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Quelques mois après l’assassinat de Trotsky, la crise de la France faisait l’objet d’un manifeste du CEI de la QI700. Ces événements particuliers furent analysés comme 693 Ibidem, p. 75.

694 Ibidem, p. 78. 695 Ibidem. 696 Ibidem, p. 84. 697 Ibidem, p. 85.

698 James P. Cannon, [Summary speech on military policy], 28-9-1940, dans James P. Cannon, The

Socialist Party in World War II, cit., p. 107.

699 Ibidem, p. 103.

700 Voir « France under Hitler and Petain. Manifesto of the Fourth International, november 1940 »,

Fourth International, vol. I, n° 7, décembre 1940, pp. 179-182 [pour la traduction en français, voir Comité

Exécutif de la Quatrième Internationale, « La France sous Hitler et Pétain », novembre 1940, dans La Vérité, édition de New York, n° 1, avril 1941].

l’expression générale du déclin de la démocratie bourgeoise, même dans l’un des berceaux du parlementarisme. La bourgeoisie s’était débarrassée de toutes ses formes politiques traditionnelles et s’était jetée, défaitiste, dans les bras d’Hitler. Une fraction de cette même classe sociale, à ce moment-là en minorité, organisait la lutte contre l’asservissement au joug étranger à partir des gouvernements des colonies de l’empire… pas exactement le meilleur exemple de démocratie. Aucune confiance ne pouvait donc être accordée, pas même dans la faction de Charles de Gaulle, elle aussi représentante de l’impérialisme. Toutefois, la résistance contre l’oppression nationale se concentrait dans les franges les plus pauvres et exploitées de la société, au moment même où la bourgeoisie cherchait un accord avec l’occupant. La propagande de la QI se développait autour du mot d’ordre des États-Unis socialistes d’Europe, à constituer sur une base volontaire et fédéraliste.

Mais Trotsky avait aussi observé que la France était « en train de devenir une nation opprimée »701, ce qui créait un terrain de lutte particulier.

Sa première critique avait frappé les « demi-internationalistes »702 : les éditeurs des œuvres de Trotsky y ont vu une référence aux centristes de Pivert et de l’ILP, selon lesquels les triomphes de l’Axe impliquaient que la révolution aurait pu naître uniquement à la suite d’une défaite d’Hitler et de Mussolini et, par conséquent, le devoir immédiat était d’aider les alliés à porter un coup fatal aux deux dictateurs. D’ailleurs, il est possible que la correspondance entre Pivert et de Gaulle ait renforcé la volonté de censurer une forme d’adaptation du social-patriotisme à la nouvelle carte de l’Europe. Trotsky demande de façon polémique :

« pour créer une situation révolutionnaire, disent les social-patriotes, il faut porter un coup à Hitler. Pour remporter la victoire sur Hitler, il faut soutenir les démocraties impérialistes. Mais, si pour sauver les ‘démocraties’, le prolétariat renonce à une politique révolutionnaire indépendante, qui, au juste, utiliserait une situation révolutionnaire naissant de la défaite de Hitler ? »703.

Ce raisonnement, poursuit Trotsky, n’applique pas aux démocraties le principe de la défaite de son propre gouvernement comme moindre mal et, de façon spéculaire, interprète la « victoire de Hitler comme un obstacle, non pas relatif, mais absolu sur la voie de la révolution en Allemagne »704. Pour lui, les « demi-internationalistes » ont tort dans les

deux cas.

L’occupation nazie d’une part désormais considérable de l’Europe occidentale rend brûlant le thème de l’entrelacement de la question politique et de la question militaire. En effet, dans les pays occupés, à l’oppression sociale s’ajoute celle nationale, dont le « fardeau principal est supporté par les ouvriers. De toutes les formes de dictature, la dictature totalitaire d’un conquérant étranger est la plus insupportable »705. Il n’y a donc pas de

snobisme théorique envers le sentiment d’humiliation nationale éprouvé par les masses laborieuses et petites-bourgeoises mais, au contraire, la persuasion que les deux terrains peuvent être connectés et que l’oppression nationale peut être un détonateur pour la révolution sociale. Cela avait été le cas, d’ailleurs, au cours de la révolution russe dans tous les territoires opprimés par le chauvinisme grand-russe.

Dans ce cas également, l’assassinat du fondateur de la QI sembla laisser les rangs de son organisation dans un état de faible homogénéité politique effective. La controverse fut

701 L. Trotsky, « Notre cap ne change pas », 30-6-1940, dans Oeuvres, vol. XXIV, p. 184. 702 Ibidem.

703 Ibidem, p. 185. 704 Ibidem, p. 186. 705 Ibidem.

plus animée en Europe qu’en Amérique, où les sections nationales individuelles n’étaient pas confrontées directement à la question.

En tout état de cause, la QI entra dans la Seconde Guerre mondiale animée d’un profond optimisme révolutionnaire. Encore une fois, Trotsky le résume bien. Au lendemain du pacte Molotov-Ribbentrop, le supplément hebdomadaire d’un célèbre journal parisien, Paris-soir, rapporta la conversation qu’auraient eue l’ambassadeur français à Berlin, Robert Coulondre, et Hitler lui-même le 25 août. Trotsky reprend un extrait de cet article et le commente ensuite. La citation mérite d’être mentionnée dans son ensemble :

« “Hitler postillonne et bombe le torse à propos du pacte qu’il vient de conclure avec Staline un pacte réaliste”) et ‘regrette’ qu’il faille faire couler du sang français et allemand. Mais, rétorque Coulondre, Staline fait preuve d’une grande hypocrisie. Le grand vainqueur, en cas de guerre, sera Trotsky. Y avez-vous songé–Je sais, répond le Führer, mais pourquoi la France et l’Angleterre ont-elles données à la Pologne complète liberté d’action etc. ?”. Ces messieurs donnent un nom propre au spectre de la révolution. Mais ce n’est bien entendu pas là que réside l’essentiel de ce dramatique dialogue, au moment même de la rupture des relations diplomatiques. “La guerre va inévitablement provoquer la révolution”, assure ce représentant de la bourgeoisie, lui-même glacé jusqu’à la moelle, mais qui cherche à effrayer son adversaire. “Je sais, répond Hitler, comme s’il parlait d’une question résolue depuis longtemps, je sais”. Étonnant dialogue ! »706.

Avec ce sentiment de la marche de l’Histoire, la QI se jettera corps et âme dans les

tumultueux conflits des années à venir.

706 L. Trotsky, « Encore une fois sur la nature de l’URSS », 18-10-1939, dans Œuvres, vol. XXII, pp. 109-

Chapitre IV

Des socialistes déchirés : en quête de nouvelles voies