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Les origines : des guerres nationales à l’ère de l’impérialisme

Le 1er septembre 1939, lorsque les troupes hitlériennes envahissent la Pologne, le débat

sur la guerre est déjà présent depuis bien longtemps dans le mouvement ouvrier.

En 1848, Karl Marx et Friedrich Engels avaient considéré la Russie du tsar comme la plus grande réserve de forces de la réaction en Europe et ils n’avaient cessé d’indiquer aux mouvements démocratiques, temporairement triomphateurs, la nécessité d’une « guerre révolutionnaire » pour mettre à bas le pilier de la Sainte-Alliance fondée au congrès de Vienne. Les deux auteurs du Manifeste du parti communiste n’élaborèrent pas une doctrine spécifique sur la guerre mais, s’appropriant la célèbre formule de Carl von Clausewitz, la considéraient en termes généraux comme « la continuation de la politique avec d’autres moyens ». Aucune indication valide dans tous les cas n’était donc possible mais une analyse historique concrète de chaque conflit pouvait en déterminer la nature et, par conséquent, indiquer quel était l’intérêt de la classe laborieuse. En ce sens, Marx prit position en faveur du Nord contre le Sud esclavagiste au cours de la guerre de Sécession (1861-1865) et, en qualité de dirigeant de l’Association internationale des travailleurs (AIT) ou Première Internationale, encouragea les actes de solidarité avec le Nord de la part des syndicats britanniques. Pour sa part, Engels considéra l’unification de l’Allemagne réalisée lors du conflit franco-prussien de 1870-1871 comme progressive, dans la mesure où elle balayait les restes de féodalité et accélérait indirectement la marche de la révolution socialiste, mais il convint avec Wilhelm Liebknecht et August Bebel de maintenir l’indépendance politique du parti social-démocrate face au gouvernement prussien et de voter contre les crédits de guerre. Cependant, une fois écroulé l’empire de Napoléon III en France et réalisée l’unification, ce même Engels considéra la poursuite de la guerre totalement réactionnaire car liée au renforcement d’une Allemagne prussifiée en Europe et des junkers prussiens dans le nouvel État ; il pressentit en outre que la défense nationale française aurait pu devenir un facteur révolutionnaire (comme ce fut le cas avec le soulèvement du 18 mars 1871 qui déclencha la Commune de Paris).

D’autre part, ces analyses n’empêchèrent pas les fondateurs du socialisme scientifique de dénoncer le colonialisme, en particulier celui de la Couronne britannique, comme phénomène de pillage lié aux mécanismes économiques de la société capitaliste. Par conséquent, quand Vladimir Ilitch Lénine considéra comme un « mal mineur » (parce qu’accélérateur de la crise du tsarisme) la prise de Port-Arthur par les Japonais lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, il ne s’agissait pas d’une idée neuve93. Là où il

93

Voir V. I. Léniné, « La chute de Port Arthur », Vperiod, n° 2, 14-1-1905, dans V. I. Lénine, Œuvres, v. VIII, janvier-juillet 1905, Editions Sociales/Editions du Progrès, Paris/Moskva, 1964, pp. 40-48 ; V. I. Lénine, « La débâcle », Proletarii, n° 3, 9-6-1905, dans ibidem, pp. 487-490.

innova, en revanche, fut en 1914 lorsqu’il appliqua cette méthode à la Première Guerre mondiale, en forgeant le concept de « défaitisme révolutionnaire ».

À l’époque de l’Internationale socialiste (IS, 1889-1914), les vents de guerre et militaristes étaient analysés comme des signes précurseurs d’un conflit entre grandes puissances pour le partage du monde. Lors des congrès de 1907, 1910 et 1912, les résolutions sur le thème de la guerre confièrent au mouvement ouvrier international la tâche de s’opposer par tous les moyens, y compris la grève générale et l’insurrection, à la guerre qui se préparait. La définition de la réponse socialiste plonge ses racines dans l’amendement proposé par V. I. Lénine, Rosa Luxemburg et Julius Martov au congrès de Stuttgart de 1907 et repris aux assises de Bâle en 1912 :

« Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d’œuvrer pour sa fin rapide et d’utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter par là la chute de la domination capitaliste »94.

Dans les faits, cet amendement définissait davantage l’opinion de l’aile gauche de l’IS que celle de l’organisation dans son ensemble, exactement comme la conclusion du manifeste approuvé au congrès de Bâle, la veille du déclenchement du conflit mondial :

« Que les gouvernements bourgeois n’oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l’insurrection révolutionnaire de la Commune, et que la guerre russo-japonaise mit en mouvement les forces révolutionnaire de Russie. Aux yeux des prolétaires c’est un crime que de s’entretuer au profit du gain capitaliste, de la rivalité dynastique et de la floraison des traités diplomatiques »95.

À l’été 1914, donc, le vote en faveur des crédits de guerre par le SPD et après lui par la SFIO, le Parti Ouvrier Belge (POB) et le LP britannique mit fin de façon dramatique à l’histoire de l’IS et désorienta le mouvement ouvrier européen. Lénine lui-même, devant le numéro du Vorwärts qui justifia le vote des crédits de guerre, pensera un instant qu’il s’agissait d’un faux imprimé par la police du Kaiser.

Le vote des crédits de guerre par le SPD au parlement de Berlin le 4 août 1914 fut tellement paradigmatique que, 20 ans plus tard, il deviendrait, sous la plume de Léon Trotski, synonyme de banqueroute politique dans l’expression « 4 août du Komintern ». Trotski indiquait l’échec définitif d’une autre Internationale ouvrière, l’Internationale Communiste (IC), qui se manifesta par l’impuissance face à l’ascension du fascisme en Allemagne en 1933.

Toutefois, durant la Première Guerre mondiale, les minorités socialistes qui s’opposaient à la guerre cherchèrent à se réorganiser. Du point de vue politique, elles continuèrent à définir comme impérialiste la nature de la guerre mais elles se divisèrent entre celles qui s’opposaient en lançant des mots d’ordre de type pacifiste (en premier lieu, le Partito Socialista Italiano (PSI, Parti socialiste italien) avec « ni adhérer, ni saboter ») et une aile extrême, guidée par la fraction bolchevique de Lénine, qui défendait la stratégie de la transformation de la guerre impérialiste entre nations en guerre civile entre les classes. Du

94 « Résolution sur la position envers les courants socialistes et la conférence de Berne », dans

Manifestes, Thèses et Résolutions des Quatre Premiers Congrès de l’Internationale Communiste 1919-1923,

Librairie du Travail, Paris 1934, p. 14.

95 G. Haupt (ed.), Congrès international extraordinaire Bale 24-25 novembre 1912. Conférence

point de vue de l’organisation, à l’initiative du PSI, le front des socialistes opposés à la guerre convoqua entre 1915 et 1916 deux conférences en Suisse, pays neutre, à Zimmerwald et à Kienthal, ouvertes à tous les partis et fractions restés fidèles au principe de la solidarité internationale. C’est dans ces circonstances que des différences notables entre les participants furent actées ; des différences si importantes que se formèrent un « centre » et une « gauche de Zimmerwald » avant que la révolution d’Octobre ne permette aux bolcheviques russes de mettre à l’ordre du jour, comme tâche immédiate, la création d’une troisième internationale ouvrière, l’Internationale Communiste, une nécessité soulignée par Lénine dès l’automne 1914, relancée avec force dans ses « Thèses d’avril » de 1917 et concrétisée avec le congrès fondateur de l’IC en mars 1919 à Moscou.