• Aucun résultat trouvé

2.1.1.3.1 Le terrain génétique est à l’origine d’une susceptibilité

L’hypothèse d’une susceptibilité génétique à la maladie est assez ancienne. Il existerait des zones au niveau de certains gènes, les « loci » qui seraient en mesure, par leur action isolée ou conjointe, de favoriser le développement de la maladie à un âge donné de la vie.

L’existence de groupes de sensibilité au sein d’une même famille a été évoqué. en Allemagne, une étude nationale portant sur 189 jumeaux (68 monozygotes et 121 hétérozygotes) a montré que 35% de jumeaux monozygotes étaient concordants pour la MC (présentaient tous deux la pathologie), alors que seulement 3% de jumeaux dizygotiques étaient concordants (Spehlmann, 2008). Il existe aussi une importante concordance génotype-phénotype chez des vrais jumeaux atteints tous les deux : l’âge du diagnostic, la localisation des lésions ainsi que l’évolution de la pathologie sont souvent les mêmes.

115

Par ailleurs, certains groupes ethniques semblent davantage prédisposés que d’autres à développer la MC : ainsi, la prévalence de la maladie semble plus élevée chez les populations juives ashkénazes que chez n’importe quel groupe ethnique et le fait d’être de descendance juive ashkénaze semble constituer un facteur de risque indépendant pour la maladie (Baumgart et Sandborn, 2012). D’autres groupes ethniques semblent à l’inverse moins touchés, c’est le cas par exemple des individus d’origine africaine ou est-asiatique (Hou, 2009), (Nguyen, 2006).

L’étude de zones de susceptibilité génique, plus récente, nous a fourni d’importants indices sur les voies de dérégulation du SI intestinal. De vastes études d’association pangénomiques (analyse de variations génétiques au sein de groupes d’individus afin de rechercher des liens entre ces variations et les phénotypes) ont identifié et confirmé 71 zones de susceptibilité pour la MC, et ces loci étaient présents sur 17 chromosomes (Baumgart et Sandborn, 2012).Les loci supposément à l’origine d’une

dérégulation du SI intestinal pourraient aussi être à l’origine d’autres affections intestinales immunitaires. Certains d’entre eux ont pu être reliés à l’incidence de la RCH. D’autre part, de larges études de groupes familiaux ont identifié 47 loci à l’origine de la RCH et ont observé que 17 d’entre eux étaient communs aux loci à l’origine de la MC (Anderson, 2011).

Les affections auto-immunes classiquement associées à la MC (asthme, diabète de type 1, maladie cœliaque…), auraient elles aussi des loci de susceptibilité, ce qui pourrait expliquer les différences ethniques de distribution de ces affections chez les patients atteints (Baumgart et Sandborn, 2012). Cependant, d’autres événements ont probablement une infuence sur l’apparition de la MC chez un sujet génétiquement prédisposé. Au-delà de la nature du matériel génétique, les interactions entre les gènes, ainsi que l’épigénétique (ensemble des caractères transmissibles modifiant l’expression génique sans modifier la séquence de nucléotides) jouent probablement un rôle dans l’étiologie de la maladie mais sont peu caractérisées. Enfin, la composante génétique à elle seule n’est pas décisive, en témoigne le taux relativement bas de concordance entre les jumeaux monozygotes. Cela nous pousse à nous interroger sur l’influence de l’environnement.

III.2.1.1.3.2 Le rôle de l’environnement dans l’étiologie de la maladie

III.2.1.1.3.2.1 La fréquence est dépendante de la géographie

Les données épidémiologiques montrent une importante disparité au regard de la prévalence de la MC dans le monde. Il existe un gradient Nord-Sud au sein du globe, et cette disparité est constatée en particulier entre les pays développés et les pays du Tiers-Monde. Les pays de l’Hémisphère Nord, en majorité plus développés, ont une proportion plus grande d’individus atteints que les pays du Sud, considérés comme pays en voie de développement ou émergents (figures 43 et 44).

Sur le continent américain, la prévalence de la MC aux Etats-Unis calculée en 2008 était d’environ 758.000 individus, ce qui représentait 0,17% de la population. Au Brésil, les chiffres recueillis d’après une étude de 2005 évoquaient un nombre de 10.500 malades, soit une proportion beaucoup plus

116

faible au regard de la population du pays (0,056%). La différence entre pays industrialisés et pays en voie de développement se retrouve aussi en Asie où la prévalence est la plus forte au Japon (Hamouche, 2018).

Il existe aussi, au sein des pays de l’hémisphère nord, un gradient Nord-Sud pour la prévalence. En France, la comparaison de la prévalence entre les régions nous montre que les régions les plus touchées font toutes partie des plus septentrionales du pays. Le pays a une prévalence globale assez élevée avec environ 8,2 cas pour 1000 habitants au début des années 2010 (http://hepatoweb.com). La maladie est en progression constante depuis 2008 et en 8 ans le nombre de cas a augmenté de 50%. Les départements les plus touchés font tous partie de l’extrême-nord : Pas de Calais, Ardennes, Somme, Aisne (http://observatoire-crohn-rch.fr).

Figure 43 : Prévalence des MICI dans le monde et gradient Nord-Sud de prévalence (http://hepatoweb.com).

Les pays du monde les plus touchés par les MICI (dont fait partie la MC) sont les pays de l’hémisphère nord à plus haut niveau de vie : Amérique du Nord dans sa globalité et l’Europe jusqu’aux frontières de l’Oural.

117

Figure 44 : Risque relatif de développer une MC en France selon la localisation (http://hepatoweb.com).

Le gradient nord-sud de prévalence de la MC est bien visible avec un risque relatif supérieur à 1 dans l’ensemble des départements de l’extrême nord du pays. Le risque oscille autour de 1 dans la bande nord ainsi que dans le sud-ouest et le pourtour méditerranéen, alors qu’il est globalement plus faible (< 1) dans les départements du centre – centre-sud.

III.2.1.1.3.2.2 Incrimination du mode de vie « à l’occidentale »

L’influence environnementale sur l’apparition de la maladie peut être évoquée dans plusieurs cas. Au sein de la population des Etats-Unis par exemple, on observé une augmentation du nombre de cas pour des groupes ethniques habituellement moins touchés (Asiatiques et Hispaniques) (Hou, 2009), (Nguyen, 2006). Aussi, il est fréquent d’observer que des individus émigrant d’une zone géographique peu touchée vers une zone plus concernée finissent par avoir un risque similaire aux populations de la deuxième zone. (Joossens, 2007) ou même significativement plus élevé comme cela a été démontré par une étude longitudinale d’un population d’Asiatiques (Inde, Pakistan, Bangladesh) de 26 ans d’âge moyen, étant nés et ayant grandi en Angleterre (Montgomery, 1999). Les données épidémiologiques et notamment l’existence d’un gradient nord-sud nous font nous questionner sur l’influence du mode de vie sur l’incidence de MICI. Il semblerait que les pays développés, par leur fort taux d’urbanisation, aient plus de risques liés à la pollution (atmosphérique et aquatique) en particulier dans les grandes métropoles. Le régime alimentaire des populations « riches » est fondamentalement différent de celui des populations pauvres avec par exemple un plus grand nombre d’aliments ultra-transformés contenant plus d’additifs, et une généralisation de produits importés, et conservés, au détriment d’aliments frais et locaux. Les populations plus pauvres

118

ont davantage tendance à consommer plus de céréales, tubercules et végétaux, par ailleurs riches en fibres (De Filippo, 2010).

Ainsi, l’industrialisation de nos sociétés est un phénomène souvent incriminé. En modifiant les modes de vies initialement traditionnels et ruraux, elle a entraîné des changements dont certains sont aujourd’hui considérés comme des facteurs de risque pour les maladies inflammatoires et immunitaires et plus généralement pour la santé du MI. Particulièrement, l’adoption d’un mode de vie sédentaire et moins communautaire, l’exposition aux polluants aériens et aquatiques, l’amélioration de l’hygiène domestique et médicale ont caractérisé ce changement. Nos habitudes alimentaires se sont aussi modifiées avec la généralisation du régime occidental (avec souvent des sucres et graisses polyinsaturées en excès), l’arrivée en masse des plats préparés et la diminution de l’allaitement maternel.

III.2.1.1.3.2.2.1 Le tabagisme

Certaines habitudes délétères sont aujourd’hui très fréquentes dans nos sociétés, comme la consommation d’alcool et de tabac. Le tabagisme est actuellement la donnée la plus étudiée en tant que facteur de risque d’apparition de la MC. Nous savons aujourd’hui que fumer augmente de manière significative le risque de développer une MC, surtout lorsque le tabagisme débute à un âge précoce (Baumgart et Sandborn, 2012). Les mécanismes mettant en lien le tabagisme avec

l’apparition de la MC sont probablement divers et pas entièrement élucidés, mais l’expérience montre qu’il existe une relation dose-réponse entre les deux, à tout âge de la vie et de manière identique entre les sexes (Hamouche, 2018). Les composés nocifs du tabac irritent de façon répétée la paroi et les muqueuses du TD et altèrent certaines populations cellulaires comme les LT. Est alors déclenchée une production de cytokines pro-inflammatoires (dont le TNFα) qui déstabilise l’immunité locale (Eliakim, 2002).

Les effets de la nicotine sur le SI sont paradoxaux : le tabagisme ponctuel stimule la réaction immunitaire alors que le tabagisme chronique a tendance à l’inhiber. Les récepteurs muscariniques à la nicotine des fibres musculaires lisses de l’intestin sont également présents à la surface des LT, ce qui suggère une action directe de la nicotine sur les populations cellulaires de l’immunité (Razani, 2007). Sur le MI, l’influence du tabagisme est difficile à évaluer du fait du grand nombre de composants de la cigarette qui par ailleurs pourraient agir en synergie. Nous savons toutefois que le tabagisme même passif est en mesure de réduire la diversité d’espèces comme l’a démontré l’étude de Tomoda et Al. L’exposition d’une population de rats à la fumée de cigarette pendant 4 semaines a entraîné une diminution des Bifidobactéries et des niveaux d’AGCC dans le caecum de ces animaux (Tomoda, 2011). D’autres observations indiquent que Lactococci sp, et Ruminococcus sp. diminuent chez la souris exposée, alors que Clostridium sp. augmente (Wang, 2010). Le tabagisme pourrait donc contribuer à fragiliser l’équilibre hôte-microbiote en modifiant le profil bactérien et le métabolisme du MI.

119