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De récentes études ont remis en question la stérilité du lait maternel en y recherchant des composants bactériens. Il en est ressorti que le lait issu de la mère ne serait pas stérile et contiendrait certaines espèces bactériennes, même lorsqu’il est collecté en milieu aseptique. Des recherches basées sur des méthodes de culture avaient antérieurement démontré que le colostrum et le lait humains contenaient de très nombreux germes viables et transmissibles au nourrisson. Ces bactéries incluaient les genres Staphylococcus et Streptococcus qui pouvaient, une fois ingérés, s’implanter dans le TD du nourrisson et influencer sa colonisation ultérieure (Hunt, 2011), (Jost, 2014).

Les méthodes plus récentes basées sur la génomique ont apporté nombre d’informations à ce sujet. En 2016, une équipe de chercheurs espagnols a recueilli et analysé le lait de 21 mères en bonne santé à plusieurs temps et a étudié sa charge bactérienne par la technique de qPCR bactérie-spécifique puis sa composition en bactéries par la technique de séquençage de l’ARN 16S. Concernant la charge bactérienne, la valeur moyenne de tous les échantillons oscillait autour de 106 bactéries par mL et semblait rester stable durant les étapes de la lactation (colostrum de J0 à J5, lait de transition de J5 – J16 et lait mature après J16) chez une même personne. En revanche, la composition bactérienne était très différente selon les femmes, et dans certains cas, n’était pas la même selon le moment du prélèvement. Globalement, le microbiote lacté était dominé par les genres Staphylococcus, Pseudomonas, Acinetobacter et Streptococcus. L’espèce Staphylococcus aureus n’a été détectée dans aucun échantillon. L’équipe enfin a estimé qu’un enfant recevant 800 mL par jour de lait maternel ingérait quotidiennement une charge bactérienne allant de 107 à 108 bactéries, un chiffre 100 fois plus élevé que d’autres estimations basées sur des méthodes de culture (Boix-Amorós, 2016). Les bactéries du lait seraient issues de l’intestin de la mère où elles subiraient des phénomènes de translocation cellulaire vers la glande mammaire selon l’axe entéro-mammaire, sous influence hormonale. Des bactéries entières seraient prélevées directement de la lumière intestinale par les cellules de l’immunité innée (comme les CD dotées de longs prolongements cytoplasmiques) puis transportées vers les vaisseaux lymphatiques et sanguins avant d’atteindre les glandes mammaires où elles seraient excrétées par l’épithélium (figure 47).

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Cherchant à établir un lien entre le MI de la mère et la composition bactérienne du lait, Jost et son équipe ont caractérisé la composition du lait et des fèces de 7 mères allaitantes et de leur enfant, par des méthodes de séquençage de l’ARN 16S. Cela leur a permis d’identifier dans le lait maternel des bactéries anaérobies obligatoires associées au TD telles que Bifidobacterium sp., Bacteroides sp., Parabacteroides sp. ainsi que certaines bactéries du groupe Clostridia (Clostridium sp., Colinsella sp. et Veillonella sp.) L’analyse a montré que plusieurs bactéries membres du groupe Clostridia productrices d’AGCC, telles que Roseburia sp. et Faecalibacterium sp. étaient communes au lait maternel et aux fèces du nouveau-né (Jost, 2014). La présence du genre Lactobacillus dans le lait a également été démontrée (Martín, 2007).

Ces analyses soutiennent la thèse selon laquelle il existe une voie entéro-mammaire de transport de bactéries capable d’influencer directement la primo-colonisation du nouveau-né et le façonnement de son SI par le métabolisme bactérien. En ce sens, l’étude de Heikkilä et Saris, menée en 2003, a démontré que des bactéries provenant du lait maternel avaient le pouvoir d’inhiber la croissance de certaines autres bactéries. Les souches majoritaires (appartenant pour la plupart au genre Staphylococcus sp., avec S. epidermidis, S. salivarius, S. mitis) présentes dans des isolats de lait de plus de 40 mères allaitantes étaient en mesure d’inhiber la croissance de S. aureus. Les bactéries lactiques (dont L. rhamnosus) avaient aussi un pouvoir inhibant sur S. aureus (Heikkilä, 2003). Le microbiote du lait pourrait également être modulé par le microbiote maternel de la peau, dont les bactéries, par des phénomènes d’ajout et de compétition, contribueraient à rendre le profil bactérien si unique à la mère. Ainsi, l’allaitement serait profitable au nourrisson par deux mécanismes concomitants : le transport de bactéries du MI maternel vers les glandes mammaires et l’ingestion directe de composants bactériens du microbiote cutanée de la mère durant la tétée. Les bactéries présentes dans la bouche du nouveau-né auraient aussi ce rôle. D’autre part, une dysbiose au niveau mammaire pourrait être la cause de mastite, une condition inflammatoire qui représente la première cause médicale de difficulté d’allaitement (Fernandez, 2013).

Les informations sur l’impact de l’alimentation maternelle sur le microbiote du lait sont peu nombreuses mais il est à croire que celle-ci est capable d’en influencer la composition, en témoigne une étude menée en 2011 en Syrie sur des femmes allaitantes consommant des produits lactés fermentés typiques de l’alimentation locale. De façon étonnante, ont été décelés dans le lait maternel et les fèces de la mère et de l’enfant des génotypes bactériens communs aux produits fermentés consommés : il s’agissait de Lactobacilles (L. Plantarum, L. fermentum, L. brevis) et d’Entérocoques (E. faecium, E. faecalis) (Albesharat, 2011).

Ainsi, il n’est pas inconcevable que les habitudes nutritionnelles de la mère puissent moduler les compositions bactérienne et nutritionnelle du lait et exercer des effets directs sur la croissance et la maturation de l’intestin du nouveau-né. Mais peu d’études existent actuellement sur un microbiote lacté « commun » partagé entre les femmes à travers le monde.

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Figure 47 : Transport de bactéries de l’intestin au sein par l’axe entéro-mammaire (Fernandez, 2013).

Des bactéries du tractus intestinal de la mère peuvent se retrouvent au niveau de la glande mammaire avant d’être sécrétées dans le lait. Ce mécanisme comporte plusieurs étapes :

(1) Des bactéries entières et vivantes sont prélevées dans le lumen par des cellules immunitaires. (2) Les bactéries gagnent les nœuds lymphatiques du GALT puis passent dans la circulation générale. (3) Les bactéries gagnent les glandes mammaires où les CD de transport leur permettent de traverser l’épithélium des glandes et de se retrouver ainsi dans leur produit de sécrétion (microbiote mammaire) (4) Le nourrisson, lors des tétées, ingérera nombre de ces bactéries qui iront coloniser son TD.