• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 Revue de la littérature et aspects théoriques de la recherche

1.3 Les enfants orphelins et leurs activités en Afrique subsaharienne

1.3.2 Définir le travail des enfants

Il n’existe pas de définition du travail des enfants qui fasse consensus, et pas davantage de définition qui permettrait toujours de dire sans ambiguïté si telle activité relève ou non du travail des enfants. En ce qui concerne le travail, l’élaboration d’une définition générale et unique est impossible. « Spontanément, quand on définit le travail, on pense à une activité qui s’exerce en vue d’obtenir un bien matériel, soit qu’on le produise directement, soit qu’on l’acquiert grâce à la rémunération de son activité. Mais dès que l’on creuse un peu la question, on voit qu’élaborer une définition générale est autrement complexe » (Schlemmer, 2012, p. 77).Selon Schlemmer (ibid), il existe différentes approches de la définition du travail.

La première concerne l’analyse du système économique global. Selon cette approche, « le type de travail que les sociétés contemporaines exigent de leurs enfants, c’est le travail scolaire » (Schlemmer, 2012, p. 78). Le travail scolaire constitue en effet un type de travail indispensable à la reproduction globale du système économique qui requiert un « certain niveau de qualification » ainsi qu’une éducation générale. Mais ce type de définition pose problème en ce qui concerne les pays en développement où l’école n’est pas une réalité commune à tous les enfants. Dans cette thèse, l’école n’est pas considérée comme du travail, du moins comme catégorie de travail qui nous intéresse. La deuxième approche du travail aborde les droits de l’enfant, notamment, le « droit à l’éducation et à la formation » mais aussi le droit aux loisirs. En effet, le concept de travail est défini comme l’activité susceptible d’empiéter sur ces droits12.La troisième approche s’intéresse à la valeur économique produite par le

12 Une activité relève de la formation si sa finalité principale est la transmission didactique d’un savoir

fourni par le maître; « elle relève du travail si sa finalité principale est sa contribution économique à l’entreprise ». Dans les cas où l’activité est présentée comme relevant de l’apprentissage, la distinction est difficile à établir (Schlemmer, 2012, p. 78)

38

travail. Cette approche repose sur les échanges marchands, et le travail est alors défini comme « toute activité productive, à l’exclusion des tâches domestiques qui relèvent, elles, de la reproduction sociale, et non de la production » (Schlemmer, 2012, p. 78). La quatrième approche examine le travail sous l’angle du rapport employeur- employé et repose sur la question des droits du travail. Cette définition relève, notamment, du domaine de l’OIT et limite le travail aux activités du secteur formel. Toutefois, l’OIT en s’intéressant à la question du travail des enfants est obligé d’élargir sa définition du travail en regardant dans le « foyer des familles pour voir de plus près les activités économiques auxquelles s’y livrent les enfants, et dans quelles conditions » (Schlemmer, 2012, p. 78). En effet, l’OIT reconnaît que « des millions de jeunes travaillent de façon tout à fait légitime, contre de l’argent ou non, dans des conditions adaptées à leur âge et à leur degré de maturité » (OIT, 2002, p. 9).Le travail des enfants qui pose problème pour cette institution, ce sont les formes d’activité nuisibles à l’éducation et au développement de l’enfant, c’est à-dire les formes de travail qui sont contraires à « l’intérêt supérieur de l’enfant » au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant de 198913. Ce sont ces formes de

travail qu’il convient d’éliminer. Le tableau suivant résume les définitions que l’OIT donne au travail des enfants14.

13 Le type de travail qui pose problème est appelé « child labour ».

14 La Convention 182 (1999) du BIT porte sur l’abolition des pires formes de travail des enfants et la

Convention 138 (1973) porte sur l’âge minimum d’admission au travail qui est de 12 ans pour les pays en développement.

39 Tableau 1 Définition de l'OIT du travail des enfants15

Groupe d’âge

Type de travail

Travaux non dangereux (dans des industries non dangereuses et activités d’une durée <43 heures/semaine)

Pires formes de travail des enfants

Travail léger (>14 heures/semaine) Travail régulier (>= 14heures/semaine) et <43 heures/semaine) Travail dangereux (dans des industries spécifiques et activités de plus >= 43 heures/semaine dans d’autres industries et activités

Les pires formes intrinsèques de travail des enfants (trafic des enfants, esclavage, traite, conflit armé, prostitution, pornographie et activités illicites) 5-11 12-14 15-17 Source : ILO-IPEC (2002, p. 33)

Dans ce tableau, où les cases grises vides signifient le travail des enfants, l’OIT établit une catégorisation à trois niveaux : les pires formes de travail des enfants qui sont à éliminer, les travaux non dangereux qui sont à éliminer pour certaines tranches d’âge et les formes de travail acceptables. Les zones vides du tableau concernent les enfants de tous les âges qui exercent une activité scolaire, travaillent dans une entreprise familiale ou exercent des activités domestiques. Les zones vides concernent également les enfants de moins de 12-14 ans qui exercent des travaux légers16 d’une

durée de moins de 14 heures par semaine tout comme les enfants de 15-17 ans qui

15 Le choix des couleurs relève de nous.

16 « Light work is notoriously difficult to define. ILO Convention n° 138, in Art. 7, stipulates that light

work should a) not be harmful to a child’s health and development and b) not prejudice attendance at school and participation in vocational training nor “the capacity to benefit from the instruction received”. What does this mean in statistical terms? We decided on the following purpose of this study: light work by children aged 12 to 14 is work which is not hazardous in nature (...) and which does not exceed 14 hours per week. The chosen cut-off point is supported by ILO Convention n° 33 and findings of research on the impact of child labour on school attendance and performance» (ILO- IPEC, 2002, p. 32).

40

exercent une activité non dangereuse d’une durée inférieure à 43 heures/semaine.Dans les faits, l’exercice des activités domestiques ne garantit pas forcément de meilleures conditions. Comme le souligne Schlemmer (2005, pp. 237- 238) :

Le seul fait d’aller chercher l’eau, qui se trouve parfois à plus d’un kilomètre de l’habitation – le sort de tant de petites filles -, suffit à montrer combien d’enfants ne sont pas comptés comme étant contraints au travail parce que les tâches qu’ils effectuent sont, tout simplement, accomplies pour le compte de leurs parents.

En effet, vers les années 1970, le travail domestique des femmes a été incorporé dans le domaine de l’économie et analysé comme une forme de travail (Charmes, 1996 et 2005). Le but de cette reconnaissance du travail domestique était de valoriser le travail féminin, en vue de montrer qu’il ne s’agissait pas d’un choix personnel des femmes, mais d’une règle sociale dans certaines sociétés : la division sexuelle du travail. Cette valorisation du travail domestique permet également de souligner l’importance du travail reproductif (« domestic care » : garde des enfants, préparation de repas, etc.) pour l’économie dans son ensemble (Charmes, 2005, p. 267). Dès lors, les économistes se sont intéressés à comptabiliser le travail domestique à partir d’enquêtes budget-temps. Ces enquêtes tentent de mesurer le travail effectué dans la sphère domestique par un rapport détaillé des diverses activités conduites d’heure en heure, ou de 15 minutes en 15 minutes(Le Bourdais et al., 1987, p. 39).

Il est important de considérer le travail tant du point de vue de la production économique que de la reproduction sociale. Selon Barrère-Maurisson(1992, p. 29), les structures familiales et les structures productrices sont articulées entre elles. Cette logique commune d’organisation des structures familiales et des structures productives constitue la division du travail, et même la division sexuelle du travail entre hommes et femmes. Logiques familiales et logiques productives, affirme-t-elle, doivent être analysées d’emblée « comme relevant d’une même logique qui attribue dans ces structures, à l’homme comme à la femme, leur place spécifique. On ne peut de la sorte, dissocier l’étude de la place des hommes et des femmes dans la production de leur place dans la famille. Elles se renvoient toujours l’une l’autre » (Barrère- Maurisson, 1992, p. 29). Selon Marcoux (1994b), cette articulation va au-delà de la

41 division sexuelle du travail. Elle prend également en compte la division du travail entre adultes et enfants ainsi qu’entre travail économiquement productif et travail domestique (travail destiné à la reproduction sociale : garde des enfants, préparation de repas, corvée d’eau, etc.). L’idée d’articulation entre sphères d’activité valorise l’interdépendance des occupations des membres du ménage. C’est dire que certaines activités exécutées par l’un des membres (par exemple, la cuisine par les femmes) permettent à d’autres membres du ménage de consacrer du temps à d’autres occupations (exemple des corvées d’eau exécutées par les enfants)17. Une des

fonctions du travail domestique exécuté par les enfants est qu’elle permet aux adultes de disposer du temps pour des activités économiques.

Dans les pays développés, les progrès techniques ont modifié en partie le rôle « traditionnel » de la maîtresse de maison joué par la femme. Certaines activités domestiques (lavage, couture, préparation de repas, recherche de bois, corvée d’eau, etc.) sont en partie facilitées par le développement technologique (laveuses/sécheuses), des micro-ondes, des cuisinières électriques ou à gaz, des aliments cuits dans les supermarchés, des aspirateurs, des restaurants prêts à livrer la nourriture, etc. Dans les pays en développement, l’urbanisation n’est pas forcément suivie du développement de ces infrastructures. C’est ce que souligne Agier (1999) lorsqu’il affirme que, dans les pays africains, il y a plusieurs « citadins sans villes ». Pour Locoh (2009), ces villes mal « citadinisées » d’Afrique, posent, entre autres, d’énormes contraintes socio-économiques. Le travail domestique des enfants met en évidence les normes de la division sexuelle du travail qui se manifeste à un âge très précoce dans plusieurs sociétés, les petites filles consacrant chaque semaine de nombreuses heures aux activités domestiques, alors que les garçons y sont moins engagés(Bourdillon, 2006; Jacquemin, 2004 et 2007).