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Chapitre 2 Contexte, problématique et cadre d’analyse de la recherche

2.2 Famille, politiques économiques et codes juridiques au Burkina Faso

2.2.3 Programme d’ajustement structurel, travail féminin et transfert des enfants à

Dès le début des années 1990, le gouvernement burkinabè a mis en place un programme d’ajustement structurel, sous la houlette de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI). À cet effet, la stratégie du gouvernement s’est appuyée sur plusieurs reformes structurelles : privatisation de certains services étatiques, restriction des dépenses publiques, le désengagement de l’État dans certains secteurs sociaux (éducation, santé, etc.), la compression de personnel dans la fonction publique, etc. À cela s’ajoute la dévaluation du franc CFA de 1994. Cette dévaluation monétaire a favorisé l’augmentation du prix des produits de première nécessité. En ce qui concerne particulièrement les populations urbaines, le coût de la vie a largement augmenté. À Ouagadougou, nombre de chefs de ménage se sont retrouvés sans emploi. À mesure que la crise s’installe et que ses stigmates perdurent, la problématique de la pauvreté37 se substitue à celle de la crise et des effets de ses

reformes (Beauchemin, 2009).

37Le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde (Kobiané, 2009). Par exemple, en

1998, avec un seuil de pauvreté fixé à 41 099 F cfa par personne et par an, 44,5% de la population burkinabè était pauvre (INSD, 1998). En 2003, cette proportion est passée à 46,4% avec un seuil de pauvreté estimé à 82 673 F cfa par individu et par an. De manière générale, les populations rurales sont les plus pauvres (52,3%) (INSD, 2003). En 2011, l’enquête intégrale sur les conditions de vie des ménages montre que 44% des ménages burkinabè vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 108 454 F cfa par an (INSD, 2011a). La distribution régionale de cette pauvreté révèle que la région du centre qui abrite la ville de Ouagadougou a le plus faible taux de pauvreté (17,3%) contre 68,1% pour la région du nord, présentée comme la région la plus pauvre. Selon le classement du Programme des nations unies pour le développement (PNUD), en 2012, le Burkina a occupé la 183e place sur 186

pays. En 2011, il occupait la 161e place sur 169 (http://www.pnud.bf/). Depuis trois ans, les

travailleurs burkinabè s’indignent contre la vie chère. Cette indignation s’exprime à travers des manifestations collectives (marches) et se fondent sur l’inadéquation des salaires aux prix d’achat des produits de consommation. Selon Wouango (2012, p. 139), au Burkina Faso, « même avec un revenu individuel de 108 454 Fcfa par an, on reste toujours pauvre ».

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Le programme d’ajustement structurel et la dévaluation du franc CFA ont contribué à des changements sociaux en ce qui concerne les rapports entre conjoints, ainsi que les pratiques de soutien intra-familiales. La dégradation drastique du salariat urbain compte parmi les faits les plus marquants de ces programmes. Alors que le secteur moderne des économies urbaines perd en puissance, le secteur informel se développe, avec l’accentuation de la contribution des femmes au revenu des ménages.

En effet, les hommes ont été les plus directement touchés par le programme d’ajustement structurel et les réformes successives qui, dès la seconde moitié du XXe

siècle, ont profondément déstructuré leur secteur privilégié d’emploi (le secteur formel, notamment, la fonction publique pour les citadins). Dans la décennie 1990- 2000, le nombre de fonctionnaires a sensiblement diminué dans les zones urbaines et le chômage s’est considérablement accru (OIT, 2009). L’incapacité des hommes, de plus en plus croissante, à jouer le rôle de pourvoyeur principal dans le ménage amène les femmes à assumer la relève ou le complément économique. Certes, la nécessité chez les femmes de s’organiser afin de combler l’incapacité financière du mari n’est pas nouvelle, mais elle tend à devenir cruciale. Par exemple, dans les années 1980, la baisse du pouvoir d’achat des ménages était compensée par l’activité des femmes (Antoine et Diop, 1995). À Lomé (Togo), les maris investissent leurs maigres revenus dans le commerce de leur épouse, assurés de la voir faire fructifier ce commerce pour le bénéfice de tout le ménage (Vignikin et Gbetoglo, 2003). Soulignons que l’importance de l’emploi féminin n’est pas seulement liée au développement du secteur informel. Elle relève également de l’amélioration des taux d’éducation féminins ces dernières années, notamment, à Ouagadougou (Boursin, 2007; Kaboré et Pilon, 2001; Kaboré et al., 2003; Wayack-Pambé, 2007), et qui justifient l’emploi d’un nombre relativement important de femmes dans l’administration publique.

La division sexuelle du travail révèle qu’à Ouagadougou, la plupart des activités domestiques sont accomplies par les femmes. Ces activités domestiques restant entièrement à la charge des femmes (Charmes, 2005), celles qui travaillent à l’extérieur doivent impérativement s’organiser pour se faire seconder à la maison. Ainsi, dans nombre de cas, la réussite économique des femmes ou, pour le moins leur

71 disponibilité au travail passe par l’émergence de nouvelles formes « d’assujettissement des femmes » par les femmes : la recherche d’une « mère intermédiaire » s’impose. Les jeunes filles en âge scolaire représentent de ce fait une main-d’œuvre docile et à moindre coût. Comme le note Kobiané (2003), cité par Pilon (2005, p. 21) :

La sous-scolarisation des filles est aussi un phénomène engendré par les exigences de l’économie moderne, dans un contexte général où les représentations sur les rôles des sexes sont encore prééminentes et où les solidarités familiales permettent la circulation de nombre d’enfants : dans les classes les plus aisées, la participation des deux conjoints au travail extérieur, la scolarisation de leurs enfants entraîne une forte demande en main-d’œuvre pour l’exécution des tâches domestiques. La question est loin d’être simple puisque l’accueil de ces enfants, dans certains cas, participent de stratégies de survie pour les ménages de provenance et renforce les liens de solidarité entre ménages urbains et ruraux. C’est là toute la complexité des relations entre pauvreté, structures familiales et demande scolaire.

Si les données dont on dispose sur ce phénomène d’accueil des filles ne permettent pas de spécifier sur la situation des enfants orphelins, on sait, néanmoins que l’accueil des jeunes filles dans les ménages de classes supérieures et moyennes, pour lesquelles l’école revêt un enjeu de reproduction sociale, constitue un moyen pour ces familles de déléguer les tâches domestiques à ces filles « transférées » afin d’assurer l’éducation de leurs propres enfants (Pilon, 2007). Selon Boursin (2002, p. 9), aussi paradoxal que cela puisse paraître, la « libération » d’une génération de femmes, ayant eu accès à l’éducation, puis à un travail à l’extérieur de l’univers domestique, compromet aujourd’hui les chances d’une catégorie de petites filles à reproduire le parcours de leurs aînées. L’emploi « massif » des femmes sur le marché de travail semble fortement corrélé à l’exploitation d’une main-d’œuvre enfantine, docile et peu coûteuse, pour la remplacer dans les tâches domestiques. Cette corrélation positive entre l’emploi des femmes et le travail des filles ne remet pas, toutefois, en question l’effet positif de l’éducation des femmes sur la scolarisation des enfants, les filles en particulier, mais elle permet de mettre en évidence l’influence du lien de parenté de l’enfant avec le chef de ménage comme facteur discriminatoire.

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