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1.4 L’IC, de la révolution mondiale à la « sécurité collective »

1.4.1 Les tournants de l’IC stalinienne

Le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, aussi connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop, renforcé par l’entente sur les frontières du 28 septembre, fut une surprise pour les opinions publiques non préparées du monde entier. Le choc fut majeur au sein des partis communistes, jusque chez les dirigeants. Ce dernier aspect a été clarifié par des groupes de chercheurs qui ont étudié les fonds rapportés en Bulgarie par Dimitrov à l’époque de son retour d’Union soviétique163. Dans ses mémoires, le dirigeant

suisse de l’IC, Jules Humbert-Droz, confia : « je ressentis cette nouvelle volte-face de Staline comme une trahison de toute notre politique de lutte contre le fascisme et pour la paix »164.

Malgré un certain silence à cet égard, il est incontestable que Trotsky démontrât que le discours prononcé par Staline à l’occasion du XVIIIe congrès du PCUS en mars 1939 ouvrît

la voie à une alliance de l’URSS avec l’Allemagne hitlérienne, comme l’avait déjà supposé le révolutionnaire russe après la crise de Munich. D’après les premières informations reçues, Trotsky nota un tournant dans la politique étrangère du Kremlin et formula des perspectives :

« Dans son discours au congrès, Staline rompt ouvertement avec l’idée de « l’alliance des démocraties pour résister aux agresseurs fascistes ». Ceux qui cherchent une guerre internationale, ce ne sont maintenant ni Mussolini ni Hitler, mais les deux principales démocraties d’Europe, la Grande-Bretagne et la France qui, selon les termes de l’orateur, veulent entraîner l’Allemagne et l’U.R.S.S. dans un conflit armé sous le prétexte d’une attaque de l’Allemagne contre l’Ukraine. Le fascisme ? Il n’y est pour rien. Il ne peut être question, selon Staline, d’une attaque de Hitler contre l’Ukraine, et il n’existe pas le moindre fondement pour un conflit militaire avec Hitler. L’abandon de la politique de l’« alliance des démocraties » est complétée immédiatement : on rampe de façon humiliante devant Hitler et on lui cire ses bottes. Voilà Staline !»165.

Selon Broué, face aux pourparlers entre les diplomaties soviétique et allemande, le Comité exécutif de l’IC ne se serait réuni qu’en fin d’après-midi le 22 août, adoptant une résolution en sept points pour dénoncer les franco-britanniques, coupables de freiner les négociations, et augurer que le pacte germano-soviétique pousse les puissances occidentales à conclure un traité avec les soviétiques ; comme le relève Serge Wolikow, la

162 K. Kostål, art. cit., pp. 33-34.

163 Voir D. Sirkov, « On the Policy of the Third International on the Eve and at the Beginning of World

War II », Jahrbuch für historische Kommunismusforschung (JhK), 1995, pp. 52-62.

164 J. Humert-Droz, Dix ans de lutte antifasciste. 1931-1941, à la Baconnière, Neuchâtel 1972, p. 386. 165 L. Trotsky, « La capitulation de Staline », 11-3-1939, dans Œuvres, vol. XX, p. 252.

secrétaire de l’exécutif de l’IC est informée « de manière sommaire »166. Le ministre des

Affaires étrangères d’Hitler, Joachim von Ribbentrop, arriva à Moscou le 23 et le pacte fut signé dans la nuit du 23 au 24 août.

Dans les jours qui suivirent, la presse des partis communistes insista sur le fait que l’accord était un « pacte de paix » et qu’il aurait porté un coup sévère à la puissance fasciste, maintenant ainsi le registre antifasciste propre à la phase précédente (1934-1939) de l’IC. La tendance immédiate fut d’amalgamer l’ancienne ligne à la nouvelle. Devant les députés du PCF, le député et secrétaire général Thorez affirma le 25 août : « En agissant ainsi, l’URSS a fait échouer le pacte de Munich »167. Le 2 septembre, le groupe parlementaire

continua de suivre cette ligne et vota en faveur des crédits de guerre. Dans How to Win the War, le secrétaire britannique Harry Pollitt parla d’une « guerre juste »168. Le 5 septembre

à la Chambre des représentants, le député communiste belge Xavier Relecom lui-aussi déclara sacrosainte la guerre de défense de la Pologne. PCF et le CPGB cherchèrent à associer défense nationale et défense du pacte, présenté comme une astuce pour semer la pagaille dans la coalition anti-Comintern et augmenter la pression diplomatique sur l’Allemagne. En Suède, le parti soutint que le Royaume-Uni et la France barreraient la route « à l’extension de l’impérialisme allemand »169.

Pourtant, l’action combinée des dirigeants soviétiques et des gouvernements occidentaux contraindraient bien vite les partis de l’IC à une énième et brusque volte-face. Les faits ne tardèrent pas à se produire. En France, le gouvernement du radical Édouard Daladier mit sous séquestre L’Humanité dès le 26 août et bannit le PCF un mois après, jour pour jour170.

La guerre éclata véritablement : le 1er septembre la Wehrmacht envahit la Pologne et, le 3,

la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l’Allemagne. Le 16 septembre fut signé à Moscou l’armistice soviéto-japonais qui mit fin aux hostilités en Mandchourie et garantit la frontière orientale de l’URSS. Enfin, le 17, l’Armée rouge envahit la Pologne orientale.

La volte-face de l’IC fut actée le 7 septembre par Staline et consistait, selon Guillaume Bourgeois, à « une passivité, une neutralité bienveillante vis-à-vis de Hitler »171.

Zélés envers le Kremlin, les dirigeants de l’IC indiquèrent aux sections nationales dès le 8 septembre de se prononcer contre la guerre, d’en souligner le caractère impérialiste, de voter contre les crédits de guerre et de dénoncer la trahison de la social-démocratie. Mais il ne s’agissait pas encore de la position définitive de Staline dans toutes ces nuances. La guerre avait de toute façon changé de nature par rapport aux calculs de l’IC, comme cela fut argumenté par radio depuis Moscou :

« Les partis communistes ont combattus les partisans de Munich, car ils ont voulu créer un véritable front antifasciste avec les la participation de l’Union Soviétique, mais la bourgeoisie anglaise et française ont rebuté l’Union soviétique pour pouvoir mener une

166 S. Wolikow, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve déchu du parti

mondial de la révolution, Les Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, Paris 2010, p. 112.

167 L’Humanité, 26-8-1939.

168 Cité dans F. Borkenau, Storia del comunismo europeo : 1917-1948, Neri Pozza, Venezia 1963, p. 278. 169 Rundschau, n° 47, 7-9-1939.

170 En plus de ces mesures, le gouvernement du radical Daladier suspendit 300 maires de gauche,

procéda à dissoudre 620 syndicats dirigés par des communistes et déclara déchus 2 720 conseillers municipaux.

171 G. Bourgeois, « Drôle de guerre et tournant de l’I.C. en 1939 », Cahiers Léon Trotsky, n° 23,

guerre de pillage. La guerre a modifié fondamentalement la situation. La division des États en États fascistes et démocratiques a perdu son sens antérieur. Dans ces conditions, la tactique doit aussi changer. La tactique des partis communistes, dans les pays engagés dans la guerre, doit au cours de cette étape consister à condamner la guerre, à démasquer son caractère impérialiste là où existent des députés communistes, ils doivent voter contre les crédits de guerre et expliquer aux masses que la guerre ne leur apportera que fardeau et ruine »172.

Le bulgare Dimitrov, vedette de l’IC, fut formé par Staline, et épaulé par Viatcheslav Molotov et Andreï Jdanov, afin de rédiger des thèses sur la guerre qui ne verront toutefois jamais le jour. Ses notes permettent cependant de percevoir un Staline qui efface de l’ébauche toute allusion au défaitisme révolutionnaire et recommande de ne pas imiter l’orientation suivie par les bolcheviques lors de la Première Guerre mondiale . Staline, critiquant une formulation du dirigeant allemand Walter Ulbricht, insista sur l’opposition à la guerre impérialiste « sans s’opposer aux gouvernements favorables à la paix »173 et cela permit à Wolikow de soutenir que « la nouvelle diplomatie stalinienne ne

reprend pas la thématique du défaitisme révolutionnaire »174. Il reste toutefois un

« pseudo-défaitisme révolutionnaire de propagande, exclusivement destiné aux pays du camp allié »175. Mais un défaitisme unilatéral glisse, par nécessité, dans une forme de

défensisme. Comment la situation évolua-t-elle donc sur le terrain ?

La réalité ne permit pas de soutenir de quelque façon que ce soit « la continuité de son engagement »176. Mais cette volte-face, non sans crises internes177, s’imposa. En Belgique,

la Voix du Peuple, organe du Parti Communiste de Belgique (PCB), effectua un alignement drastique sur la ligne officielle entre le 8 et le 9 septembre, alors que le 5 encore ses députés avaient critiqué la neutralité au nom d’une « rapide défaite de l’Allemagne hitlérienne »178. En Tchécoslovaquie, où la structure clandestine du parti résistait

brillamment, face à la demande de conseil de la part d’un membre de la direction restreinte du Comité central, « le consulat soviétique de Prague conseille la passivité »179.

Sur la même longueur d’onde, après la déclaration germano-soviétique de fin septembre, « des slogans pacifistes inhabituels fleurissent dans la propagande du P.C.T. clandestin »180. 172 Ceci est un extrait de la communication du Secrétariat de l'IC au CC du PC tchécoslovaque, envoyée

par radio depuis Moscou au nom de la direction et citée in extenso (et traduite de l'allemand) par Karel Bartošek dans sa contribution « Notes sur l’histoire du mouvement communiste entre 1939 et 1941 », présentée au colloque « Le parti communiste français de la fin de 1938 à la fin de 1941 ». Du 15 juillet 1939 au 21 avril 1941, des communications ont été envoyées par voie hertzienne de Moscou au CC clandestin de Prague, sous le titre de « Dépêches entre Prague et Moscou », ont été publiées par la revue Prispevky k

dejinam KSC, n° 3, 1967.

173 S. Wolikow, op. cit., p. 119. 174 Ibidem, p. 119.

175 G. Bourgeois, art. cit., p. 62. 176 S. Wolikow, op. cit., p. 115.

177 On peut citer la crise du CPGB où le secrétaire général Harry Pollitt fut favorable à la "guerre

antifasciste" jusqu'au CC du 2 octobre où l'alignement sur l'IC soutenu par Palme Dutt prévalut. Pollitt fut cependant maintenu au CC et même réintégré au Bureau politique quelques semaines plus tard en raison de son autocritique. Avec la nouvelle ligne "antifasciste" de juin 1941, il fut à nouveau élu secrétaire du parti avec l'appui de l'IC. Reflétant cette crise, le quotidien du parti, The Daily Worker, se prononça contre la guerre dès le 7 octobre, alors qu'auparavant il avait défendu la Pologne attaquée par Hitler et soutenu de manière critique la politique militaire britannique.

178 Cité dans G. Bourgeois, art. cit., p. 72, n. 179 K. Bartosek, op. cit., p. 13.

À la fin du mois de septembre, la direction du PCB résuma ainsi la nouvelle ligne : « Nous ne voulons mourir ni pour Hitler ni pour Chamberlain »181, autrement dit : « Ni Londres, ni

Berlin »182.

Sur le plan idéologique, la propagande de l’IC offrit des réminiscences de l’époque du « social-fascisme ». Le feu de la critique était exclusivement orienté contre les sociaux- démocrates qui attendaient la libération par les baïonnettes et les canons anglais. Dans un article faisant le bilan de la volte-face de 1939, Togliatti accusa de lâcheté les socialistes pour avoir présenté le conflit européen « comme une guerre pour la liberté et contre le fascisme »183. En Hongrie, le PC demanda même la mise au ban des socialistes dans la

mesure où ils représentaient l’expression de l’impérialisme va-t-en-guerre anglo-saxon. Après un parcours tortueux, un article de Dimitrov corrigé par Staline fut publié le 31 octobre dans la presse communiste en Russie et dans quelques autres pays. À cette étape, la ligne s’installa. Le texte attaquait la propagande des puissances capitalistes occidentales en niant la thèse de la guerre de la démocratie contre le fascisme et en consacrant le pacte comme moyen de détourner l’impérialisme de l’Allemagne, dans la mesure où les chefs nazis avaient « choisi la voie des relations pacifiques avec l’URSS »184.

La Pologne y était décrite comme une « prison des peuples » et l’action militaire de l’URSS comme faisant partie des « mesures prises pour assurer la paix dans toute l’Europe occidentale »185. La ligne fut confirmée, ce même jour, par un discours de Molotov qui

assurait que :

« Today, as far as the European great powers are concerned, Germany is in the position of a State that is striving for the earliest termination of the war and for peace, while Britain and France, which but yesterday were declaiming against aggression, are in favor of continuing the war and are opposed to the conclusion of peace. The roles, as you see, are changing »186.

Cette théorie sur deux phases présumées de la guerre reçut une consécration dans des formes idéologiques fidèles à l’orthodoxie stalinienne par l’habituel Dimitrov selon lequel, après un premier stade où l’agresseur était Hitler, c’était « the British and French imperialists who have now come forward as the most zealous supporters of the continuation and further incitement of war »187. L’unilatéralité du défaitisme ne se cachait

plus.

Malgré une série de résistances, parfois non marginales, et les prises de position silencieuses de nombreux militants qui abandonnèrent le parti (comme à Londres où le nombre d’inscrits fut divisé par deux pour atteindre 2 500188) ou qui ne retournèrent pas 181 J. Gotovitch, Du rouge au tricolore. Les Communistes belges de 1939 à 1944. Un aspect de l'histoire

de la Résistance en Belgique, Labor, Bruxelles 1992, pp. 58-59.

182 J. Gérard-Libois, J.Gotovitch, L'An 40 : La Belgique occupée, CRISP, Bruxelles 1971, p. 57.

183 P. Togliatti, « Tentennamenti ed errori opportunisti all’inizio e nel primo periodo della guerra »,

Lettere di Spartaco, avril 1940, dans P. Togliatti, Opere, vol. IV, Editori Riuniti, Roma 1979, p. 29.

184 G. Dimitrov, « La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes », cité dans World News and

Views, reproduit dans J. Degras (ed.), The Communist International. Documents, 3 voll., Royal Institute of

International Affairs, London 1956-1965, vol. III, p. 449.

185 Ibidem, p. 53.

186 Voir The Daily Worker, 1-11-1940. 187 Ibidem, 3-11-1940.

188 Dans ce cas, comme en général, ce furent principalement des membres de la classe moyenne et des

en son sein après le bannissement ou l’appel sous l’uniforme, tous les partis de l’IC continuèrent de soutenir le nouveau tournant189. Pour la réussite d’une telle acrobatie, le

fait que personne ne soit au courant, à l’époque, de la honteuse remise aux nazis de prisonniers communistes allemands et autrichiens jusqu’alors détenus en URSS fut sans conteste un avantage190.

La poursuite du conflit militaire demanda de nouvelles garanties d’obéissance au Kremlin. Les partis communistes durent s’opposer à toutes les aides anglo-françaises offertes à la Finlande, attaquée par l’URSS le 30 novembre 1939 dans l’une des campagnes militaires les plus désastreuses de Staline. À l’inverse, quelques mois plus tard, aucune condamnation ne put être exprimée concernant l’invasion nazie de la Suède et de la Norvège, présentée par la propagande allemande comme une réponse au débarquement de troupes britanniques.

Dans l’Europe occupée par les nazis, l’IC entra dans une phase caractérisée par Tasca comme « lutte pour la légalité »191. Sous des formes diverses et avec des résultats

différents, ses sections (France, Belgique, Pays-Bas, Norvège, Danemark) cherchèrent à obtenir des occupants le droit de publier légalement leurs propres journaux. D’autre part, le norvégien Arbeideren accepta l’invasion comme un fait accompli192, tandis que le parti

danois conserva sa légalité jusqu’au 22 juin 1941 : dans son manifeste pour le 1er mai de

cette même année on ne trouve aucune référence à l’occupation du pays193. En Italie, où le

caractère clandestin du parti permit de réaliser ce virage sans traumatisme excessif, la propagande anti-mussolinienne se maintint mais, dans le même temps, l’organe théorique rapporta le commentaire positif de Molotov sur les pourparlers en cours entre l’URSS et l’Italie194. De l’autre côté de l’Atlantique, face à la préparation à l’entrée en guerre des

États-Unis aux côtés de la Grande-Bretagne, le PC s’associa aux mouvements isolationnistes réactionnaires comme America First et American League of Defence195.

Dans le monde colonial aussi les effets de cette volte-face furent drastiques : en Inde, le PC accusa Mohandas Gandhi et Jawaharlal Nehru de ne pas se battre avec suffisamment d’énergie contre la participation à la guerre anglaise. En Chine, en revanche, l’alliance avec le Kuomintang se poursuivit, dans la mesure où il était utile à Staline que les communistes chinois continuassent à tenir occupé le Japon, compliquant ainsi une attaque de sa part contre l’URSS.

Toutefois, la politique des partis communistes fut caractérisée par une confusion enracinée également dans la réalité objective, comme le prouve l’inquiétude de l’IC concernant l’insistance des français à se battre pour l’autorisation de publier légalement L’Humanité et la déclaration successive du PCF en faveur d’une lutte « contre l’assujettissement de notre peuple par les envahisseurs »196. Dans les faits, dès l’été 1940, la ligne de l’IC commença

189 Voir P. Broué, Histoire de l’Internationale Communiste (1919-1943), cit., pp. 739-751.

190 Pour déchirer ce voile prirent la parole, après la guerre, Margarete Buber-Neumann - elle avait été

dans ce groupe de prisonniers - et l'historien Hans Schafranek.

191 A. Tasca, Physiologie du parti communiste français, Self, Paris 1948, p. 399.

192 H. Michel, La guerra dell’ombra. La resistenza in Europa, Mursia, Milano 1970, p. 178. 193 Voir Lo Stato Operaio, n° 4-5, avril-mai 1941, p. 80.

194 Pour le texte du discours de V. I. Molotov à la 7e session du Soviet Suprême, tenue le 1er août 1940,

voir Lo Stato Operaio, n° 5/6, août-septembre 1940, p. 85.

195 A. Peregalli, Il patto Hitler-Stalin e la spartizione della Polonia, Roma, erre emme edizioni, 1989, p.

102.

196 « Declaration du PCF », RtsKhIDNI, 495/8/1321/1517, cité dans P. Broué, Histoire de l’Internationale

lentement à s’orienter vers l’anti-hitlérisme, tout en tenant compte de la force d’inertie du tournant de 1939, rendue avec clarté par celle que José Gotovitch a défini comme la « clandestinité transparente » du PCB lorsqu’en mai 1941, le secrétaire Julien Lahaut, en qualité de député (non déchu !), organisa des réunions publiques à Seraing sans que cela n’entraîne de conséquence. L’éditorial du Kommunisticeskij Internatsional du 1er mai 1941

fut encore dirigé contre le Royaume-Uni soutenu par les États-Unis, tandis que le fascisme et le nazisme n’étaient même pas cités, tout comme les noms des deux dictateurs.

Mais la roue avait commencé à tourner. Broué observe que Moscou « conseille de ne pas trop parler des gaullistes qui, en fin de compte, sont antiallemands, et ainsi d’éviter de les attaquer comme les réactionnaires qu’ils sont. On luttera sur deux front, contre Vichy et contre Paris, mais, s’il faut un traitement inégal, on réservera les coups à Paris, plus lié aux occupants »197. Il serait donc réducteur de ramener l’énième et soudain tournant de la

politique imposée par Staline à l’IC exclusivement à l’invasion militaire allemande198,

même si cette dernière en reste l’élément déclencheur. En 1940, Staline percevait un début de perte de contrôle sur les partis communistes des pays occupés et pillés par les troupes allemandes, italiennes et japonaises.

En outre, la multiplication des affrontements armés contre l’occupant aurait pu provoquer une crise entre l’Allemagne et l’URSS. Les Balkans étaient sans l’ombre d’un doute le point le plus critique des relations entre les deux puissances mais certainement pas le seul. Lors de l’importante grève générale de février 1941 à Amsterdam et de celle du mois de mai suivant parmi les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, les communistes furent pleinement engagés ; ce fut également le cas dans la lutte nationale contre le gouvernement Quisling mis en place par les nazis en Norvège199, ainsi que dans la préparation de la guérilla

paysanne, anti-japonaise, dans les Philippines et dans celle de Yougoslavie. Dans ce pays, le Comité central réuni clandestinement à la fin du mois d’avril à Zagreb décida de passer à la lutte armée et en informa Dimitrov par radio. L’IC répondit que la guerre du peuple yougoslave contre l’Allemagne était juste. La ligne de l’IC se démontait pièce par pièce. Un soulèvement de classe et anticolonial sans précédent se préparait en Europe et dans le