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3.1.1.5.2 Traitement antibiotique périnatal et durant la petite enfance

L’hypothèse en vogue actuellement suggère une diminution de la diversité bactérienne si un traitement ATB est initié aux premiers jours de vie, avec en particulier une baisse de la proportion des bactéries bénéfiques et une augmentation des bactéries potentiellement pathogènes. De nombreuses études menées chez l’Homme, mais aussi sur des modèles murins et porcins semblent soutenir cette hypothèse. Le plus souvent, les effets délétères persistent quelques temps après l’arrêt du traitement (Le Bourgot, 2016).

Des observations ont été réalisées dans le service de néonatologie d’un hôpital français à Tours. Afin d’étudier l’impact de certains ATB sur la flore du nourrisson, une étude a été menée incluant deux groupes de 10 nourrissons à risque de développer une infection materno-fœtale. Le premier ( groupe BI) recevait un traitement prophylactique à base d’amoxicilline et de nétilmicine (aminoside). Le deuxième (groupe TRI) recevait une trithérapie à base d’amoxicilline, nétilmicine et cefotaxime. Par rapport à un groupe contrôle de 10 nourrissons non traités, le groupe BI montrait une colonisation digestive importante par des batéries Gram-négatives (Entérobactéries), en particulier Enterococcus sp et des souches d’ E.coli résistantes à l’amoxicilline. Le groupe TRI montrait une baisse globale de la diversité bactérienne avec un important développement de Staphylocoques et la présence de levures du genre Candida (Bonnemaison, 2003). Une baisse de la diversité bactérienne à une semaine a également été observée avec la ciprofloxacine (fluoroquinolone) utilisée en post-natal lors d’infection à bacilles Gram négatifs.

L’influence d’une exposition aux ATB durant la période post-natale précoce sur le développement du MI a été suivie chez 26 enfants ayant reçu une céphalosporine de 1ère génération à large spectre (céfalexine à 50 mg/kg, 4 fois par jour) durant les 4 premiers jours de vie. La composition bactérienne fécale de ces nourrissons a été évaluée grâce à la méthode d’amplification par PCR après extraction d’ADN bactérien. Le suivi a été réalisé quotidiennement durant les 5 jours suivant l’antibiothérapie, et une fois par mois durant les 2 premiers mois. Les sujets ATB ont ainsi montré, par rapport aux enfants non traités (groupe contrôle, n = 18) une réduction de la diversité du MI avec une baisse de la colonisation par Bifidobacterium sp. et une colonisation inhabituelle par Enterococcus sp. durant la première semaine. D’autre part, la PCR en temps réel a montré une persistance des Entérocoques jusqu’à 1 mois de vie, tandis qu’à J3, la croissance de Bifidobactéries était arrêtée. Pour la famille des Entérobactéries, les différences se maintenaient à M1, puis à M2 (Tanaka, 2009).

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L’utilisation précoce des ATB du fait de perturbations dans l’établissement de leur MI, aurait également des conséquences durables sur la santé de l’enfant, avec un risque plus grand de développer certaines affections chroniques par la suite. La rupture de l’établissement du MI, peut induire des même lorsqu’elle est la conséquence d’une antibiothérapie à faible dose, perturbations métaboliques et altérer l’expression de gènes impliqués dans l’immunité intestinale. Une étude a mesuré chez des souriceaux l’effet de la prise d’une pénicilline à faible dose démarrée à la naissance. La prise de l’ATB a induit des effets prolongés sur la composition corporelle et le métabolisme, avec une masse grasse totale plus élevée et une masse osseuse plus faible. La masse graisseuse accumulée au niveau abdominal était caractéristique du syndrome métabolique. De plus, l’antibiothérapie à faible dose aggravait les effets d’une obésité induite par un régime riche en graisses et le MI altéré était transmissible à des sujets axéniques (Cox, 2004).

Ces informations nous permettent de conclure que l’exposition aux ATB au début de la vie a une grande influence sur la composition du MI du nouveau-né et entraîne des effets durables sur sa composition. Ces effets sont d’autant plus importants et durables que l’exposition a lieu à une période précoce de la vie.

Figure 48 : Différents facteurs impactent la mise en place du MI de l’enfant durant sa croissance (Milani, 2017)

III.3.2 La théorie « hygiéniste »

L’incrimination de l'hygiène comme facteur favorisant de pathologies intestinales provient de nombreuses observations et études selon lesquelles l'augmentation de l'incidence des MICI a coïncidé avec l'amélioration de celle-ci. La théorie hygiéniste est une hypothèse selon laquelle

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l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène aurait contribué à l’augmentation de l’incidence de certaines maladies en réduisant fortement l’exposition aux MO pathogènes de l’environnement. Cette hypothèse prend son sens tout particulièrement dans les pays développés où la généralisation de l’antisepsie a réduit de manière drastique l’exposition aux MO à la naissance et durant la prime enfance. La stérilisation, et la désinfection sont en effet des gestes courants dans nos pratiques médicales actuelles, tout comme l’est la pasteurisation dans le domaine de l’agro-alimentaire. Il est aujourd’hui possible de donner la vie dans d’excellentes conditions microbiologiques. L’accès à une eau pure, à des aliments pasteurisés, le mode de vie toujours plus urbanisé de nos sociétés sont autant de facteurs qui ont contribué à amoindrir nos contacts avec les MO environnementaux dès notre plus jeune âge. La réduction du nombre d’individus vivant dans un même foyer (moins d’enfants, exclusion des aïeuls) et un milieu social devenant de moins en moins communautaire seraient aussi des facteurs limitant l’exposition selon la théorie hygiéniste.

L’amélioration des conditions d’hygiène dans la population est vraisemblablement un facteur limitant l’exposition aux MO. Cependant une telle exposition est jugée nécessaire pour programmer le SI intestinal. Si le jeune enfant ne développe pas rapidement un répertoire immunologique varié, il est moins en mesure d’initier une réponse immunitaire tolérogène face à ces MO. Par conséquent, dès lors que ce même enfant, à un âge plus tardif, entre en contact avec un agent infectieux, une réponse immunologique inadéquate sera déclenchée, par défaut d’exposition préalable à ce dernier (Hamouche, 2018). Ce mécanisme immunologique pourrait aboutir au développement d’un environnement inflammatoire anormal et à des troubles immunologiques intestinaux (MICI) et systémiques. L’hypothèse hygiéniste suggère par ailleurs que la fréquence croissante des troubles immunologiques et métaboliques chez l’adulte de nos jours puisse être liée à moins d’exposition durant l’enfance à une grande variété de MO (Milani, 2017).

III.3.3 Dysbiose et immunité systémique

Même si le lien est aujourd’hui bien établi entre la dysbiose et les maladies du TD, de plus en plus d’observations mettent en cause la dysbiose comme facteur de risque dans le cas de maladies immunitaires extra-intestinales.

Le MI joue un rôle primordial dans la maturation du SI intestinal infantile. Plusieurs métabolites dérivés des bactéries commensales stimulent le développement du GALT. L’implantation de bactéries commensales bénéfiques est elle-même sous la dépendance de l’environnement avec l’alimentation et les contacts extérieurs. Nous avons vu que la tolérogénicité passe par l’équilibre des cellules immunitaires, en particulier des LTh avec un équilibre entre LTh1 pro-inflammatoires et LTreg anti- inflammatoires. La rupture de cet équilibre rend l’organisme plus sensible aux allergies et maladies d’origine immunitaire.

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III.3.3.1 Maladies d’origine allergique

Les Maladies Allergiques (MA) qui incluent les maladies respiratoires, cutanées, ou encore les allergies alimentaires, sont toutes caractérisées par une réponse immunitaire exagérée avec des LT producteurs de cytokines pro-inflammatoires. Ces dernières conduisent au recrutement d’autres cellules effectrices au niveau des poumons ou de la peau, telles que les mastocytes, basophiles et éosinophiles (Akdis, 2006).

Les MA ont vu leur prévalence augmenter de manière considérable au cours des dernières décennies, particulièrement au sein des pays industrialisés. Des facteurs extérieurs sont directement imputables à l’émergence de ces pathologies : il s’agit par exemple de la pollution ou encore la présence d’allergènes nouveaux dans notre régime alimentaire moderne. Cependant, les recherches actuelles apportent de plus en plus de preuves quant au rôle joué par le MI dans l’étiologie de ces maladies, et pointent du doigt la dérégulation de l’écosystème bactérien. La dysbiose, notamment à un très jeune âge, serait un facteur prédictif d’apparition de cette classe de pathologies « émergentes ». L’idée d’une altération précoce de la microflore infantile comme facteur prédisposant à la survenue d’un état atopique chez l’enfant n’est pas inconnue et l’on sait qu’un MI varié à une semaine de vie est protecteur contre des maladies d’origine allergique telles que l’asthme ou l’eczéma (Ismail, 2012). L’avènement de méthodes moléculaires précises rend aujourd’hui possible la caractérisation de microbiome et l’établissement de liens entre variations de composition et risque.