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Chapitre 1 Revue de la littérature et aspects théoriques de la recherche

1.3 Les enfants orphelins et leurs activités en Afrique subsaharienne

1.3.4 Cadre théorique

1.3.4.2 L’enfant acteur

C’est à partir de l’ouvrage « Constructing and Reconstructing Childhood : Contemporary Issues in the Sociological Study of Childhood» de James et Prout (1990) où ils exposent le « nouveau » paradigme de l’enfance, qu’est née la théorie de l’enfant acteur. Récusant la thèse de la socialisation à la façon durkheimienne, où l’enfant est présenté comme « subissant » l’éducation définie comme action exercée par les adultes dans un sens unique, la théorie de l’enfant acteur représente l’enfant comme un acteur à part entière. Cette théorie de l’enfant acteur repose sur trois éléments que nous nous proposons d’examiner dans cette section.

Le premier élément du « nouveau » paradigme de l’enfance considère l’enfance comme une variable sociale d’analyse inséparable des autres variables telles que la classe, le genre, l’ethnie, la parenté, etc. James et Prout (1990) montrent, à titre d’exemple, que le concept d’exploitation sexuelle des enfants ne peut être compris sans référence aux relations de genre, aux liens de parenté, etc., dans une société donnée. L’enfance est ainsi définie comme une variable qui influence d’autres variables autant qu’elle est influencée. Ces variables, si elles sont, de par leur nom, universelles, varient néanmoins d’une société à l’autre aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Le deuxième point essentiel considère, on l’a dit, l’enfant comme un acteur à part entière. On se situe ici dans une socialisation interprétative. En effet, selon Simmel, la socialisation se fait et se défait constamment, et elle se refait à nouveau dans un

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éternel flux de bouillonnement qui lie les individus, même là où elle n’aboutit pas à des formes d’organisation caractéristiques (Simmel, 2011). Dans cette socialisation interprétative, selon l’expression de Corsaro (2005), l’enfant apparaît non plus comme une « tabula rasa », mais comme un acteur, un partenaire dans son processus de socialisation. Sirota (2006) soutient cette idée en montrant que les enfants participent aux échanges, aux interactions, aux processus d’ajustement constants qui animent, perpétuent et transforment la société. Les enfants ont donc une vie quotidienne qui ne saurait être réduite à celle des adultes ou des cadres institués. L’enfant est représenté comme un « être au présent » dans un échange entre générations et non comme un « être en devenir ». Il est un membre à part entière dans sa société. Il représente également « l’ego paradoxal » de l’adulte, étant donné qu’il a tout de même besoin de celui-ci pour s’affirmer, note, Sirota (2006).

Le dernier élément aborde, on l’a dit, l’enfant comme une construction sociale. En tant que construction sociale, l’enfance constitue une réalité sociale constamment créée et recréée par les acteurs sociaux. Les enfants sont représentés comme des acteurs qui opèrent des choix parmi les possibilités qui leur sont offertes. Selon James et Prout (1990), même si les enfants sont des acteurs sociaux à part entière à qui il convient de donner la parole, ils ne constituent pas, cependant, une catégorie sociale homogène et autonome, déconnectée du reste de la société. Les enfants sont en interaction avec les adultes, et sont influencés par les comportements et les choix de ces derniers, tout autant qu’ils en influencent les choix et les comportements. Ce qui retient particulièrement l’attention dans l’idée d’enfant acteur, c’est le raisonnement qui inscrit les enfants dans un contexte marqué par des contraintes sociales, économiques et politiques.

Conclusion

La première partie de ce chapitre nous a permis de constater une diversité de définitions de la catégorie sociale d’enfants orphelins. Ces définitions varient dans le temps et l’espace, ainsi qu’en fonction du contexte. Les organisations d’aide à l’enfance associent généralement les enfants orphelins aux autres catégories d’enfants vulnérables, notamment, les enfants dont les parents sont malades du SIDA. Dans les sciences sociales, la définition de la catégorie sociale d’enfants

47 orphelins ne semble pas évidente, en ce sens qu’elle constitue en elle-même une construction sociale. Si le décès parental constitue la base des définitions de l’orphelin, dans les sociétés où ce sont, notamment, les oncles maternels qui ont la grande partie de l’autorité sur l’enfant et non le père ou la mère, la définition de l’orphelin par le décès parental peut perdre de sa pertinence sociale.

Nous avons noté dans la deuxième partie que le décès parental est souvent suivi du transfert des enfants orphelins auprès d’autres ménages. Nous avons pu noter que la thèse de l’ascension sociale reliée au transfert des enfants orphelins ne se vérifie pas toujours dans les sociétés africaines contemporaines. En effet, la littérature sur les enfants orphelins en Afrique nous a appris que le rôle de soutien social aux enfants orphelins dévolu à la famille élargieest en profonde mutation. En effet, l’idée de filiation, de lévirat, ainsi que les relations d’entraide entre citadins et ruraux, qui constituent, entre autres, la base de la famille élargie, se fragilisent sous l’effet conjugué de la pauvreté des ménages, de l’urbanisation et de l’éducation.

Enfin, même si le travail des enfants constitue un phénomène d’une relative importance en Afrique, le décès parental semble accroître, voire précipiter l’exercice d’une ou de plusieurs activités chez les enfants orphelins. Les enfants orphelins entrent plus tôt en activité que les enfants non orphelins. On a pu noter également que les enfants orphelines qui résident dans des ménages dirigés par une femme exercent plus souvent une activité domestique. La mise au travail des enfants orphelins s’inscrit non seulement dans un processus « éducatif », mais aussi et surtout dans la satisfaction de leurs besoins ainsi que ceux de leur famille.

En parcourant la littérature sur les travaux exercés par les enfants, on s’est rendu compte de l’importance de la présence des enfants orphelins dans les activités économiques et domestiques. Partant, nous avons jugé nécessaire de recourir, dans la deuxième partie du chapitre, à la théorie de l’enfant acteur pour comprendre le rôle des enfants dans la sphère productive et reproductive de leur ménage de résidence. La théorie de l’enfant acteur repose sur troispoints essentiels. Le premier considère l’enfance comme une variable sociale d’analyse, inséparable d’autres variables telles que : la classe, le genre, l’ethnie, la parenté, etc. Selon le deuxième point, l’enfant est un acteur à part entière dans la société. Il n’est pas un être en

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« devenir », mais un être au « présent ». Cette deuxième perspective s’oppose à l’approche durkheimienne de la socialisation qui considère l’enfant comme un être passif qui prend la forme que la société lui confère. Le dernier point considère l’enfance comme une construction sociale. La construction sociale renvoie à l’idée selon laquelle les représentations et les pratiques liées à l’enfance varient dans le temps et l’espace. L’enfance est décrite ici comme une institution sociale, une composante structurelle de toute société.

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Chapitre 2 Contexte, problématique et cadre d’analyse de