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1. PROBLÉMATIQUE

1.4 La pratique des médecines alternatives

1.4.5 La résonnance des valeurs symboliques

Outre le pouvoir d’autoguérison du corps, la philosophie des thérapies « naturelle, efficace, relaxante [et] sensible » des MAC constitue un autre trait d’attraction, surtout pour les individus qui placent le respect de la Nature dans leurs valeurs fondamentales (Furnham et Vincent, 1996, p. 46). Beaucoup de chercheurs considèrent que si les individus se dirigent initialement vers les MAC sur la base de leur insatisfaction envers la médecine conventionnelle, ceux-ci continuent l’utilisation des MAC pour des raisons autres, dont la résonnance avec leurs valeurs symboliques et culturelles (Furnham et Vincent, 1996, 2000; McGregore et Peay, 1996; Astin, 2000).

Les philosophies holistiques donnent aux individus le sentiment d’« être aligné[s] aux Lois de la Nature » et d’être en harmonie avec celle-ci (Goldstein, 2000; O’Connor, 2000). La Nature constitue un élément important de la vision du monde des usagers de MAC et forme une caractéristique distincte de leur trend culturel (Kelner et Wellman, 1997; O’Connor, 2000;

Jonas, 2000). Elle explique entre autres la multiplication des magasins et des centres de santé naturelle, qui sont en train de transformer le contexte politique et économique des modes de production de la santé des sociétés occidentales (Anyinam, 1990).

Cela dit, ce ne sont pas tous les usagers des MAC qui s’inscrivent dans les nouvelles valeurs émergentes des MAC, même lorsqu’ils ont recours à ses thérapies. Certains individus recourent aux MAC pour combler les quelques lacunes de la médecine conventionnelle pour les soulager, mais demeurent néanmoins confiants à cette dernière. Nonobstant, ils restent ouverts à l’idée d’adhérer à certaines des idéologies des MAC, même celles qui leur semblent obscures, s’ils ont connu des expériences positives (Kelner et Wellman, 1997).

Les philosophies des MAC étendent la rationalité médicale au-delà de la physiologie et la biologie en prenant en compte les aspects psychologiques, sociaux et spirituels de l’individu. Boon et al. (2004) suggèrent aussi d’inclure les déterminants sociaux et interrelationnels de l’individu (revenus, statut social, éducation, réseaux sociaux, sécurité d’habitation et d’emploi, conditions de travail, habitudes de vie, développement pré- et postnatal, attributs biologiques et génétiques, environnement physique, accessibilité aux services de soins) pour comprendre sa conception de la santé et de la maladie, voire même les aspects cosmologiques de la Nature (Boon et al., 2004).

Cette conception de la santé tient compte des facteurs d’influence, qui ne dépendent pas uniquement de l’individu ou de la société dans laquelle il vit (Boon et al., 2004), ce pourquoi les plans de traitements de soins doivent s’étendre au-delà des tests de laboratoires ou des lésions d’organes (Fries, 2008). Les essais cliniques contrôlés peuvent difficilement reproduire ces paramètres de mesure pour expliquer la maladie, l’expérience de la maladie, la réussite ou l’échec d’une thérapie.

La promesse de reconnecter la dimension spirituelle à la condition humaine de l’individu des MAC séduit par le fait qu’elle permet de combler un manque délaissé par la sécularisation des sociétés modernes (Fries, 2005). D’une part, cette promesse s’apparente à une confrontation au paradigme médical moderne, qui est de réduire la guérison à des régimes biochimiques du corps en négligeant les facteurs psychologiques, culturels, écologiques, spirituels et diététiques de la santé humaine (Fries (2005, référant à Salmon, 1984). Cependant, Rose (2001) suggère de

plutôt considérer cette extension de la rationalité médicale comme « a new will to health » (une nouvelle volonté à la santé) (Rose, 2001, p. 6) de l’individu moderne autonome et responsable de sa santé.

L’approche holistique des MAC change l’orientation médicale de la « maladie » pour celle de la « guérison ». Elle promeut une base relationnelle de coopération entre le soigné et le soignant, un type de relation médical très demandé par les individus modernes, et répond à la croyance des capacités d’autoguérison du corps dans son objectif d’assister ou de stimuler cette capacité inhérente plutôt que de l’ignorer et de le supplanter (Boon et al., 2004).

En déplaçant l’accent sur la « guérison », celle-ci a de meilleures chances de se produire, même lorsque le traitement de la maladie n’est pas possible (Boon et al., 2004). Quant à la maladie, Boon et al. (2004) proposent de la regarder comme l’expression d’un effort du corps à chercher à se rétablir à un état de santé initial. La maladie et la thérapie sont des éléments qui créent des tensions pour favoriser la maturation du corps de l’individu, de sa personne et de ses expériences de vie. Comme O’Connor (2000), Boon et al. (2004) conçoivent aussi la maladie et ses symptômes comme des opportunités d’apprentissage et de développement personnel.

Dans un siècle où les cultures et les sociétés se mélangent, elles s’échangent également des représentations culturelles, dont les symboles de la « maladie » et de la « guérison », qui diffèrent de celles de la biomédecine. C’est par ces échanges qu’un individu peut être amené à interpréter autrement les informations sur la santé et la maladie mises à sa disposition. Il est ainsi encouragé à vouloir entreprendre la prise en charge de sa santé, d’où le désir de faire des négociations avec son soignant, conventionnel ou profane, pour établir un plan de traitement auquel il est prêt à s’engager activement (Fries, 2008).

Par ailleurs, les croyances culturelles ou les représentations symboliques de la santé ou de la maladie tendent à avoir une plus grande résonance pour les individus que les discours biomédicaux ou les technobabbles (babillages technologiques) souvent inintelligibles des médecins (Fries, 2008, p. 357), favorisant ainsi une plus grande adhérence aux MAC.

Selon Jonas (2000), lorsque qu’un individu cherche des solutions à ses problèmes, la façon dont il conçoit et construit ses croyances sur les causes et les origines de son mal et la façon dont il déduit qui, de l’expert médical ou du profane, est plus apte à lui fournir des conseils

adéquats influencent ses choix thérapeutiques. À leur tour, ces choix dépendent de ses visions du monde, de ses préférences et des bénéfices perçus par les membres du groupe dans lequel il appartient et avec qui il a tissé des liens de confiance et partagé des valeurs communes.

La popularité des MAC varie en fonction des valeurs perçues et des besoins particuliers des individus dans une société dans un contexte culturel et temporel donné. L’engouement des MAC constitue en fait le reflet des changements de besoins, de comportements et de valeurs d’une société postmoderne (Furnham et Vincent, 2000; Truant et Bottorff, 1999). Certains individus peuvent percevoir les MAC comme des choix illogiques et irrationnels, ou qui ne représentent simplement qu’un trendy health brand passager, mais pour d’autres, il s’agit de leur positionnement face aux valeurs d’une (sous-)culture médicale différente. La popularité des MAC constitue ainsi un reflet des valeurs sociocontextuelles actuellement en vogue dans une société donnée (Furnham et Vincent, 2000; McGregor et Peay, 1996).

Ceci dit, les usagers de MAC choisissent des thérapies qui n’entrent pas en conflit avec leurs croyances et leurs valeurs personnelles, ce qui leur procure un sentiment de satisfaction non seulement sur la dimension médicale, mais aussi sur leurs besoins d’assouvissement spirituel et de la reconnaissance de leurs modèles de construction du monde, et ce, sans distinction de la nature de leurs problèmes de santé (Astin, 1998, 2000; Furnham et Forey, 1994; Kelner, 2000; O’Connor, 2000).