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4. ANALYSE

4.2 Les usages des produits de santé naturels

4.2.5 Améliorer la qualité de vie ou maximiser ses capacités

4.2.5.4 La quête de la « fonctionnalité »

Les PSN peuvent être utilisés pour améliorer l’apparence physique et optimiser les facultés cognitives, mais aussi pour augmenter les capacités physiques et sa qualité de vie. En fait, l’objectif de traiter les douleurs chroniques, par exemple, vise à améliorer la qualité de vie,

à être moins dérangé par ces douleurs dans ce qu’on fait. Ou, autrement dit, à pouvoir mieux accomplir ses performances sociales aux études, au travail ou dans les autres sphères d’activité de la vie. Cependant, les participants ne veulent pas parler de « performance » et utilisent le terme de « fonctionnalité » pour désigner l’objectif de l’amélioration de la qualité de vie.

En même temps, l’utilisation du terme « fonctionnalité » à la place du terme « performance » dévoile que les participants ne se sentent pas en santé comme ils le souhaitent et évoquent en effet qu’ils se sentent contraints par les diverses entraves liées à des maux ou à leur maladie. Derrière la recherche de « fonctionnalité » se cache alors l’aveu qu’ils ne se sentent pas réellement en santé, même si, médicalement, ils le sont. Jusqu’à un certain point, les attentes de la santé ont été (sur)élevées, faisant de sorte que lorsqu’un individu n’atteint pas ce nouveau seuil de santé, il ne se sent pas ou ne se pense pas être vraiment en santé. Ainsi, l’expression « être en santé » d’aujourd’hui est pervertie par le fait devoir vivre avec des inconforts tout en devant remplir ses engagements sociaux (travail, études, etc.) malgré les états fluctuants de son corps ou de son esprit.

[Ma] définition [de la santé] a changé énormément depuis ces quelques dernières années. […] Ma définition de la santé à l’époque : pas avoir mal nulle part […]. Évidemment, je me rends compte, huit ans plus tard, que je les ai tous, ces symptômes-là. J’ai des p’tits bobos à droite, à gauche. Ma définition de la santé est devenue beaucoup moins absolutiste […]. Maintenant, c’est vraiment être fonctionnel […], être capable de fonctionner dans notre monde occidental un peu fou finalement. Donc tsé, pas à te sentir handicapé à quelque part par des problèmes de santé physique qui t’empêchent de réaliser tes activités de la vie quotidienne qu’une majorité de citoyens de la classe moyenne sont capables de faire […]. [Que] ça ne limite pas dans mes activités quotidiennes […], qu’on souffre au fur et à mesure [...], mais maladies chroniques, graves, mortelles, tant que j’ai pas ça, j’suis en santé. Ou de [problèmes] chroniques, […] [de] conditions handicapantes. (Oscar, 32 ans)

C’est le fait de se sentir correct […]. Ben, il faut pas que j’ai d’impression de souffrances, de douleurs, de malaises, qui soient suffisants pour que je sois clouée au lit, là. […] Si tu peux faire tes affaires, si tu peux respecter tes engagements, tes responsabilités. Tsé, c’est plus quelque chose de fonctionnel, là […]. Je pense qu’à un moment donné, tu peux avoir des souffrances qui te rendent infonctionnel, pis ces souffrances-là sont variables […]. Je pense que l’importance dans tout ça, c’est […] que je continue mon train-train. (Louise, 29 ans)

En fait, il serait plus approprié de désigner l’objectif d’augmenter ses capacités physiques par la tentative de recouvrir un état initial de leur bon fonctionnement de leur corps avant sa détérioration.

Par ailleurs, cette perception de la « fonctionnalité » et de l’absence du ressenti de la santé illustre un exemple du détachement des émotions de la santé physique dans les soins conventionnels, d’où le recours à des thérapies holistiques pour rattacher de nouveau ces éléments ensemble. De plus, pour beaucoup de participants, la maladie ou les problèmes de santé comportent aussi des dimensions non biophysiologiques. Les manifestations des symptômes ou des douleurs représentent pour eux les expressions d’états émotionnels particuliers. Et inversement, les émotions peuvent induire des douleurs et des symptômes d’un mal ou d’une maladie.

Mais avant d’aborder la question des liens entre les émotions et les problèmes de santé, il importe de regarder les croyances, les valeurs et les représentations des symboles de la santé et de la maladie qui sont associés aux PSN par les participants.

Tout d’abord, choisir de s’automédiquer avec des PSN devient parfois un combat à long terme, qui peut s’étirer sur plusieurs années, pour défendre ce qu’une personne croit et valorise.

À tous les ans, on a des prises de sang au travail […]. La personne qui fait des analyses est tout le temps « Wow, continue ce que tu fais, ça marche bien, tout est beau » tout le temps tandis que j’ai des collègues autour de moi qui sont souvent malades […]. Donc, même si on me juge [depuis plus de dix ans] parce que j’ai une alimentation… différente, ça n’me dérange pas beaucoup parce que le résultat reste que je vais performer probablement plus que eux, et que ceux qui prennent de la drogue et des trucs pour compenser. (Diane, 34 ans)

Ceci dit, il existe une explication possible du malaise ressenti par l’entourage face à la consommation de PSN des participants. Lors d’une de nos entrevues, nous avons eu la chance d’être témoin d’une situation qui illustre pourquoi un membre de l’entourage serait malaisé par rapport à l’usage des PSN des participants. Cette entrevue a eu lieu dans la cuisine de l’appartement de Véronique (26 ans) et où une de ses colocataires était descendue pour se faire à souper au moment de l’entrevue. Au milieu de l’entrevue, Véronique s’est adressée directement à sa colocataire pour lui poser une question sur ses opinions à propos de sa consommation des PSN. Voici l’extrait de l’échange entre Véronique (V) et sa colocataire (C) :

[I] Est-ce que tu penses qu’il est possible par exemple dans ta famille, tes amis, ton entourage, il y aurait des personnes qui ont des opinions plus réticentes? [V] Hmn, [longue pause] je pense pas. Non, j’pense pas qu’il y a des gens dans mon entourage. [S’adresse directement à sa colocataire devant la cuisinière] Toi, t’en penses quoi?

[C] Du fait que tu es grano? [V, rire] Ouais, mais quoi d’autre?

[C] Euh, ben… C’est… Ben, j’trouve que c’est… bien… [hésitation] [V] Tu trouves que c’est drôle, un peu.

[C] Ben…

[V] T’as l’droit de dire, là.

[C] Non, c’est-c’est-c’est… C’est correct… C’est… Comment dire…? J’sais pas! Tsé, mettons par exemple, la semaine passée, mon amie est venue ici, pis elle me dit que « Bon le lait, c’était comme super pas bien traité là. Les vaches étaient pas bien traitées ». Ça, « qui avaient du pus finalement dans l’lait à cause des [bactéries] » nanana. Bon ben, c’est ça! C’est juste qu’elle-elle-elle d’même… Mais non. C’est ben correct. T’es même un exemple à suivre. Moi, je l’suis pas là, fait que…

[I] Donc, ça dérange pas trop ton entourage que tu sois un peu « grano »? [V] À la limite, j’pense qu’elle le dit pas, mais elle trouve ça un p’tit peu drôle. C’est mon interprétation [rire].

[C] Mais non, j’trouve pas ça… drôle, mais euh… […]. [Ç]a me… J’me sens un peu coupable… C’est pas pareil… C’est ça… Ben oui! Parce que j’consomme pas ça, tsé! J’fais pas attention comme toi tu fais attention.

Dans cet extrait, les choix particuliers de Véronique ont éveillé chez sa colocataire la conscience de son alimentation ainsi qu’un sentiment de culpabilité. Cet extrait démontre qu’en consommant des PSN, les participants s’affichent comme des personnes qui prennent activement la charge de leur santé en main. Par ce geste, ils font miroiter aux autres que ceux- ci ne se prennent pas en charge comme ils sont demandés de le faire par la société. À cause de cela, les personnes de l’entourage peuvent se sentir mal à l’aise, d’où la raison pour laquelle elles peuvent parfois faire des remarques ou adopter des attitudes plus ou moins désobligeantes envers les usagers de PSN pour cacher leur inconfort d’être confrontées à ce qui leur apparaît comme la négligence de leur santé.

Maintenant, est-ce que les PSN utilisés aident vraiment à traiter, à prévenir, à atteindre un état de bien-être et à optimiser la santé? Les études scientifiques sur les PSN tendent à

affirmer leur inefficacité et leur innocuité. Et pourtant, les PSN sont loin d’être en déclin. Comment expliquer cette popularité? Si les preuves scientifiques affirment le contraire, alors pourquoi des gens continuent-ils d’en consommer? Quels bénéfices les usagers retirent-ils de ces produits à l’efficacité douteuse? Et, en parlant d’efficacité, quelle efficacité ces personnes perçoivent-elles dans les PSN? Et comment font-elles pour valider cette efficacité – s’il y en a une – ou l’inefficacité des PSN?