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Dès l’origine, les problèmes ne manquèrent pas du point de vue de l’organisation. Durant la commission préparatoire au congrès fondateur dédiée à la section française et à ses rapports avec le PSOP et le PCI (Parti Communiste Internationaliste, tendance molinieriste), la discussion avait été orageuse.

Pour les américains James P. Cannon et Shachtman, la crise de la section française était due à un « problème de direction et d’organisation », tandis que l’italien « Blasco » (Pietro Tresso) pensait que « les camarades français étaient capables d’analyser la situation politique, mais incapables d’intervenir activement dans la lutte des masses ». C.L.R. James, pour sa part, identifiait les problèmes dans la « composition sociale du groupe, [de] sa

542 A. Breton, Entretiens 1913-1952, NRF-Librairie Gallimard, Paris 1952, p. 191.

543 A. Thirion, Révolutionnaires sans révolution, Robert Laffont, Paris 1972, p. 452. Le jugement porté

sur l’engagement politique de Breton était que « Son trotskisme n’était pas très raisonné. Il en tirait surtout une attitude morale d’hostilité à tout compromis, un non-conformisme absolu que l’on pourrait trouver un peu trop facile si Péret n’en avait accepté à plusieurs reprises toutes le conséquences », ibidem, p. 356.

544 M. Nadeau, Histoire du surréalisme, suivi de Documents surréalistes, Éditions du Seuil, Paris 1964, p.

concentration à Paris et [de] l’intérêt prédominant qu’il porte aux questions purement politiques au détriment des problèmes des usines »545. De l’autre côté de la Manche, la conférence de réunification de la section britannique n’avait pas créé une unité programmatique et de principe, et le groupe Lee, c’est-à-dire la WIL, s’était tenue à l’écart de cette combinaison. La WIL, considérée par James comme très dynamique546, était destinée à devenir l’axe du trotskisme britannique durant la guerre.

Les mois qui suivirent la fondation ne furent pas moins difficiles. Le SI déménagea à New York dès le début de l’année 1939. Les États-Unis accueillaient la section la plus importante, le SWP ; la possibilité d’œuvrer légalement semblait garantie à plus long terme qu’en Europe et tout cela faisait espérer en une aide efficace au fonctionnement du centre international. La possibilité de discuter directement avec Trotsky contribua en outre à la formation et à la confiance en sa propre réflexion du groupe dirigeant du SWP. La croissance ne fut pas spectaculaire mais régulière. Le SWP tint en juillet 1939 une conférence consacrée à la préparation du parti pour la guerre. La feuille de route souhaitée par Trotsky était suivie.

Au contraire, la section française se trouvait dans une situation de grande confusion, dominée par le dilettantisme au niveau de l’organisation et divisée sur la perspective d’entrée dans le PSOP, invoquée par Trotsky mais défendue uniquement par la minorité de Rous. Ainsi, en juin 1939, le Comité exécutif international (CEI) prit la mesure drastique de dissoudre la section française547, entrée entretemps en bonne partie dans le PSOP, même si cela eut lieu avec des rythmes différents.

Cependant, dans les mois qui suivirent le pacte Molotov-Ribbentrop, la QI fut déstabilisée par la crise qui s’était ouverte au sein de la section américaine suite au débat sur la nature sociale de l’État soviétique. Un nouveau SI fut élu en mai 1940 après que la majorité de l’ancienne direction (Max Shachtman, Mario Pedrosa, Nathan Gould) se fut rangée aux côtés de la minorité américaine qui constituera le WP. À l’initiative du WP naîtra le parallèle et éphémère American Committee for the Fourth International (Comité Américain pour la Quatrième Internationale).

Sur l’ensemble de ces événements planait de façon sinistre la chasse toujours plus intense des tueurs de Staline contre Trotsky. L’assassinat de Trotsky, le 21 août 1940, eut des conséquences particulièrement profondes sur l’histoire de la QI.

Lors de la discussion déjà mentionnée avec James et Schüssler, le fondateur de la QI avait abordé le problème d’une certaine faiblesse dans la direction. À une période où il avait fallu nager à contre-courant, ce problème se manifestait dans la difficulté à former des dirigeants capables d'une intervention dans le mouvement de masse.

Un groupe à contre-courant, observa Trotsky, ne pouvait que recueillir un nombre relativement important d’« outsider » et d’éléments « plus ou moins coupés de la vie nationale »548. À cela s’ajoutait que les défaites des années 1930 avaient engendré une

démoralisation et des divergences même entre les cadres du mouvement bolchevique- léniniste. Dans le rapport de Naville au congrès de 1938, celui-ci avait enregistré que le conseil général élu en 1936 ne s’était jamais réuni, notamment à cause de nombreux abandons parmi ses membres, dont Victor Serge, A. J. Muste, Henk Sneevliet, Chen Du-Xiu et Alfonso Leonetti. Il fallut ajouter ces ruptures à celle d’Andreu Nin, dirigeant mondial de

545 L. Trotsky, [Sténographie de la deuxième discussion entre Trotsky, James e Schüssler (avril 1939)],

dans Œuvres, vol. XXI, p. 41.

546 Ibidem, p. 43.

547 R. Prager (ed.), op. cit., vol. I, p. 328.

548 L. Trotsky, [Sténographie de la deuxième discussion entre L. Trotsky, C.L.R. James et O. Schüssler

l’Internationale syndicale rouge (ISR) dans les années vingt, ou à l’échec de l’intégration de Ruth Fischer et Arkadi Maslow, ex-dirigeants de la gauche du KPD, ou encore à l’éloignement sans rupture d’Alfred Rosmer, issu du syndicalisme révolutionnaire, lui aussi figure clé de l’ISR des premières années, mais aussi véritable pionnier du communisme en France.

En outre, le potentiel groupe dirigeant de la QI avait été massacré par la répression stalinienne en URSS, qui assassina Khristian Rakovsky en août 1941, et dans le monde. Il suffit ici de rappeler le cas de Lev Sedov et de deux secrétaires administratifs de la QI, Rudolf Klement et Erwin Wolf, séquestrés et assassinés par les staliniens respectivement à Paris et en Espagne. Le résultat général de ces processus liés entre eux fut de mettre une pression énorme sur les épaules de Trotsky, dans la production théorique et dans la direction politique quotidienne, terrain sur lequel sa condition d’exilé lui permettait toutefois une action limitée.

Le fondateur de la QI, conscient du problème, nourrissait un certain espoir dans le groupe dirigeant américain et dans deux de ses secrétaires, Jean van Heijenoort et Jan Frankel. Cependant, ce dernier soutiendra la minorité de Shachtman en 1939-1940 pour disparaître ensuite de New York et abandonner l’activité politique en 1942. L’héritage politique de Trotsky, sous la forme d’une direction collégiale, deviendra un immense problème pour les cadres de l’internationale.

Le nouveau SI était préoccupé par la réorganisation du groupe français, qui avait adopté en juillet 1940 le nom de « Comités pour la Quatrième Internationale » (et cela supposait des doutes persistantes sur le caractère prématuré de la fondation) et avait produit le rapport Hic-Craipeau du 7 août 1940, qui attestait une régression du point de vue de l’organisation et fut accusé de « capitulation devant le centrisme »549. La composition même du SI donne l’idée de sa précarité. Composé durant la première phase de la guerre de Jean van Heijenoort, de l’allemand Ludwig Suhl, d'A. Gonzales et de Sam Gordon, secrétaire administratif, ce dernier dut partir en 1941 dans la marine marchande et fut remplacé par Charles Curtiss, à son tour enrôlé dans l’armée en 1943 et remplacé par Bert Cochran. Entre-temps, le SI prit acte de la sortie de Suhl à cause de différences de principe sur la question nationale en Europe apparues après la publication en 1941 des « Trois thèses » par les exilés allemands regroupés au sein de l’Internationale Kommunisten Deutschlands (IKD, Communistes internationaux d’Allemagne).

Le seul pays avec lequel les rapports furent maintenus pendant toute la durée de la guerre fut le Royaume-Uni. Dans ce pays depuis 1942, le secrétaire de l‘internationale van Heijenoort se convainquit de l’importance de la divergence avec la section officielle, la RSL, et favorisa le rapprochement avec la WIL et puis aussi la fusion sous l‘hégémonie de cette dernière. Avec la section française, les relations cesseront avec l’arrestation de la direction de la zone Sud en juin 1942, pour ne reprendre qu’en septembre 1944550. Avec l‘Italie, les rapports reprendront, orageux, après l’effondrement du fascisme en juillet 1943 et avec la fin de l’assignation à résidence surveillée de Nicola Di Bartolomeo, alias « Fosco », avant la guerre militante au sein du groupe dissident de Raymond Molinier.

549 « Le réarmement politique de la section française est une tache urgente pour l’Internationale »,

International Bulletin, n° 3, décembre 1940. En avril 1942, le groupe français changera son nom en « Comités

de la IV Internationale », pour retrouver son nom d'avant-guerre POI (Parti Ouvrier Internationaliste) au mois de décembre de la même année. Entre temps, le déclenchement de la guerre avait entraîné la défection de leaders historiques, de Naville à Rous, qui passa rapidement de la direction du secteur trotskiste dans le PSOP à l’équivoque et nationaliste Mouvement National Révolutionnaire (MNR).

En ce qui concerne la situation hors de l’Europe, la QI disposait d’importantes sections en Bolivie, en Indochine et à Ceylan mais les rapports n’étaient pas réguliers, tandis que le poète et journaliste Sherry Mangan s’occupait de l’Amérique Latine (en veillant à la précaire unification en Argentine et à celle, plus solide, au Chili). En Asie, la fondation du BLPI en mai 1942 reçut la contribution essentielle de quatre dirigeants du LSSP de Ceylan (Colvin De Silva, D. P. R. Goonewardene, N. M. Perera et E. Samarakkody) arrêtés en 1940, envoyés en Inde et évadés en avril 1942 aux côtés de leurs gardiens devenus trotskistes. Le petit groupe d’exilés espagnols au Mexique, dirigé par Grandizo Munis, prenait part à une polémique ouverte avec le SI et le SWP, en les accusant de social-patriotisme et, plus tard, de ne pas prendre acte des changements en URSS, se rapprochant des positions de Shachtman.

La pression de la guerre se fit sentir aussi aux États-Unis. En 1940, le Smith Act criminalisa la défense de l’idée de révolution et l’année suivante, le Voorhis Act rendit illégal les liens politiques internationaux, frappant aussi bien l’IC que la QI. Ces mois marquèrent aussi le début d’un reflux non dissimulé vers la droite (en passant généralement par une phase pro-Roosevelt enflammée) de nombreux intellectuels de la gauche antistaliniste new- yorkaise. Nombre d’entre eux ayant été, les années précédentes, de sincères « compagnons de route » du mouvement trotskiste.

En jetant rapidement un premier regard à la suite de la guerre, on voit que le SI sera dirigé par un secrétaire politique de Trotsky, van Heijenoort, laissé plutôt seul par le SWP. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait eu des difficultés à accomplir ses tâches.

En bref, la QI entra dans la tempête de la guerre mondiale avec un degré de centralisation et de cohésion politique réel tout à fait inférieur aux plans conçus seulement quelques années auparavant. En tout cas, sa structure internationale (bien que suspendue à un fil) tint bon. Et bon nombre de ses sections cherchèrent à structurer une intervention pour donner vie à ce parti qui, à partir des ruines de la guerre, aurait dû conduire l’humanité vers un futur socialiste.