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2. CADRE CONCEPTUEL

2.3 L’autocontrôle de la santé

2.3.3 Le pouvoir d’agir sur sa santé et ses revers

Le patient moderne est devenu un individu qui réclame de recouvrer le contrôle de sa santé pour en devenir lui-même son responsable.

People are very fed up with being passive recipients of authoritarian, paternalistic medicine. And many of these other systems make people feel that they are more autonomous, more in charge of their own destiny. (Fries, 2008, p. 361, citant Andrew Weil, 2003, éditorial du PBS)

Ce désir de responsabilisation va de paire avec le développement d’un locus de contrôle de la santé (LCS). Le LCS est un degré de contrôle de la santé qu’un individu possède sur des situations particulières de sa vie. Les individus qui possèdent un LCS croient pouvoir exercer un contrôle sur leur environnement pour en tirer des conséquences désirables sur leur santé. Il existe deux types de LCS : un LCS interne et un LCS externe. D’après Hinote (2007), ceux qui possèdent un LCS interne conçoivent que leur état de santé est déterminé par les comportements et les choix en matière de santé qu’ils exercent alors que ceux qui possèdent un LCS externe tendent à percevoir la santé comme un état largement tributaire des facteurs extérieurs, comme les influences sociales de l’environnement ou les forces intangibles qui dépassent leur contrôle comme la chance, la malchance ou même le fatalisme (Hinote, 2007; Montbriand et Laing, 1991).

Le LCS d’un individu est construit à travers ses expériences de la maladie, qui contribuent à moduler ses croyances de la santé (Lau et Capasso, 1982). Les croyances d’un LCS sont par contre forgées par des habitudes et des comportements de santé, qui sont bien souvent initiés par les parents dès le plus jeune âge des individus. D’après Lau et Capasso (1982), un LCS interne découle bien souvent de l’adoption de comportements qui sont socialement identifiés comme des bons comportements de la santé (avoir une alimentation saine, maintenir une bonne hygiène du sommeil, faire de l’exercice, ne pas fumer, ne pas faire d’excès d’alcool, faire un suivi régulier chez le dentiste ou le médecin, etc.).

Cependant, le conditionnement aux comportements de santé dès le plus jeune âge ne garantit pas nécessairement le développement d’un LCS interne, mais dépend de son désir de contrôler sa santé, qui induit par ailleurs ses préférences thérapeutiques spécifiques. Selon

Furnham et Forey (1994) et Astin (1998), les individus qui ont un plus fort désir de contrôler leur santé préfèrent recourir aux MAC alors que ceux qui préfèrent laisser reposer le contrôle de la santé entre les mains des experts professionnels se tournent davantage vers la biomédecine. Le LCS des usagers de MAC est plus souvent de type interne, préférant se prendre eux-mêmes en charge de leur santé, alors que celui des usagers de la biomédecine est surtout externe, préférant se remettre entre les mains de leur médecin. Dans le même sens, ceux qui possèdent un LCS externe sont plus souvent satisfaits de la médecine conventionnelle que ceux possédant un LCS interne, qui le sont moins.

C’est par le fait que les usagers des MAC manifestent plus de confiance en leur jugement et dans leurs prises de décision sur la santé, qu’ils se montrent plus souvent réticents à toute forme de paternalisme médical envers eux. Kelner et Wellman (1997) proposent de considérer les usagers de MAC comme des personnes concernées par leur santé plutôt que des révoltés ou des « délinquants » médicaux. Même lorsqu’ils entretiennent des relations harmonieuses avec leur médecin, cela ne change pas leurs préférences, ce pourquoi ils sont moins prêts à remettre le contrôle à l’égard à leurs traitements entre les mains du médecin (Astin, 2000).

Le LCS interne des usagers des MAC est fortement caractérisé par une conscience très aiguë et très alerte du sens de la responsabilité de leur santé, d’où leurs plus fortes croyances en la prévention de la santé. Ils acceptent mieux de réglementer leurs habitudes de vie à des comportements fastidieux pour la santé pour aboutir au final à une meilleure santé, à l’inverse des non-usagers, qui croient n’avoir aucun pouvoir sur la maladie ou l’amélioration de leur état de santé (Astin, 1998; Cohen et Rossi, 2011; Furnham et Bhagrath, 1993; Furnham et Vincent, 1996, 2000; Goldstein, 2000; Kelner, 2000; Kelner et Wellman, 1997; O'Connor, 2000; Suissa et al., 2016). La pratique des MAC procure un plus grand sentiment de contrôle sur la santé, ce qui tend à encourager plus souvent les pratiques, résultant alors à un développement d’une plus grande conscience et d’une plus forte croyance en la prévention de la santé chez les individus (Sirois et Gick, 2002).

L’injonction moderne de la santé dicte à l’individu de se reposer sur soi-même pour la préservation de sa santé et non plus sur les autres, dont les médecins (Furnham et Bhagrath, 1993; Furnham et Vincent, 1996). Elle exige un effort constant de la part de l’individu qui en

fait la quête (Goldstein, 2000) pour se construire un LCS interne puissant et, préférablement, se défaire du LCS externe.

‘99% of us are born healthy’ and that it is our own ‘misbehavior’ that renders us unfit or ill later in life. (Goldstein, 2000, p. 28, propos du président de la Rockefeller Foundation John Kownles, 1977)

L’atteinte de la santé ou du bien-être est devenue un processus qui exige une participation active. Les usagers des MAC font mieux face aux confrontations de la maladie en se reposant entre autres sur la confiance en leur capacité d’évaluer l’état de leur corps et de prendre les décisions qu’ils jugent adéquates en la circonstance (Furnham et Bhagrath, 1993; Kelner et Wellman, 1997; O’Connor, 2000). Les évaluations et les jugements qu’ils apportent à eux- mêmes impliquent aussi qu’ils doivent constamment se surveiller et être à l’affût de tout changement – de tout déséquilibre dysharmonieux – de leur corps pour y apporter toutes les interventions thérapeutiques qui sont nécessaires (Kelner et Wellman, 1997; O’Connor, 2000).

Peter Conrad (1985) a identifié que le médicament représente pour les personnes épileptiques un ‘ticket’ to normality (billet vers la normalité) qui leur permet d’intégrer la société et de fonctionner normalement, c’est-à-dire de ne plus être ségréguée par les lois sur le travail, le mariage et la procréation, dans la société qui auparavant les stigmatisait (Conrad, 1985, p. 32). Ainsi, transposé aux MAC, le PSN constitue également un outil de la restitution d’une « normalité » sociale, qui est en l’occurrence la productivité au travail, aux études ou à d’autres domaines de la vie.

La liberté et le contrôle sont les valeurs culturelles des sociétés nord-américaines. Ainsi, les individus sont en droit de réclamer la liberté des choix thérapeutiques, quitte à commettre des erreurs sur la prise d’une décision ou d’un choix. Ils réclament même « the[ir] right to make the wrong decision » (leur droit de pouvoir prendre de mauvaises décisions) pour respecter leurs choix de préférences personnelles sur leur santé (Montbriand et Laing, 1991, p. 326).

Dans les sociétés nord-américaines d’aujourd’hui, les médecins ne sont plus perçus comme des figures ultimes de l’autorité ou du contrôle pour délivrer des soins, surtout lorsqu’ils sont propulsés dans un domaine dans lequel ils se sentent inconfortables ou qu’ils peuvent moins

contrôler (Astin, 2000; Wiles et Rosenberg, 2001). Le sentiment de perte de contrôle induit certains comportements, autant chez les médecins que chez les individus.

Le recours aux [MAC] devient un moyen pour le patient de […] renfor[cer] le sentiment d’être acteur de ses soins et de sa santé […], rôle actif lui permet de retrouver un sentiment [d’une] liberté perdue […] de la ‘soumission’ du corps aux actes techniques de la médecine conventionnelle. (Suissa et al., 2016, p. 278)

Des recherches ont démontré que lorsque les individus ressentent le sentiment de perte de contrôle, leur état mental en est négativement affecté, ce qui conséquemment, nuit à leur état physique et à leur santé (Astin, Shapiro, Lee et Shapiro, 1999). C’est pour cette raison que le désir de contrôle est si crucial pour certains individus, puisqu’il leur procure le sentiment d’espoir, dont l’espoir d’une guérison, qui a aussi pour effet de décroître l’anxiété ou la dépression, menant ainsi à un renforcement des fonctions immunitaires et à prolonger le sens de survivance ou l’instinct de survie (Truant et Bottorff, 1999). Ainsi, le mental – les émotions – possède aussi un pouvoir d’autoguérison, ou du moins la croyance de la guérison.