• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Contexte, problématique et cadre d’analyse de la recherche

2.3 Problème et questions de recherche

2.3.2 Les Mossi, le lévirat et les relations entre aînés et cadets

S’agissant des pratiques matrimoniales dans les sociétés contemporaines, précisément du lévirat, en contexte urbain chez les Mossi, Attané (2007, p. 184) écrit :

Depuis les années 1970, les cadets masculins des familles sont de plus en plus hostiles au lévirat. Certes, si la veuve atteint un âge proche de la ménopause, ils ne sont pas tenus d’avoir des relations sexuelles avec elle, mais sont contraints de subvenir à ses besoins comme à ceux de ses enfants. Dans un contexte où les jeunes hommes ne disposent pas forcément des ressources suffisantes pour assumer l’épouse désirée, cette obligation peut être durement vécue.

Dans le contexte actuel de la ville de Ouagadougou, il est aussi important de préciser les fluctuations que connaissent les concepts d’aîné et de cadet. Selon Attané (2007, p. 171), s’il est vrai que l’âge et le rang dans la fratrie restent des critères d’aînesse, il est important de souligner que les ressources financières et la capacité de redistribution sont aujourd’hui déterminantes pour l’obtention de ce qu’elle désigne comme statut d’aîné social.

Les modalités d’accession à l’aînesse sociale se sont diversifiées, tout au long du vingtième siècle, sans s’exclure mutuellement. L’accession au savoir scolaire, à des ressources financières par le biais du commerce ou de la migration ont institué de nouvelles modalités d’ascension sociale…

alliance. Selon Taverne (1996, p. 90) : « plutôt qu’un événement unique, le mariage est une suite d’événements, un processus au cours duquel se renforce progressivement l’alliance qui doit unir deux groupes sociaux… ».

75 Sont aujourd’hui en position d’aînés les grands commerçants à la réussite financière incontestable qui sont en mesure de redistribuer une partie de leurs revenus auprès de leur entourage. Donner beaucoup et avec ostentation, c’est faire la preuve de son pouvoir économique et social, de son autorité morale, c’est faire grandir son nom. Ainsi, les relations entre les générations sont largement déterminées par la position sociale et économique respective… (Attané, 2007, p. 171).

Ce contexte de coexistence de différents modes d’accès à l’aînesse, avec tous les privilèges qui y sont liés, pose, entre autres, la question des frontières de l’harmonie ou de l’unité familiale.

La littérature sur les pratiques matrimoniales contemporaines en pays mossi, sommairement présentée, montre que les mariages contraints par les aînés, les mariages d’inclination, les unions libres, etc., coexistent. Bien plus qu’une simple coexistence de différentes formes de mariage, il s’agit d’un mélange de logiques matrimoniales avec des implications sociales différentes. On l’a vu, du point de vue des pratiques matrimoniales coutumières, la femme est représentée comme une étrangère n’ayant ni droit de succession à l’époux, ni droit à la garde des enfants au cas où elle quitte la famille de son époux défunt. Le mariage civil, basé sur le droit moderne, noué par le Code des personnes et de la famille, ne reconnaît pas le mariage coutumier ; il fait de la femme une personne à part entière, juridiquement capable, responsable vis-à-vis des enfants et ayant vocation à la succession de son époux. Dès lors, il convient de s’interroger sur les enjeux autour de la prise en charge des enfants orphelins dans cette société. Ces enjeux peuvent être envisagés à la fois autour de la légitimité que le Code des personnes et de la famille accorde à la veuve et du déni de cette légitimité dans le cadre du mariage coutumier.

La question principaleque nous nous posons, dans cette recherche, est la suivante : quelles sont les logiques d’acteurs autour du soutien familial aux enfants orphelins chez les Mossi, à Ouagadogou39 ?

39Nous aimerions déjà souligner que cette thèse s’appuie sur un important matériel d’entretiens (récits

de vie). En effet, selon Pruvost (2011), l’intérêt sociologique du récit de vie réside dans son ancrage « subjectif » : il permet de saisir les logiques d’action selon le sens même que l’acteur confère aux faits qu’il a vécus. Le récit de vie permet également de situer l’environnement social dans lequel les

76

Par ailleurs, à ce niveau, ce contexte de pluralité de logiques matrimoniales et d’accès à l’aînesse nous amèneà quelques questions secondaires :quels sont les enjeux et les conséquences de la coexistence des modalités d’accès à l’aînesse, c’est-à-dire le rang dans la fratrie et le pouvoir économique, sur les relations entre frères et le soutien aux enfants orphelins ? Dans quelle mesure la question du soutien familial aux enfants orphelins permet-elle de mettre en doute l’image consensuelle de la famille en pays mossi ?

2.3.3 Le décès parental et le transfert des enfants orphelins en pays mossi

La question du soutien familial aux enfants orphelins en pays mossi mérite d’autant plus l’attention que, rappelons-le,la prise en charge institutionnelle des enfants orphelins y est extrêmement rare40. Du point de vue des politiques publiques

burkinabè, la catégorie d’enfants orphelins est comprise dans le concept très large d’enfants vulnérables. En 2006, le ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationale a adopté une politique nationale axée sur les Orphelins et enfants vulnérables (OEV). Cette politique s’inscrit dans l’agenda de la direction de la protection et de la lutte contre la violence sur les enfants. Ladite direction a la responsabilité de concevoir, de suivre et d’évaluer les programmes et stratégies relatifs à la protection et à la promotion sociale de l’enfance et de l’adolescence. Mais il n’existe pas de politique spécifique aux enfants orphelins. Les questions relatives au travail des enfants au ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationalesont abordées dans le concept très large d’enfance difficile41(Wouango, 2012).

Les sources d’information disponibles sur les enfants orphelins de la ville de Ouagadougou ne renseignent pas en détail sur le lien de parenté de ces enfants avec leur chef de ménage. On dispose, néanmoins, de quelques informations sur ces enfants, selon lesquelles le décès parental semble favoriser le transfert des enfants

faits se déroulent et d’inscrire les phénomènes sociaux dans un enchaînement de causes et d’effets. Il renseigne sur les processus. Le récit participe des logiques familiales ou sociales, mais il en échappe également.

40On ne dénombre qu’une dizaine d’orphelinats dans tout le pays (Hien, 2010). Le soutien des ONG

aux enfants orphelins semble également marginal (Laura et Hejoaka, 2005).

41 Certes depuis plusieurs années, au sein de la société civile, il y a des initiatives portant sur la prise

en charge des enfants orphelins, mais ces actions sont pour la plupart isolées sans qu’il ait une approche globale coordonnée, et couvre un nombre relativement faible d’enfants (Hien, 2010).

77 orphelins. Ainsi, selon une étude sur les enfants orphelins de Ouagadougou menée par le Guttmacher Institue (citée par Hien, 2010, p. 36) auprès de 1200 ménages de Ouagadougou, en cas de décès du père, 32% des enfants orphelins restent avec leur mère, tandis qu’en cas de décès de la mère, 14% des enfants orphelins vivent avec leur père. En revanche, dans cette catégorie d’enfants orphelins, 50% des filles et 40% des garçons ayant perdu un parent ne vivent pas avec l’autre parent en vie. Selon Yaro et Dougnon (2003), dans la société burkinabè, et particulièrement en pays mossi, le décès parental s’accompagne d’un changement de ménage chez les enfants orphelins.

La raison première d’accueillir un enfant orphelin, rappelons-le, pourrait venir, selon Cook (1996), de son état de fardeau ou d’orphelin. Mais le raisonnement déterminant qui devrait être son tuteur, sous quelles conditions, et comment sera traité l’orphelin dans sa situation d’enfant transféré ne peut être compris que si l’on regarde l’ensemble des variables sociales et économiques dans une famille.

Quelles sont les logiques d’acteurs autour des transferts d’enfants orphelins en pays mossi, précisément à Ouagadougou? Dans quelle mesure l’accueil des enfants orphelins rend-il compte de l’harmonie ou de la fragilité de la famille élargie dans cette société ?

2.3.4 Transfert des enfants et travail des enfants à Ouagadougou

Les données de l’enquête biographique « Devenir parents à Ouagadougou » réalisée conjointement par l’Université de Montréal et l’Institut supérieur des sciences de la population de l’Université de Ouagadougou entre novembre 2009 et février 2010, analysées par Calvès et al. (2011), nous renseignent sur le profil des enfants transférés, ainsi que sur leurs activités à Ouagadougou. Selon Calvès et al. (2011, p. 12), à Ouagadougou, le travail des enfants est fortement déterminé par l’origine sociale. Ainsi, les fils et les filles de fonctionnaires ainsi que de salariés ont trois fois plus de chance de ne pas travailler à 19 ans. Les filles ont deux fois plus de chance de ne pas travailler et les garçons, ont deux à trois fois plus de chance. De manière générale, notent-elles, les enfants transférés à Ouagadougou sont d’origines plus modestes que les autres catégories d’enfants. Ces enfants sont, pour la plupart, fils

78

ou filles d’agriculteurs (62% des garçons et 65% des filles), et sont majoritairement issus de ménages pauvres (65% des garçons et 67% des filles). C’est auprès d’un membre de leur famille, et notamment chez les oncles et tantes (plus d’un tiers des garçons et des filles) ou les frères et sœurs (20% des garçons ou enfants et 15% des filles) que sont accueillis la majorité de ces enfants à Ouagadougou. Les filles sont proportionnellement plus nombreuses que leurs homologues masculins (8% contre 4%) à être hébergées par un non parent. Ces enfants sont très jeunes (32% des filles ont moins de 15 ans contre 17% pour les garçons), notent-elles.

Les secteurs d’activité de ces enfants diffèrent selon le sexe. Les garçons sont principalement présents (42%) dans le petit commerce42 (vendeurs ambulants,

vendeurs dans une boutique), les autres services (37%) tels que la blanchisserie, la boucherie, les emplois relevant de la construction, la gestion de boutiques ou de kiosques et dans une moindre mesure dans l’artisanat (peintres, cordonniers, menuisiers, maçons, manœuvres). Seuls 3% des garçons sont employés comme domestiques. Chez les filles, en revanche, le secteur domestique représente 33,5% des premiers emplois féminins : 13% des jeunes filles effectuent ces activités dans le cadre de la famille et 21% sont des domestiques rémunérées. Calvès et al. (2011, p. 10) notent que 42% des garçons transférés ont un emploi rémunéré contre 27% des garçons non transférés. La proportion d’enfants transférés exerçant une activité rémunérée est plus élevée que celle des enfants non transférés.

Une des conclusions auxquelles sont parvenues Calvès et al. (2011), et qui nous intéresse particulièrement ici, est le lien entre le statut de l’enfant (transféré, non transféré) et la finalité de l’activité, c’est-à-dire ce qui est recherché dans l’activité, le but pour lequel le travail est accompli. On note que la première catégorie d’enfants (transférés) travaille en vue d’un salaire, alors que la tendance au salaire est moins forte dans la deuxième catégorie. On note également une importante proportion de filles dans les activités domestiques, activités s’inscrivant à l’intérieur du cadre

42 Le petit commerce concerne notamment la vente de produits alimentaires (céréales, condiments,

fruits, riz, arachides, bouillie, haricot) et les autres services (coiffeuses, serveuses, gérantes de kiosque ou télécentre).

79 familial, alors que les garçons y sont relativement épargnés. Ce contexte amène à interroger les logiques dans lesquelles s’inscrivent les activités de ces enfants. Dans quelle mesure le décès parental favorise-t-il l’investissement des enfants orphelins dans le travail? Quelle est la nature de la contrepartie (salaire ou bénéfice) du travail des enfants orphelins? Quelle est la destination du revenu (pour eux-mêmes ou pour la famille) des enfants orphelins? Quel rapport social (salariat ou non) le travail des enfants orphelins implique-t-il?