajectoires » d’enfants doubles orphelins met en évidence des transferts allant d’abord de la parentèle paternelle ou maternelle à des ménages non apparentés. Cette élasticité des trajectoires d’enfants orphelins, qui fait penser à une défaillance du soutien familial, ne doit pas, néanmoins, occulter des accueils compassionnels d’enfants, à long terme.

Chez nous, les Mossi, on pense que l’orphelin de père et de mère appartient à toute la famille. C’est cette idée qui fait que ces enfants ont la vie difficile. Chacun pense que l’autre est mieux placé pour le faire, parce que le double orphelin, c’est l’affaire de tout le monde. Mais pour finir, l’enfant se retrouve seul. Moi je vivais en Côte d’Ivoire. Quand je suis revenu ici, à Ouaga, et qu’on m’a raconté la vie de cet enfant, mon cher, ce n’est pas la peine. Je l’ai pris chez moi. Pour moi, il est mon

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enfant. Le fils de mon frère, c’est mon fils. Hiyaaaaa ! je ne peux pas accepter cette honte. Laisser son neveu souffrir, c’est souffrir soi-même sans le savoir. C’est le même sang qui circule en nous (E16-A-DO).

Les récits, qui tendent à généraliser la défaillance de la famille chez les Mossi, doivent être examinés avec précaution. L’existence de faits anormaux dans une société donnée ne doit pas servir de justificatif à des propos dont la tendance serait de conduire à voir le mal partout. Si les récits de cette tendance, par leur contenu, ne sauraient être remis en cause, il est tout de même important de souligner que la famille ne se caractérise pas que par des intérêts individuels.

Conclusion

La première partie de ce chapitre nous a permis de noter que les Mossi n’évoquent pas n’importe comment la mort. Les mots pour désigner la mort dans cette société sont variés, et visent à assouplir le chagrin que génère a fortiori cet événement. En effet, chez les Mossi, rien n’arrive au hasard. La mort peut être la sentence d’une inconduite ou l’effet de la sorcellerie d’un tiers. Mais quel que soit le cas, elle s’inscrit dans le destin de l’individu.

La deuxième partie nous a permis de noter que des soupçons sur un membre de la famille, en ce qui concerne le décès d’un autre membre de la famille, conduisent à la rupture du lien entre certains enfants orphelins et leur famille élargie. Les relations entre frères, selon quelques récits, sont entourées de jalousie débouchant sur des conflits, et même des soupçons de meurtre. Certains récits de veuves mettent en cause la malveillance de la famille de l’époux qu’elles accusent d’être intéressée par les biens de celui-ci, au point d’en arriver à le tuer par des forces mystiques. Aux dires de ces veuves, la survenue du décès de l’époux représente le début d’un long processus conflictuel avec les frères de ce dernier, conflits structurés autour de l’accès aux héritages. En effet, le lévirat, souvent représenté comme une protection sociale pour la veuve et les enfants orphelins, n’aboutit pas toujours à ce résultat : l’infécondité de la veuve, la distance géographique entre la veuve et son nouveau mari, entre autres, empêchent que le lévirat assure ce rôle de protection sociale.

155 En ce qui concerne la gestion des héritages du défunt, deux logiques s’affrontent. La logique lignagère perçoit la femme comme étant étrangère à la lignée de l’époux et lui dénie l’accès à l’héritage des biens de ce dernier. La logique du droit moderne, prônée par le Code des personnes et de la famille du Burkina Faso, considère la femme comme une personne responsable, ayant droit à l’héritage des biens de l’époux, avec une entière responsabilité en ce qui concerne la garde des enfants orphelins. Ces conflits de logiques mettent en évidence l’effritement de la famille élargie : les transferts d’enfants orphelins ne suivent pas, dans tous les cas, les règles de filiation qui définissent l’enfant comme appartenant à la lignée du père. Nombre d’enfants sont transférés auprès de la famille de la mère, auprès de ses amis, ses coépouses ou gardés dans son ménage.Une des conclusions auxquelles les récits concernant le décès du père nous a permis d’aboutir est que le concubinage ne débouche pas sur un manque de reconnaissance sociale des enfants orphelins qui en sont issus. En revanche, il conduit à la non-reconnaissance de l’alliance dont ils sont nés, c’est-à-dire de la femme.

Contrairement au décès du père, caractérisé par des conflits, la troisième partie de ce chapitre fait ressortir l’existence d’un orgueil masculin qui conduit les hommes à maintenir les enfants orphelins dans leur ménage, le transfert d’enfants orphelins par le père étant représenté comme un manque de responsabilité ou une démission dans la vie. Ici également, les coépouses jouent un rôle central dans le soutien aux enfants orphelins, rôle dont la description met en valeur la polygamie. Les Mossi disent qu’on n’est pas très loin d’un célibataire quand on est monogame, la mort de l’épouse unique suffit pour que l’on redevienne célibataire.

Dans la quatrième partie, nous avons noté que les trajectoires d’enfants doubles orphelins sont élastiques, élasticité caractérisée par la fréquence du changement de ménages chez ces enfants. Ce changement va, le plus souvent, des ménages de la parentèle à des ménages non apparentés. Toutefois, des accueils compassionnels d’enfants doubles orphelins à long terme ont été notés.

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Chapitre 5 La nature du travail des enfants orphelins à