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Quand éclata à l’échelle internationale la « bombe » du pacte Molotov-Ribbentrop, la discussion sur la nature sociale de l’État soviétique avait déjà produit à plusieurs reprises des divergences et des ruptures au sein du mouvement. Dès les années vingt, des polémiques politiques étaient nées dans l’Opposition de gauche internationale avec ces groupes qui jugeaient déjà accompli le « Thermidor », au sens d’une restauration du capitalisme en URSS : du groupe « Centralisme démocratique » de Timofeï Sapronov en URSS, à la « Entschiedene Linke (Gauche résolue) » de Karl Korsch et au « Leninbund » d’Hugo Urbahns en Allemagne, en passant par la position moins catégorique des bordiguistes.

Trotsky et la grande majorité du mouvement bolchevique-léniniste avaient en revanche développé et approfondi la conception de l’URSS comme État ouvrier dégénéré, résultat de l’isolement de la révolution socialiste dans un seul pays, étant de surcroît en retard du point de vue technologique et culturel. De cette conception découlait logiquement le principe de la défense inconditionnelle de l’URSS face à une agression impérialiste. Cet adjectif, « inconditionnée », ne signifiait pas tant une réconciliation avec la bureaucratie au pouvoir en URSS qu’une défense malgré et contre toutes les politiques national- réformistes de la caste dirigeante du Kremlin. Au fond, la base socio-économique du

régime en place en URSS après l’abolition de la propriété privée des moyens de production était considérée comme progressiste par rapport à toute autre forme de régime capitaliste.

Cette position avait suscité les critiques récurrentes de Vereeken et aussi celles de Craipeau, auquel Trotsky avait répondu de façon amicale en novembre 1937551. Selon

Trotsky, la position de Craipeau reposait sur la peur de tomber dans le social-patriotisme dans le cas où l’on persisterait à définir l’URSS comme État ouvrier dégénéré, tandis que la restauration du capitalisme aurait permis de balayer toute complication éventuelle. La controverse était déjà liée aux conséquences en cas de guerre. Le révolutionnaire russe considérait que Craipeau était otage d’un radicalisme lexical qui n’aidait pas à comprendre la situation ni à définir les tâches. Craipeau aurait cherché à se rassurer au moyen d’un « "défaitisme" sans phrases »552, c’est-à-dire un défaitisme systématique à appliquer à tous

les cas les plus épineux, comme la défense de l’URSS ou d’un État colonial agressé par une puissance impérialiste (de l’Abyssinie à la Chine, mais aussi l’Espagne républicaine). La critique des thèses sur la distinction, en cas de guerre, entre un pays impérialiste et un État ouvrier, peu importe son degré de dégénérescence, dépassait les milieux bolcheviques- léninistes553. En 1938, Simone Weil elle aussi attaqua ces thèses sous un angle de gauche,

les considérant comme un pas vers le social-patriotisme (et la comparaison avec le Gueorgui Plekhanov des années 1914-1918 ne put bien sûr pas atténuer les modalités du conflit).

À ces critiques, Trotsky répondit en niant une quelconque origine psychologique de sa position, c’est-à-dire la difficulté à reconnaître la liquidation définitive du processus révolutionnaire auquel il avait associé (pour toujours) son nom. Procédant à une argumentation positive, Trotsky rappela von Clausewitz et considéra que l’erreur résidait en fait dans une tendance à fonder la politique de paix et de guerre sur des bases différentes. Il soutint que le défaitisme ne pouvait pas fonctionner de façon identique dans chaque pays : seul le crétinisme bureaucratique de l’IC pouvait présenter la question de cette manière. L’éclatement effectif de la guerre surprendra et désorientera ses critiques de gauche, prophétisa Trotsky, comme le furent les anarchistes espagnols lors de la révolution554.

Le pacte Molotov-Ribbentrop déclencha un âpre conflit de fractions dans les rangs mêmes de la QI. Le porte-étendard de cette nouvelle minorité était l’un des dirigeants les plus en vue de la section américaine, un cadre qui avait eu un rapport étroit et direct avec Trotsky : Max Shachtman. Derrière lui se trouvait James Burnham, intellectuel à la formation éclectique qui remettait en question également le matérialisme dialectique et abandonnera bientôt et totalement le marxisme. La lutte de fractions dura de septembre 1939 à avril 1940, lorsqu’un tiers environ du parti américain (mais la majorité de la jeunesse) fit sécession et forma le WP. L’invasion soviétique de la Finlande à la fin du mois de novembre avait exacerbé le débat interne. Burnham, par exemple, s’était refusé de défendre Browder, secrétaire du CPUSA, contre la répression du gouvernement fédéral, selon l’idée qu’il n’était pas le représentant d’une tendance légitime au sein du mouvement ouvrier.

551 L. Trotsky, « Une fois de plus : l’U.R.S.S. et sa défense. Craipeau oublie les principaux enseignements

du marxisme », 4-11-1937, dans Œuvres, vol. XVI, pp. 255-266.

552 Ibidem, p. 264.

553 L. Trotsky, « Un conseil amical à certains ultra-gauchistes », 22-5-1938, dans Œuvres, vol. XVII, pp.

245-250.

554 « ces ‘négateurs absolus’ de l’État qui se sont retrouvés, pour les mêmes raisons, ministres

Face à la Pologne envahie d’Ouest et d’Est, Shachtman fut en faveur d’un double défaitisme. Dans les faits, selon Shachtman, une défense révolutionnaire de la Pologne était nécessaire, même à l’Est : la guerre de l’Armée rouge contre un État capitaliste, qu’il soit faiblement ou fortement réactionnaire, n’avait aucun contenu progressiste. L’expression Third Camp policy vit le jour et exerça une certaine fascination notamment parmi les socialistes de gauche, attentifs à l’évolution de la formation de Shachtman hors de l’orthodoxie trotskiste.

Le concept d’impérialisme, né dans le domaine marxiste avec le célèbre texte de Lénine comme politique extérieure du capital financier, fut appliqué également à l’URSS. Brockway utilisa dans le New Leader le terme « impérialisme » de la même manière que Shachtman. Trotsky le considéra comme un impardonnable dilettantisme théorique, dû à la pression de l’intellectualité progressiste de l’Occident. Considérant l’URSS comme un État ni ouvrier ni bourgeois, mais dirigé par une nouvelle classe dirigeante incarnée par la bureaucratie, Shachtman attaqua frontalement les prévisions de Trotsky sur la possibilité d’un renversement révolutionnaire du capitalisme « par le haut », porté sur la pointe des baïonnettes de l’Armée rouge et complété par une guerre civile interne.

En revanche, l’analogie historique que Trotsky développait faisait allusion aux guerres napoléoniennes, dont la fonction était d’étendre les formes de propriété bourgeoise et de balayer, par le haut, les relations féodales. Il confirma que le caractère de la guerre et de l’État qui la mène sont liés, et qu’il était impossible de les séparer comme le faisait l’opposition du SWP555. La résolution de la minorité sur la guerre de Finlande, écrivit

Trotsky, aurait pu être signée, avec quelques réserves, même par les « bordiguistes, Vereeken, Sneevliet, Fenner Brockway, Marceau Pivert et leurs semblables »556 : elle se

limitait à s’arrêter sur le caractère réactionnaire de la bureaucratie soviétique et sur le simple fait de l’invasion. Les régimes économiques de l’URSS et de la Finlande étaient placés sur le même plan. Les premières expropriations effectuées par l’Armée rouge en Finlande n’étaient pas prises en compte et une série d’abstractions démocratiques constituaient la base d’une politique.

Expliquant les raisons du soutien de Marx et Engels à une république allemande unifiée au début de la guerre franco-prussienne, Trotsky écrivit que l’État national était, à ce moment et à cet endroit, un facteur historique progressiste, et cela justifiait la position des deux fondateurs du socialisme scientifique, malgré les Hohenzollern et leurs Junkers. C’est là que se trouve le noyau de l’unique analogie utile entre le rôle de Staline et celui des Hohenzollern : l’introduction (consciente ou non) de formes progressistes de propriété par le biais de moyens bureaucratiques, ce qui était de toute façon le « moindre mal » (malgré les Junkers, justement, dans un cas, et malgré la GPU et la politique non internationaliste du Kremlin, dans l’autre). En dernière analyse, la guerre constituait toujours une fonction de la société et de la classe dirigeante557.

Toutefois, quand même l’organe des mencheviks en exil, le Sotsialistitcheskij Vestnik (Messager socialiste), rendit compte de comités paysans formés à l’approche de l’Armée rouge et quand le New York Times (en date du 17/1/1940) fit allusion à la révolution agraire en cours dans la Pologne soviétique, Shachtman hésita. En janvier 1940, par exemple, il opéra une marche arrière partielle lorsque, en raison de la possible intervention occidentale en réaction à l’invasion de la Finlande, il assura que, dans ce cas-

555 Voir L. Trotsky, « Une opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party », 15-12-1939,

dans Œuvres, vol. XXII, pp. 196-220.

556 Ibidem, pp. 212-213.

557 Voir L. Trotsky, « D’une égratignure au danger de gangrène », 24-01-1940, dans Œuvres, vol. XXIII,

, sa position aurait été la défense de l’URSS. Au cours du mois où eut lieu la scission, c’est-à-dire en avril, il écrivit qu’il était prêt à soutenir toute nationalisation réalisée en Finlande558 où, d’autre part, les erreurs stratégiques de Staline et la rapide réaction de

l’Occident avaient poussé la diplomatie du Kremlin à conclure en mars un accord tout à fait favorable au gouvernement réactionnaire du général Carl Gustav Emil Mannerheim559

(tuant ainsi dans l’œuf tout élément de guerre civile).

Shachtman soutenait encore que le stalinisme et le capitalisme n’étaient pas réactionnaires de la même manière, et que le second restait l’ennemi principal. En outre, jusqu’en décembre 1940, il tenta de distinguer aussi linguistiquement sa théorie sur le collectivisme bureaucratique de celle de Joe Carter, allié de Burnham dès 1937, en utilisant pour l’URSS l’expression de « bureaucratic state socialist »560. L’expression fut toutefois

abandonnée par peur, considérée évidemment comme plus importante, de créer des équivoques sur la nature non ouvrière de l’État soviétique.

Trotsky prit dès le départ les rênes théoriques de la dispute. Son bilan de l’expérience polonaise et finlandaise était bien différent de celui de la minorité du SWP561. Il considérait

avant tout le destin des petites nations dans la guerre impérialiste comme un facteur secondaire : elles pouvaient, au maximum, choisir le camp auquel s’allier.

Concernant les options secondaires intégrées dans la position générale de Shachtman, Trotsky considéra comme faible ce qu’il définit comme le défaitisme « conjoncturel » de son interlocuteur. Attentif à revenir systématiquement au corpus théorique de Lénine, Trotsky précisa que le défaitisme devait faire abstraction d’éléments contingents comme les formes politiques, démocratie ou monarchie, et de la querelle attaque-défense. En dernière analyse, Shachtman ne voyait pas la nature de classe de l’URSS comme un élément de fond pour résoudre la question.

D’autre part, son « modernisme terminologique »562 le poussait dans les bras de l’opinion

publique démocratique - pas nouvelle dans les pays alliés à employer le terme d’« impérialisme » pour l’URSS afin de dissimuler le thème de la propriété563.

La Norvège et la Finlande étaient, au fond, des cas similaires. Il n’existait pas, pour Trotsky, d’argument pour se prononcer sur la résistance finlandaise contre l’URSS de façon différente par rapport à l’opposition pro-britannique brièvement organisée dans le Nord du pays par le roi Haakon VII en accord avec le gouvernement social-démocrate564. Il

n’était donc pas possible de définir une stratégie politique générale à partir d’un épisode tactique secondaire comme l’invasion de la Finlande. Saisissant l’occasion pour remettre sur la table une vieille et épineuse question, Trotsky rappela par ailleurs que « la République soviétique de 1921 a soviétisé par la force la Géorgie qui constituait une porte grand ouverte pour une attaque impérialiste contre le Caucase »565 et la IIe Internationale

avait guidé la campagne de propagande dans laquelle l’Entente chercha à trouver le

558 Ce pays avait été envahi par l'URSS après les pactes balto-soviétiques d'octobre 1939 (non-agression

et bases en Estonie et en Lettonie). Staline a ensuite exigé le transfert de la base militaire de Hangoe, de certaines îles finlandaises et le déplacement de la frontière à 70 km de Leningrad. Ayant acquis le refus finlandais le 26 novembre, Moscou dénonça le pacte de non-agression, rompit les relations et attaqua quatre jours plus tard. L'URSS bénéficia du soutien de la presse allemande, unique au monde.

559 M. Shachtman, « The USSR and the World War », New International, a. VI, n° 3, avril 1940, p. 72. 560 M. Shachtman, « Is Russia a Workers’ State” ? A discussion article », New International, a. VI, n° 10,

décembre 1940, pp. 195-205.

561 L. Trotsky, « Bilan de l’expérience finlandaise », 25-4-1940, dans Œuvres, vol. XXIII, pp. 284-295. 562 L. Trotsky, « Une opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party », art. cit., p. 213. 563 Il s’exprima sur cette mode intellectuelle dans L. Trotsky, « La capitulation de Staline », 11-3-1939,

dans Œuvres, vol. XX, p. 253.

564 L. Trotsky, « Manifeste. Conférence d’Alarme », mai 1940, dans Œuvres, vol. XXIV, p. 56. 565 Ibidem, p. 288.

prétexte d’une nouvelle intervention contre l’URSS. Dans le cas de la Finlande également, la social-démocratie s'était trouvée à la tête de la campagne des pays impérialistes « démocratiques » pour mobiliser l’opinion publique contre l’URSS566.

La politique du « Troisième Camp » ne s’était pas distinguée de façon indépendante. D’ailleurs, cela était même dans les réflexes psychologiques. L’indignation concernant la défense de l’URSS unissait toutes les forces du « Troisième Camp » et de l’IOS, au sein de laquelle s’étaient distingués par leur virulence guerrière Jouhaux, Citrine, Huysmans et même le pacifiste Thomas. Le secrétaire de l’ILP, Smith, se déclara même prêt à s’enrôler avec les finlandais567.

Les deux épisodes différents en Pologne orientale et en Finlande avaient une base commune dans l’enthousiasme moindre que l’URSS suscitait dans le monde, fruit des différences politiques fondamentales entre le régime de 1921 et celui de 1939. Par rapport à la situation polonaise, soviétiser la Finlande s’était avéré toutefois plus difficile : l’armée finlandaise était davantage préparée, la population était plus hostile à la Russie que les Biélorusses et les Ukrainiens qui avaient combattu le nationalisme polonais et enfin, la petite bourgeoisie agraire et conservatrice avait un poids social supérieur dans ce pays scandinave que dans l’ex-Pologne orientale. Dans cette combinaison de forces, il est nécessaire de rappeler que la faiblesse de l’URSS s’était manifestée à tel point que, selon l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale de Basil Liddell Hart, le conseil de guerre allié du 5 février 1940 avait décidé l’intervention en Finlande.

Attentif à tirer des généralisations, Trotsky conclut donc qu’une révolution basée sur une impulsion bureaucratique, comme cela avait eu lieu en Pologne orientale, était possible en présence d’une occupation militaire et d’une population dispersée ou sous-développée. Quelques mois plus tard, à l’occasion de la « soviétisation » des pays baltes, Albert Goldman reprendra ce point tiré des colonnes du Socialist Appeal, en écrivant que cela était une preuve de la vitalité, malgré Staline, des fondements économiques et sociaux de la révolution d’Octobre568.

Les mises en garde pour ne pas psychologiser (c’est-à-dire rendre subjectif) la méthode d’analyse politique réapparurent dans la polémique de Trotsky. En effet, en aucun cas la politique défaitiste ne pouvait coïncider avec la punition d’un gouvernement pour un crime qu’il aurait commis. Par ailleurs, si le défaitisme avait été adopté sous la forme proposée par Shachtman à l’encontre de l’URSS, il aurait fallu revoir également le soutien critique apporté à l’Éthiopie à l’occasion de l’agression de l’impérialisme italien569. La

position adoptée par la majorité du SWP ne l’empêcha pas, cette précision est essentielle, de dénoncer certaines formes de répression politique menées par l’Armée rouge en Pologne, comme l’arrestation de Hurvich et Shifris, deux jeunes dirigeants du Bund :

« Involved in this case are not old line leaders of the “Bund” who made their peace with the government of the colonels, but two younger militants. Hurvitch and Shifris, the. two arrested “Bundists”, are in their early thirties. Both were active propagandists engaged in the day to day struggles of the workers. Hurvitch had been the leader of the joint fraction of Jewish, Polish and Byelo-Russian socialists in the City Council of Grodno. In the 566 Il faut remarques que, par rapport à la guerre soviéto-finlandaise, le menchevik Dan également

exprima une position défaitisme envers l’URSS dans le Sotsialistitcheskij Vestnik, nn° 19-20, novembre 1939, p. 43.

567 C. A. Smith, « Goodbye », Between Ourselves, février 1941.

568 « nationalization of means of property in the means of production, is extended to other territories

and no class conscious worker can raise any objection on that », A. Goldman, « Sovietization of the Baltic Step Forward », Socialist Appeal, a. IV, n° 29, 27-7-1940.

course of his activities, he was arrested time and again by the government of the colonels and spent a good part of the last few years under the republic in Colonel Beck’s jails. Now he has been sentenced to fifteen and Shifris to six years’ imprisonment by Stalin’s “liberators”.

Stalin cannot cover up this crime and the hundreds of others like it by pointing to the nationalization of the land in the occupied territories. Were Hurvitch and Shifris enemies of the expropriation of the landowners and of workers’ control in the factories ? Their years in jail are testimony to the contrary. To Stalin their crime lay in their opposition to his bureaucracy. We solidarize ourselves with these victims of the G.P.U. and with the many others who languish in Stalin’s jails for their working class convictions. Their liberation as well as the best defense of the Soviet Union demands a relentless struggle for the overthrow of the despots in the Kremlin »570.

La naissance du WP alimenta un âpre conflit au sein du trotskisme américain, se propageant avec une intensité variable dans les sections de l’internationale. Dans la conclusion de cette étude, nous examinerons sur quelles bases et avec quels résultats le WP cherchera, à la fin de la guerre, à réintégrer la QI. Pour le moment, il est nécessaire de décrire son orientation durant la période qui suivit immédiatement la scission.

Dans sa définition de la Third Camp policy, le WP partit du postulat que la guerre était une « direct continuation of the war of 1914-1918 »571, qualifiant ainsi sa nature d’impérialiste.

En revanche, la révision sur l’URSS ne fit que se renforcer. Comme le souligne le principal biographe de Shachtman, on ne trouve aucun soutien à l’URSS dans les publications du WP, pas même après l’agression nazie du mois de juin 1941572. Ce renforcement du

tournant de 1939-1940 suscita des résistances internes, par exemple dans la section de Los Angeles573, dans les milieux les plus proches de Shachtman. Cependant, le Political

Committee (PC, Bureau politique) du WP confirma avec intransigeance que la défense de l’URSS coïncidait avec la défense de la « bureaucracy’s dictatorial domination », en plus d’accélérer l’entrée en guerre des États-Unis et de renforcer la protection des intérêts britanniques en Iran et en Inde574. Dans le groupe dirigeant, le « shachtmanien »

Ernie Erber écrivit en revanche que le défensisme était logique575, sinon il aurait fallu

adhérer à la théorie du collectivisme bureaucratique de Joe Carter, pour lequel il ne s’agissait pas d’un système supérieur à celui capitaliste576. Shachtman revint sur ce

« défaitisme » conjoncturel dont l’avait accusé Trotsky mais les cas qui prévoyaient un soutien à l’URSS devenaient de moins en moins nombreux : dans la deuxième moitié de l’année 1941, Shachtman était prêt à adopter cette position uniquement en cas d’une guerre civile ouverte pour la restauration du capitalisme en URSS ou dans l’hypothèse improbable d’une victoire politique des conservateurs britanniques favorables à une paix avec Hitler afin de lui permettre d’écraser l’URSS577.

570 Paul G. Stevens, « In the World of Labor. Jewish “Bund” Leaders Arrested by Stalin in Poland »,

Socialist Appeal, a. IV, n° 5, 3-2-1940. Voir également « Victor Alter executed by Stalinists in Eastern Poland »,