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Chapitre 4 Les logiques autour du soutien aux enfants orphelins en pays moss

4.2 Le décès du père et la logique lignagère

4.2.2 Quand le décès du père révèle la fragilité de la famille élargie

4.2.2.3 Le concubinage et la mise en cause de la veuve

À Ouagadougou, bien que le fait de vivre en concubinage tende de plus en plus à être banalisé (Calvès, 2007), les jeunes en l’occurrence les filles qui font ce choix, n’échappent pas aux pressions sociales de leur famille et de leurs amis. En effet, « seul le mariage protège relativement le droit d’une femme en particulier vis-à-vis des autres femmes que leur compagnon pourrait rencontrer. N’oublions pas que nous sommes dans un contexte de polygamie, aucune condamnation sociale ne s’exerce sur un homme qui décide d’entretenir parallèlement plusieurs relations, chacune d’entre elles pouvant conduire à un mariage » (Attané, 2007, p. 187). Au-delà de cette dimension, le mariage, qu’il soit coutumier, civil ou religieux, offre une reconnaissance sociale aux individus qui y souscrivent. Du point de vue de l’État, rappelons-le, le mariage civil constitue la seule institution qui protège la femme en cas de divorce ou de décès d’un conjoint, d’où l’intérêt de la question du statut de la femme qui perd son partenaire dans une relation de concubinage, ou encore de la reconnaissance sociale dont jouissent les enfants issus de cette relation.

Bon ! du côté paternel, là, on était ensemble seulement, en concubinage. Comme il n’y a pas eu le mariage, vous savez, en Afrique, là, après le décès, la famille du mari est de son côté et moi, avec mes enfants, nous étions de ce côté. Dieu merci, j’ai un petit boulot et je fais avec. Mais les enfants ont un cousin, là, …Il est transiteur. C’est lui seul qui passe de temps en temps pour voir les enfants. Souvent, il peut donner de petits cadeaux. Par exemple, cette année, il a payé la scolarité du plus petit. Je me dis que c’est quand même bien qu’il ait pensé à eux. Avec mon travail, ça va. Le beau-père des enfants était passé au domicile du papa des enfants, quelques jours après les cérémonies funéraires, pour ramasser tout ce qu’il y avait : la télévision, les chaises, etc. Les enfants orphelins l’ont vu faire ça. Mais il n’est plus jamais revenu ici. Il arrive qu’il les appelle, une fois en passant…Des fois, pour provoquer les enfants, je leur dis qu’ils iront passer leurs vacances chez grand-papa. Quand je dis cela, ils se fâchent… Ils n’aiment pas entendre cela. J’avais appris, il y a quelques années, que leur grand-papa songeait à les prendre. J’ai trouvé cette idée drôle. Je l’ai attendu en vain, mais il ne s’est pas

145 manifesté. Je ne peux pas céder mes enfants… Je sais ce qu’on devient quand on va là-bas, chez eux (E14-M-OP)75.

Aux dires de l’enquêtée, cette rupture presque complète du lien de la famille de son partenaire défunt avec son ménage ne s’est pas réalisée sans conflits, conflits d’autant plus « justifiés » qu’elle a été perçue comme une « inconnue » par les parents de son partenaire. Inscrite dans le registre de l’anonymat par la famille de son partenaire, elle fera l’objet de mises en cause au sujet du décès de ce dernier. Ces mises en cause de la mère au sujet du décès de l’époux justifieront le retrait des membres de la famille élargie. En effet, lorsque les causes du décès sont « floues » et que des soupçons mettent en avant des responsabilités de la partenaire, ceux-ci aboutissent à une sorte de règlements de compte de la part de la famille élargie. Ces règlements de compte se traduisent par la rareté des appels téléphoniques en ce qui concerne la prise de nouvelles des enfants orphelins, voire une absence totale des membres de la famille élargie du domicile du défunt.

Tout a mal commencé quand il était parti (décédé). Nous vivions en concubinage depuis plusieurs années. Mais j’étais ailleurs avec les enfants lorsqu’il était décédé. Il y avait eu une petite bagarre entre nous et j’ai pris mes enfants pour aller louer ailleurs. Donc, il vivait seul quand le décès est survenu. On m’a demandé des explications sur son décès, et j’ai répondu que je n’en sais pas grand-chose parce que je ne vivais pas avec lui à ce moment-là. Vous voyez, ses parents sont venus et tout a commencé. Vous voyez un peu, non ! (E14-M-OP).

À ce que les deux récits ci-dessus permettent de comprendre, le concubinage ne conduit pas à un défaut de reconnaissance des enfants comme membres de la lignée. En revanche, il signifie une absence de reconnaissance de leur mère comme alliée. On se retrouve ici dans un registre où la société reconnaît les résultats d’un processus social sans pour autant reconnaître la légitimité du processus. Se pose la question de la définition du géniteur. Est-on géniteur par un acte biologique (le rapport sexuel) ou par une alliance (un lien social) ? Mais, cela ne rentre pas fondamentalement dans le cadre de notre réflexion.

Une des conclusions du concubinage qui retient particulièrement notre attention est qu’il n’aboutit pas à des changements dans les relations de filiation ; il constitue, en

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revanche, un indicateur d’analyse des mutations dans les relations « d’alliance ». On dira que les Mossi acceptent le beurre, mais rejettent le pain qui le porte. Ce beurre, c’est l’enfant, l’être qui occupe une place de choix chez les Mossi, et justifie par là- même le poids social que peut représenter, chez un individu, le fait de ne pas être capable de procréer. La section suivante examine le rôle que peut jouer une femme stérile dans le soutien aux enfants orphelins dans ce contexte.