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4. ANALYSE

4.3 Automédication, (in)efficacité et risques

4.3.2 La validation de l’(in)efficacité des PSN

Avant de poursuivre, il convient d’abord de définir ce qu’est un effet placebo. Selon Guy-Coichard et Boureau (2005), l’effet placebo est « tout procédé thérapeutique donné intentionnellement pour avoir un effet sur un patient, symptôme, syndrome ou maladie, mais qui est objectivement sans activité spécifique pour la condition traitée » (Guy-Coichard et Boureau, 2005, p. 227, citant Shapiro 1964). En d’autres termes, il s’agit des effets ressentis pour une personne suite à la prise d’un produit quelconque qui ne contient aucun principe actif pouvant produire un effet thérapeutique chimique quelconque.

Les arguments scientifiques utilisent souvent l’effet placebo pour désigner les effets d’efficacité ressentis par les usagers de PSN. Du côté des participants de cette étude, presque la totalité d’entre eux est confondue entre l’efficacité réelle des PSN et leur effet placebo.

Les Nutricap, je sais pas si c’est juste psychologique ou c’est dans ma tête, mais j’ai l’impression q’ça aide aussi à faire pousser mes cheveux plus vite pis plus épais. (Véronique, 26 ans)

Cette confusion est en partie causée par le fait que le moment où ils consomment des PSN coïncide avec les périodes où ils ont une bonne hygiène de vie, faisant en sorte qu’ils se demandent si l’efficacité ressentie découle effectivement des PSN ou elle n’est qu’une illusion produite par les effets placebo. Ou encore, elle est peut-être née de leur puissant désir de croire en l’efficacité des PSN.

Je ne sais pas à quel point ça m’a aidé, parce que j’ai pris l’ashwaganda et puis j’ai changé mon alimentation, mon régime alimentaire. Ç’a été global. (Thomas, 29 ans)

Je ne sais si ç’a fonctionné [les oméga-3 contre l’anxiété]. Tsé, les périodes où j’en prends, c’est tout le temps des périodes où j’ai un rythme de vie qui est vraiment sain [sic], que je mange bien, que je m’entraîne et tout. Donc, c’est peut-être je sais pas si c’est des oméga-3 ou comme le mélange de tout ça qui fait en sorte que je me sens bien. Ou l’effet placebo […]. Des fois, je me questionne sur leur efficacité. Tsé, je me demande s’il y a pas l’effet placebo dans le sens qu’on y croît et tout. (Samantha, 29 ans)

L’effet placebo laisse planer des doutes sur l’efficacité des PSN, ce qui génère de la frustration chez quelques participants. En effet, à cause de cela, ils ne peuvent pas dépendre du produit pour les cas où ils ont réellement besoin que les effets désirés se manifestent.

[À l’adolescence], quand j’ai fait d’l’insomnie plus sévère […], ma mère m’avait dit « Ah, c’est un produit naturel, pis ça marche bien […]. C’est pas aussi puissant qu’un somnifère, mais ça va t’détendre ». Et j’ai cru ma mère, pis ça a aidé. Pis là, quand j’ai eu mes problèmes de sommeil qui sont revenus l’an dernier, j’en ai repris, mais […] le Phyto, c’était pas assez puissant. Fait q’là, j’me dis y devait avoir un côté effet placebo […]. Une fois qu’on l’sait, c’est comme un peu dérangeant, parce que quand on est vraiment pas sûr de dormir, on s’dit « Ah, mais c’produit-là est un effet placebo. Ça sert à rien que je le prenne » […]. Le Novanuit, il a quand même un certain effet. Même si tu crois moins, il détend quand même, quoi […]. Les nuits où j’pense qu’il va bien marcher, il marche mieux. Et les nuits où j’suis sceptique, il marche moins bien. (Robin, 27 ans)

Par contre, si l’effet placebo frustre certaines personnes, il en réjouit d’autres, car il résonne avec leur croyance du pouvoir d’autoguérison de leur corps et leur confirme leurs capacités de se guérir par elles-mêmes de leurs problèmes. Pour ces personnes, mieux vaut que ce soit un effet placebo que véritablement l’efficacité des produits qu’elles utilisent. Ainsi, l’effet placebo des PSN devient plus important que leur efficacité incertaine ou l’absence des preuves scientifiques.

C’est peut-être placebo […], parce qu’il y a rien qui est prouvé […]. Donc, si c’est placebo, tant mieux. (Diane, 34 ans)

J’aime mieux croire que je peux me guérir par moi-même […]. Tsé, tant mieux en fait, là. Si t’es pas obligé d’prendre un esti d’médicament qui est de la cochonnerie genre, qui est pas bon pour toi, mais qui t’vas t’guérir mais comme, au bout d’la ligne, tout ce que ça l’a fait à ton corps, c’est pas bon genre […]. C’est aussi ben d’avoir un effet placebo, pis justement genre toi, tu travailles par toi-même. (Claude, 26 ans)

Cependant, si les participants sont incertains quant à l’efficacité des PSN, beaucoup croient que si les PSN ne peuvent pas guérir leurs problèmes, ils peuvent néanmoins aider à les soulager ou soutenir le corps à mieux les supporter. L’efficacité des PSN n’est pas toujours évidente à constater, ce pourquoi les participants se fondent sur leur perception des effets ressentis pour la valider.

Ben moi, j’ai senti les premiers signes d’amélioration après un mois. Eux autres [membres de la famille], ils ont comme validé que j’avais raison là, p’t’êt’ six mois après. […] Ma mère et ma grand-mère, qui s’achetaient par exemple de la spiruline. […] « Ah oui, on va s’prendre en main ». Eux autres, c’était dans l’but d’maigrir, parce que quand j’avais changé mon alimentation, j’avais perdu comme 10-12 livres, fait qu’y se disaient « Ah, on va faire comme Karine », tsé. (Karine, 29 ans)

De la même façon qu’ils établissent la validité de l’(in)efficacité des PSN sur les ressentis de leurs expérimentations, les participants établissent aussi la crédibilité des PSN et les informations à leurs propos sur la base des sentiments de confiance qu’ils éprouvent envers leurs référents. Pour eux, les preuves scientifiques ne constituent pas une source de validité crédibilité, puisque les essais cliniques ne mesurent pas les aspects émotionnels, sociaux et

environnementaux qui peuvent influencer la maladie : ces essais s’effectuent souvent en isolant les individus de ces facteurs d’influences non biophysiologiques. Pour les personnes qui ne se sentent pas en santé, les preuves scientifiques importent peu, car leur but principal est de recouvrir un état de bien-être. Par conséquent, les expériences personnelles des individus (d’eux-mêmes, des membres de la famille, des connaissances ou des rumeurs) sont celles qui conduisent à établir l’efficacité des PSN.

Je peux voir des différences entre les journées où je prends des probiotiques et des journées où j’en prends pas. […] Même en ayant le même type d’alimentation, si je prends pas de probiotiques, mon reflux va être vraiment intense tandis que les journées où j’en prends, c’est plus calme. (Diane, 34 ans)

Pour certains participants, la maladie ou la manifestation d’un symptôme n’est pas toujours attribuable à une lésion des tissus ou à un dysfonctionnement biologique, mais à des éléments non physiologiques, comme les événements de la vie. Par exemple, des séparations amoureuses ou des périodes de stress intenses (fin de mois au travail, période des examens, etc.) peuvent causer des sensations de brûlure d’estomac ou réveiller des douleurs ou des symptômes d’un mal, d’un problème ou d’une maladie. Les symptômes représentent ainsi une manifestation physique des états émotionnels fluctuants de la personne.

Une fois que j’ai eu un malaise là, […] j’retournais la voir [après deux ans d’absence], pis elle [médecin] a dit « Ah! Tu vois! Si t’as eu un malaise, c’est significatif que t’as effectivement besoin d’la médication! » Mais tsé, je vivais une grosse période stress, de séparation, fait q’tsé, quand t’as une maladie intestinale, ça l’a un gros impact là. (Karine, 29 ans)

Les participants tiennent compte des émotions et des sentiments dans leurs représentations de la santé et de la maladie. Pour eux, une maladie est une manifestation d’un déséquilibre entre le physique et le mental, qui comprend aussi les aspects émotionnels et spirituels. Par exemple, le stress et l’anxiété peuvent intensifier les problèmes de sommeil en insomnie, dont deux tiers des participants en souffrent. Et du fait que les problèmes de santé sont associés avec des émotions, la thérapie pour traiter ces problèmes devrait donc aussi contenir ces dimensions émotionnelles.

J’avais aussi appelé au centre d’aide étudiante pour voir un psychologue […], j’avais besoin d’aide. […] J’suis encore suivi par un psychologue pour ça et l’anxiété. […] Je pense que mon cycle biologique de sommeil fonctionne très, très bien […]. C’est juste l’anxiété qui s’met en route, qui peut gêner le cycle. Donc quand même l’anxiolytique vient briser l’anxiété, ben ça permet aussi au sommeil naturel de se remettre en marche quoi, normalement. (Robin, 27 ans)

Le physique et le mental ne peuvent pas être séparés. Si les émotions peuvent affecter le corps, inversement, les états du corps peuvent aussi affecter les émotions.

Tsé, quand pour toi, te lever le matin c’est un fardeau là, ou que faire une tâche ordinaire pendant la journée, t’as une douleur là, que t’es incapable de faire une certaine activité, parce que t’es malade. Tsé, ça l’affecte non seulement ton physique, mais aussi ton psychologique. […] On sent pas bien. Fait quand on est en santé […] c’est comme un engrenage-là. Ton corps commence à aller mieux, ton psychologique commence à aller mieux, fait que tout va mieux. (Karine, 29 ans)

Et comme il a été mentionné plus haut, les participants croient que si les produits naturels ne les affranchissent pas de leurs problèmes, ils les aident néanmoins à mieux les supporter ou à les gérer. C’est le cas, par exemple, pour les problèmes d’humeur comme le stress ou les déprimes.

J’ai déjà pris des anxiolytiques, des antidépresseurs, de médicaments quelconques pour ces deux conditions-là. […] Les effets secondaires étaient traumatisants, en fait […]. Je me suis mis […] à l’huile de morue, aux oméga- 3. […] Même si je voyais bien que ça réglait pas tous les problèmes dans ma vie, mon humeur générale était similaire à celle que j’avais sous ces médicaments-là […]. Je retrouvais le même effet que le médicament pharmaceutique, sans avoir toutes sortes de pensées tordues ou d’effets secondaires hyper désagréables. (Oscar, 32 ans)

Maintenant, j’prends […] des ampoules de magnésium que j’prends tous les matins. Et ça, c’est plus sur ton terrain de stress latent, parce que je ressentais pas de stress, mais y a quand même des symptômes du stress que j’aurais pu avoir là […] parce que j’fais beaucoup de projets, donc ça m’occupe pas mal. Et ça, c’est stressant. […] Le stress […], ça produit des toxines, tu vois, qui vont avoir des effets sur toi. Par exemple, la spasmophilie, ces genres de choses. Et du coup, le magnésium va agir sur ce terrain-là. C’est pas que ça va régler tes problèmes de stress. Ça va favoriser le fait que ton corps va mieux le gérer. (Georges, 26 ans)

Dans le cas où un PSN s’est révélé inefficace pour une personne, ceci ne l’empêche pas de chercher à essayer d’autres produits, surtout parmi les produits qui lui ont été recommandés par d’autres personnes.

Mon ami Simon, qui a des problèmes d’insomnie chroniques comme les miens, j’veux dire, ça fait 72 milliards de produits qu’on s’envoie et qui ne fonctionnent pas, malheureusement. (Oscar, 32 ans)

En se fondant sur le fait que si l’efficacité des PSN n’est pas scientifiquement prouvée, l’inefficacité non plus ne l’est pas. Ceci fait que l’argument de l’absence de preuves scientifiques a comme résultat surprenant de ne pas décourager l’utilisation de PSN, mais au contraire d’encourager des explorations supplémentaires pour expérimenter des PSN. L’efficacité et l’inefficacité sont des objets du ressenti d’une personne. Se fondant sur la croyance que chaque corps est différent et chaque personne est différente, alors leurs ressentis le sont aussi, y compris envers un même objet. Par conséquent, un produit qui ne fonctionne pas chez une personne pourrait l’être chez une autre et vice versa.

Je faisais souvent des infections urinaires […], j’en avais souvent. […] Je travaillais comme préposée aux bénéficiaires à domicile […], spécialement pour des personnes qui sont en situation d’handicap, puis les personnes qui sont quadraplégiques [sic] ont vraiment une propension super élevée, eux et elles, à faire des infections urinaires […]. Puis lui [un client] en prenait [cachets de canneberge] […], genre deux par jour, un [sic] affaire de même. Puis il disait depuis qu’il faisait ça, sa vie y a changé. […] Fait que moi je m’étais dit « Ben je vais essayer ». […] J’ai essayé, pis ça, ça changeait vraiment rien, là. […] Ça marchait pas vraiment […], alors que j’ai arrêté même si on me disait que c’était efficace. Moi je voyais pas d’effet, alors j’ai arrêté. (Louise, 29 ans)

En homéopathie, par exemple dans les granules que je prends, l’argument de mon pote Alex, c’est d’dire « Ouais, mais tsé, y a tellement peu de trucs de principes actifs dedans […]. Par granule, y en a quasiment pas, si y en a » […]. Mais tsé, genre, tout l’principe de l’homéopathie, c’est ça, en fait, c’est d’dire j’te donne un tout p’tit peu de truc tout petit là. Et pis tsé, ça fait l’effet, parce t’as pas besoin de plus, tu vois. […] L’homéopathie, pour moi, ça marche. Par expérience, j’dis q’ça marche. (Georges, 26 ans)

Plus loin encore, l’argument du « scientifiquement non prouvé » est utilisé pour amenuiser le désappointement face à un PSN qui n’est pas efficace ou qui a cessé d’être efficace, puisque l’usager n’avait pas d’attentes élevées envers l’efficacité de celui-ci.

Cela dit, dans le cas où il y a une efficacité constatée, celle-ci n’est pas attribuée au produit, mais à son effet placebo, car justement, l’efficacité n’a pas été scientifiquement prouvée. Le ressenti est aussi un composant de l’effet placebo. Ainsi, l’absence de preuves scientifiques et l’effet placebo ne représentent pas un obstacle à l’utilisation des PSN, entre autres à cause de l’assurance du « naturel » des PSN.

Revenons brièvement sur l’effet placebo. Celui-ci peut mener à deux résultats possibles : le premier étant de faire en sorte que l’usager arrête son exploration des PSN, car il a trouvé ce qui le satisfait; le deuxième étant d’encourager à explorer davantage des PSN, car l’expérimentation d’un PSN précédent lui a été positive. Dans le cas où un usager décide de pousser plus loin son exploration des PSN, il reste conscient que s’automédiquer comporte des risques. Par conséquent, il développe des stratégies de gestion des risques dans son exploration des PSN pour contourner ou minimiser les risques potentiels des PSN.