• Aucun résultat trouvé

4. ANALYSE

4.2 Les usages des produits de santé naturels

4.2.2 Traiter un problème de santé

Beaucoup d’études (Eisenberg et al., 2001; Fainzang, 2010; Kelner et Wellman, 2000) démontrent que l’automédication est une pratique utilisée comme première stratégie de défense contre les inconforts qui dérangent une personne dans ses activités quotidiennes. Selon Fainzang (2010), ces inconforts sont ce que les individus perçoivent comme des problèmes bénins, c’est- à-dire de « petits risques » (Fainzang, 2010, p. 119, citant Steudler, 1999), des « troubles [qui] ne sont pas assez graves pour déranger un médecin » ou que les sujets (les usagers) « connaissent assez pour se soigner eux-mêmes » (Fainzang, 2010, p. 119, 120). Leur recours peut également viser à traiter les problèmes pour lesquels ils n’ont pas trouvé de solution dans les soins conventionnels.

Fainzang (2010, p. 120) postule qu’un individu considère qu’un problème est « bénin » lorsqu’il connaît ou reconnaît un symptôme pour l’avoir déjà vécu dans le passé. Ainsi, une situation est jugée « bénigne » lorsqu’elle est déjà « connue », soit par l’usager lui-même ou soit par quelqu’un dans son entourage (famille, amis, collègues de travail, etc.), comme c’est le cas pour les problèmes d’allergie, la toux, la fièvre, des douleurs au ventre (douleurs d’estomac,

problèmes de digestion), les maux de dos et l’insomnie. Ou encore, l’automédication est pratiquée lorsque les individus se sentent assez confiants pour traiter eux-mêmes leurs problèmes (Hughes, McElnay et Fleming, 2001). Selon Hughes et al. (2001), entre 70 à 90 % des problèmes de santé sont traités par différentes formes d’automédication, et n’ont pas été portés à l’attention des professionnels de la santé.

Les participants à notre étude utilisent les PSN pour traiter des problèmes comme les problèmes immunitaires (rhume, fièvre, allergie, angine bactérienne), des coupures ou des blessures mineures, les douleurs musculo-squelettiques (articulation, dos), les problèmes de digestion (douleurs et brûlures d’estomac, reflux gastro-œsophagiens, maladie intestinale), les maux céphaliques (maux de tête, migraine), l’insomnie, les problèmes d’humeur (déprime, stress, anxiété, dépression) et les problèmes féminins (endométriose, masse et tumeur utérines). À l’exception des maladies intestinales et des masses utérines, les autres problèmes de santé sont identifiés comme des problèmes bénins dans le compendium des problèmes bénins de l’Association des pharmaciens du Canada (Association des pharmaciens du Canada, consulté le 13 juillet 2017). Pourtant, aussi bénins soient-ils, et même s’ils ne méritent pas de recourir à un médecin, ces problèmes sont néanmoins gênants pour les participants, car ils entravent (sérieusement) leur vie quotidienne ou génèrent des inquiétudes constantes. Par conséquent, ils cherchent à régler ces problèmes ou du moins à s’en soulager pour amenuiser leurs impacts afin de pouvoir fonctionner normalement tous les jours.

[C’est un stress] émotionnel, mais c’est plus un stress physique, dans le sens que ça occasionne, ça change les activités, dans le sens qu’il y a des choses que je peux plus faire, comme je ne peux plus vraiment travailler […]. Avant, je travaillais beaucoup. J’avais deux jobs. Je les ai encore, mais je suis en arrêt de travail. […] Puis il y a eu l’accident d’auto, fait que j’ai mal au dos […]. Oui, ça change mes activités là, oui. (Émilie, 24 ans)

Pour traiter leurs problèmes de santé, les participants suivent une série d’étapes pour cerner le problème et y trouver les solutions pour le régler. Tout d’abord, il s’agit de procéder à un autodiagnostic en faisant son auto-examen afin d’identifier le symptôme manifesté. Ensuite, il s’agit de consulter les référents profanes de l’entourage (famille, amis, collègues de travail, etc.) pour connaître la nature du symptôme et lui attribuer un problème à traiter. L’attribution

d’un problème à un symptôme peut se faire sans demander l’avis de l’entourage lorsque la personne reconnaît le symptôme pour l’avoir déjà expérimenté antérieurement.

Bien souvent, la famille est la première source consultée pour parler des problèmes de santé et demander des conseils pour traiter ces problèmes. Les membres de la famille peuvent fournir leur opinion sur la base de leurs expériences antérieures de symptômes similaires – voire même l’expérience d’autres personnes qu’ils connaissent dans leur cercle d’amis et de connaissances étendues –, par rapport à des solutions qui ont fonctionné pour eux ou pour leurs connaissances. Les expériences des membres de la famille ainsi que des amis et des connaissances constituent la première source d’informations et de conseils thérapeutiques.

La mélatonine, c’est une de ses collègues [à ma mère], qui je crois qui utilisait ça, puis qui avait su que j’ai des problèmes d’insomnie depuis toujours. Elle [ma mère] a disait « Essaie ça, on va l’essayer ». […] Puis justement, la semaine passée, dans le temps des fêtes, je suis allée patiner avec lui [mon père], puis il m’a dit « Ah, j’ai une collègue de bureau qui m’a parlé des produits naturels pour l’insomnie », puis il m’a donné un papier, puis c’était écrit « mélatonine » dessus. (Samantha, 29 ans)

Selon plusieurs chercheurs (Goldstein, 2004; Kelner et Wellman, 1997; Montbriand et Laing, 1991; Wellman, 2000), les membres de la famille sont les premiers et les meilleurs « prescripteurs » de soins alternatifs, surtout s’ils se nourrissent de multiples lectures de médecines populaires (Goldstein, 2004).

Les oméga-3, c’est elle [ma mère] aussi. C’est elle qui avait lu l’livre [sur les oméga-3] du médecin dont je te parlais, puis elle me l’a prêté après. Puis, elle en consomme aussi de 5 à 8 capsules par jour, puis ça avait un bien fait sur sa santé mentale puis son bien-être général. (Samantha, 29 ans)

Après la cueillette des expériences et des solutions proposées par les référents profanes, une personne peut par la suite décider ou non d’étendre ou de vérifier la validité de ces informations et conseils. Ceci se fait par l’autoéducation du sujet, c’est-à-dire que la personne cherche à se documenter davantage sur son problème et sur les solutions existant en naviguant sur Internet, en lisant des livres, des magazines ou des journaux ou en écoutant la télévision et la radio. Toutefois, la validité des informations et des conseils est souvent fondée non sur la crédibilité de la source d’information, mais sur la relation de confiance qu’une personne éprouve

envers son référent. Pour elle, l’expérience des référents est parfois plus valide et plus crédible que les ressources référentielles des experts scientifiques et médicaux. En fait, elle considère que si sa ressource référentielle lui conseille un produit, c’est parce qu’elle a été témoin de son efficacité, soit pour l’avoir expérimenté elle-même, soit pour en avoir observé directement les effets ou en avoir entendu parler par d’autres personnes de son milieu. Ainsi, le PSN conseillé devient une solution thérapeutique qui mérite d’être essayée.

Mon copain […], lui et sa famille sont beaucoup plus dans les produits pharmaceutiques, des vraies pilules-là tsé. Donc, « Ces recettes magiques-là, ces recettes miracles-là, j’y crois pas ». Mais en même temps, quand je lui ai fait goûter les infusions de gingembre, un soir, j’étais revenue, puis il avait fait 20 pots de Mason d’infusion de gingembre genre pour la semaine là tsé. (Samantha, 29 ans)

Ils [collègues de travail] achetaient des produits biologiques, organiques, tout ça, puis ça l’a juste éveillé ma curiosité. À un moment donné, j’ai dû me demander « Mais pourquoi? » tsé. Puis, je regardais des documentaires de l’alimentation puis tout ça, fait que c’est sûr qu’il y a une influence extérieure, sûr et certain. (Amélie, 29 ans)

Néanmoins, le participant fait une sélection parmi l’abondance des informations et des conseils recueillis en se basant sur ce qui lui semble le plus sensé, c’est-à-dire sur les informations qui résonnent avec ses préférences, ses valeurs, ses croyances et ses représentations de la santé, de la maladie et de la thérapie, ou encore en se basant sur ce qu’il considère comme le mieux adapté à sa condition. Il s’agit pour lui de mettre le plus de chances de son côté pour favoriser la guérison ou de soutenir ses capacités d’autoguérison du corps, et ce, même lorsqu’il ne croit pas en l’efficacité des produits qu’il a choisi d’utiliser.

Avant ma chirurgie, j’ai trois produits homéopathiques à prendre. Je crois pas beaucoup à l’homéopathie. Mais bon, supposément, ça marche, fait que je vais les prendre. C’est pas cher de toute façon. Juste avant la chirurgie, minuit avant j’ai pas le droit de rien boire, de rien manger, fait que des petites granules [d’homéopathie], y va pas vraiment le voir […]. Ça n’affecte pas ton système digestif, parce que je vais les mettre en dessous de ma langue. Ça va pas augmenter ma vessie non plus. […] Puis, après la chirurgie, j’ai Liver-G.I. Detox pour détoxifier mon foie, parce qu’elle [la naturopathe] a dit que mon foie est engorgé. Faut que je continue le zinc. Faut que je prenne mon huile de poisson, mes oméga-3 […], puis je continue l’homéopathie arnica, calendula, hypericum […]. Et optionnel pour les cicatrices […], ça s’appelle Wa Enzyme […], pour aider supposément pour les cicatrices. (Émilie, 24 ans)

Après avoir sélectionné une ou des thérapies à essayer, s’ensuit alors l’étape de l’expérimentation des produits que la personne a choisis pour constituer son autoprescription. Ensuite, elle va se procurer les PSN en magasin, en pharmacie ou en boutique.