• Aucun résultat trouvé

2.2 Qui étaient-ils ?

2.2.1 La conférence internationale de Paris (février 1938)

Lors de sa présentation de la conférence, le dirigeant de l’ILP Fenner Brockway rappela le contexte de crise du capitalisme mondial et mit l’accent sur la nécessité de renforcer et rendre plus homogène le BIUSR. Avec plus de clarté que par le passé, il affirma que l’IC avait abandonné le marxisme et était devenue réformiste, instrument de la bureaucratie stalinienne réactionnaire au pouvoir en URSS221. En somme, il coupa les derniers ponts qui

subsistaient avec l’IC. L’unité entre les deux principales internationales était explicitement refusée puisqu’elle n’aurait pu se concrétiser que sur une base réformiste. À l’exception de la « Déclaration des Quatre », il s’agissait de la première prise de position dans ce sens et non ambiguë de la part d’un représentant du socialisme de gauche222.

Dans le cadre d’une prise de distance de la politique de front populaire, critiqué comme forme de collaboration de classe, le BIUSR avançait ses conditions pour un regroupement révolutionnaire : refus du social-patriotisme en temps de paix comme en temps de guerre, soutien de la lutte des peuples opprimés dans les colonies et les semi-colonies, solidarité avec le POUM et défense de l’URSS contre une quelconque agression impérialiste au nom de ce qui restait des conquêtes d’Octobre. Sur ce dernier thème, le BIUSR abandonnait, dans le sillage des espoirs de transformation de l’IC, la perspective d’une réforme interne au système. Comme l’écrira plus tard Fenner Brockway dans ses mémoires, le BIUSR

221 Un an plus tôt, dans un exercice d'autocensure « John McGovern’s pamphlet ‘Terror in Spain’

referred to in Revolutionary History No. 2, p.40, Introduction, was withdrawn by the Independent Labour Party. This, too, is part of the hidden history of the Spanish Civil War. The Communist Party accused the ILP of helping Franco by the publication of anti-Communist propaganda. The ILP leadership disowned the pamphlet and withdrew it from official circulation. This action was defended by Fenner Brockway with pleas for working class unity. Brockway had previously explained to Harry Wicks that whilst the Moscow Trials were regrettable in the interests of working class unity, he could not lead a campaign against the murder of Lenin’s comrades. (Harry Wicks related this to Al Richardson in interviews on 11 March and 1 April 1978) », dans S. Bornstein, « ILP censorship », Revolutionary History, vol. I, n. 3, Porcupine, London 1988.

222 Voir A new hope for world socialism. The Resolutions adopted at the Revolutionary Socialist

Congress, Paris 19th-24th 1938, together with the Introductory speeches, BIUSR, London 1938, 54 pp. e,

commença à analyser les conflits en URSS comme le fruit d’une « contradiction entre les structures économiques et politiques en Russie. Basically the economic structure was potentially socialist; private capitalism had been abolished; a new generations had grown up taught to be conscious that they belonged to a Workers’ State ; the Communist Party officials at least had been trained in Marxism, with its emphasis in equality and workers freedom. But politically the State had never been an expression of workers’ democracy and was becoming less so. The power originally placed with the Soviets, representing workers on a wide basis, , had been transferred to the Communist Party, and control by the Party had become more and more control by a bureaucratic leadership »223. Ce

tournant, toujours selon Brockway, fut favorisé par de nombreux délégués qui insistèrent sur la démoralisation produite par les procès de Moscou. Toutefois, dans une sorte d’apaisement envers les organisations de l’IVKO, quelques jours après la fin de la conférence Jay Lovestone et les quatre députés de l’ILP écrivirent un appel à Staline en demandant de mettre un terme à la terreur224.

La conférence produisit un rapprochement entre le BIUSR et l’IVKO ; un rapprochement qui avait été impossible tant que les critiques par l’IVKO de l’évolution du régime interne en Union soviétique étaient restées dramatiquement faibles, c’est-à-dire jusqu’au procès de Moscou qui impliqua Nikolaï Boukharine en 1938. L’intérêt pour le rapprochement avec le BIUSR s’était développé en raison notamment d’une importante recomposition du mouvement ouvrier, c’est-à-dire la formation du POUM. Ce parti était né en 1935 de la fusion entre l’Izquierda Comunista de España (ICE, Gauche communiste d’Espagne), issue de la Ligue communiste internationale, et le Bloc Obrero y Camperol (BOC, Bloc ouvrier et paysan), d’une matrice similaire à l’IVKO. Ainsi, durant la guerre civile espagnole, des militants de l’IVKO, surtout allemands, intégrèrent les milices internationales du parti de Nin et Maurín aux côtés de Britanniques, de Français et d’Italiens membres de formations adhérentes au BIUSR.

La confluence des « communistes de droite » dans les structures du socialisme de gauche ne sera toutefois pas immédiate ni unanime. La diversité des parcours se fit sentir, surtout dans le jugement sur l’URSS et dans la tactique à adopter envers l’IC. Il n’avait pas échappé à l’ILP que les manœuvres des dirigeants allemands de l’IVKO étaient celles d’une fraction :

« In fact, until 1937 or 1938 they still placed all their hope in the Communist International : they regarded themselves as only temporary exiles from it. When they began to associate with our international committee they schemed to form groups inside the other parties to secure support for their policies. They sat at the table with the I.L.P. representatives in Paris, but in London and Manchester they had their representatives intriguing to split the Party »225.

Dans tous les cas, la fusion des deux courants, qui était souhaitée, n’aurait pas suffit en soi, selon Brockway, à former une nouvelle internationale226, dont la fondation aurait été

« artificielle » même dans ce cas-là. Un noyau promoteur plus solide aurait toutefois pu

223 F. Brockway, Inside the Left, cit., p. 260. 224 Ibidem, pp. 260-261.

225 Ibidem, pp. 287-288.

226 Cette position était partagée également par l’IVKO. Voir Bureau de l’OCI, « A propos de la

collaboration internationale des organisations révolutionnaires socialistes et communistes », § 3, dans Archivio Centrale di Stato (ACS), Roma, Ministero degli Interni (MI), Direzione Generale di Pubblica Sicurezza, OVRA, dossiers par sujet, « Bureau Internazionale per l’Unità Socialista Rivoluzionaria », 148.

étendre l’appel aux « éléments révolutionnaires de la Deuxième et de la Troisième Internationale » et aussi aux « fractions du mouvement anarcho-syndicaliste qui se rapprochaient du marxisme »227. Il existait donc la perspective que la nouvelle

internationale ne dût pas être homogène théoriquement. Cela, soit dit en passant, contribue à expliquer pourquoi la porte d’entrée fut maintenue fermée aux trotskistes, accusés par Brockway d’adopter des positions sectaires228. Le BIUSR se proclamait donc

partie de la future internationale mais en délimitait les contours de façon négative229.

Sur la lutte contre la guerre, le BIUSR dénonçait la campagne idéologique de la « guerre des démocraties » contre les dictatures fascistes et la subordination à ce cadre de l’IOS et de l’IC, engagées à suspendre la lutte des classes dans les pays du front « démocratique ». La politique des socialistes révolutionnaires, au contraire, s’opposait à tout préparatif de guerre, du réarmement aux campagnes idéologiques patriotiques, mais dénonçait au même temps les illusions pacifistes à propos de la SDN et de la politique de la « sécurité collective ».

Par rapport à l’URSS, le soutien en cas de guerre déclenchée par un gouvernement bourgeois était total : il incombait aux travailleurs du pays capitaliste en question d’aider l’Union soviétique « par tous les moyens en leur pouvoir »230.

D’autre part, la possibilité d’une attaque portée par l’Union soviétique contre un pays capitaliste ne fut pas examinée. Ce manquement sera payé par une hétérogénéité significative des positions présentes lors de l’invasion stalinienne de la Pologne et de la Finlande en 1939. Au contraire, la possibilité d’une alliance entre un État ouvrier (comme l’était caractérisée l’URSS dans les documents du BIUSR) et un État bourgeois fut examinée et acceptée, à condition que l’alliance fût temporaire, qu’elle affaiblisse la nation capitaliste impliquée et qu’elle ne limite pas la lutte des classes des travailleurs de ce même pays. Cependant, la déclinaison de ce principe enregistra des désaccords entre le rapporteur de la commission, l’Italien Alessandro Consani, aux accents fortement anti- soviétiques, et l’Allemand Michael Schwartz de l’IVKO, ex-combattant en Espagne, moins intransigeant pour séparer l’action de la diplomatie de l’URSS stalinienne de celle du prolétariat des pays capitalistes231.

D’autre part, l’action de l’IVKO, concernant justement l’analyse de l’État soviétique, chercha méthodiquement à créer une scission entre les socialistes de gauche et les trotskistes. Avec un amalgame en sauce stalinienne, les « communistes de droite » affirmèrent qu’il fallait « rejeter les tentatives bourgeoises, réformistes et trotskystes de nier le caractère prolétarien de l’État soviétique ou le caractère de l’économie socialiste »232. Poursuivant sur cette ligne, les partisans de Brandler définirent comme 227 Ibidem, p. 10. L'IVKO, en revanche, dans sa contribution sur l'Espagne - non soumise au vote - se

déclara hostile à cette perspective et consacra un paragraphe entier à la nécessité de s'opposer vigoureusement à l'idéologie anarchiste parmi les masses, une véritable « question de vie ou de mort pour la révolution prolétarienne et donc pour la victoire militaire sur le fascisme », Bureau de l’IVKO, « ESPAGNE (projet de résolution pour la Conférence Internationale de Paris – Février 1938) », § 6, dans ibidem.

228 Ibidem.

229 L’appel pour une nouvelle internationale, selon le BIUSR, devait être « formulé en termes

suffisamment généraux pour attirer toutes les organisations qui sont en faveur de la révolution prolétariennes », voir « RESOLUTION PROPOSEE PAR LE PARTI SOCIALISTE REVOLUTIONNAIRE, GRANDE BRETAGNE », § 2, dans ibidem.

230 « RESOLUTION SUR LA GUERRE », § 9, dans ibidem. La motion présentée par l’IVKO n’était pas

différente, voir Bureau de l’OCI, « SUR LE PROBLEME DE LA GUERRE », § 5, dans ibidem.

231 Voir ibidem, « Resolution n. 4 ».

nocives les conceptions du fondateur de l’Armée rouge et précisèrent que la lutte contre le régime personnel de Staline n’aurait pas dû impliquer la suspension de la bataille idéologique contre les idées du « véritable trotskysme » sommairement résumée, dans un mélange de références soignées et d’acceptations persistantes de clichés staliniens, dans les termes suivants : « 1) contre la négation du caractère socialiste de l’économie soviétique, 2) l’affirmation que le PC de l’URSS est mort en tant que parti prolétarien et n’est plus qu’un instrument de la bureaucratie, 3) le mot d’ordre de la légalisation des partis contre-révolutionnaires des mencheviks et des Socialistes-Révolutionnaires »233.

Cette contribution ne fut pas soumise aux votes mais clarifia le fait que l’IVKO n’admettait pas une simple dissolution dans le BIUSR.

En ce qui concerne la guerre sino-japonaise, la conférence approuva une motion rédigée et présentée par l’ILP en faveur de la résistance du peuple chinois contre l’agression impérialiste du Japon. La politique de l’IOS et de l’IC d’appel à la SDN et aux gouvernements capitalistes pour qu’ils appliquent des sanctions contre le Japon était jugée « fausse en principe et dangereuse en pratique ». Au contraire, le boycott économique du Japon et surtout, le refus de fabriquer puis d’envoyer des armes au pays du Soleil-Levant, devait découler d’une action indépendante de la classe laborieuse. En Grande-Bretagne, l’orientation s’était concrétisée dans la participation à la Hands off China Campaign et dans l’appel aux travailleurs organisés à refuser de fabriquer ou de livrer du matériel qui puisse aider l’effort de guerre du Japon. Will Ballantine, membre de l’ILP et de sa direction écossaise, avait réussi à convaincre la direction de la National Union of Railwaymen d’adopter ce point de vue et de s’engager dans une campagne au sein de la confédération. Tout en restant attentif aux principales forces politiques en présence, le BIUSR suggérait la plus grande méfiance vis à vis du Guomindang, instrument de la classe dominante chinoise, et critiquait la ligne du Parti communiste chinois « qui s’identifie complètement avec le Gouvernement National Chinois et répudie ses revendications en faveur des ouvriers et paysans chinois ainsi que ses buts socialistes »234. Cette position

avait été soutenue dès l’éclatement du conflit. À l’été 1937, l’Avanti! maximaliste, à l’image de l’ensemble de la presse du BIUSR, avait été catégorique en analysant l’intervention du Japon comme impérialiste et à des fins d’extermination, tandis que l’évaluation changeait si l’on se plaçait du point de vue de la Chine :

« Nous, socialistes, ne pouvons pas mettre la guerre du Japon au même niveau que la guerre chinoise. La Chine est un pays arriéré dont l'économie est essentiellement semi- féodale, même si de nombreux éléments de l'économie capitaliste s'y greffent. [...] Les masses chinoises sont doublement exploitées : par les maîtres internes et par l'impérialisme mondial. Par conséquent, la haine chinoise contre les blancs et les Japonais ne signifie rien d'autre que l'expression du droit légitime de se libérer de l'exploitation de l'impérialisme mondial, qui a tout intérêt à maintenir la Chine comme une colonie arriérée. La guerre du peuple chinois contre le Japon prend donc le caractère d'une guerre de

233 Ibidem, § 4, dans ibidem.

234 « RESOLUTION SUR LA GUERRE DU JAPON CONTRE LA CHINE », dans ibidem. L'IVKO avait proposé

un texte plus large sur la question coloniale qui, en ce qui concerne la guerre sino-japonaise, se situait sur le même terrain politique que le BIUSR. Voir Bureau de l’IVKO, « SUR LA QUESTION COLONIALE (projet de résolution pour la conférence internationale de Paris – Février 1938) », § 4 et 6, dans ibidem.

libération nationale, qui doit recevoir l'approbation et la solidarité du prolétariat et des socialistes »235.

Durant les mois qui suivirent la conférence de Paris, l’expulsion de la GR de la SFIO fut le changement le plus important dans le monde socialiste. La naissance du nouveau parti, le PSOP, enregistra quelques défections et la formation ne dépassera jamais les 10 000 adhérents236. Toutefois, le nouveau parti comptait sur une base militante de

quelques milliers de personnes, surtout prolétaire, qui avait mûri politiquement durant le recul du Front populaire. Le PSOP sera, durant les deux années suivantes, la colonne du FOI, aussi bien du point de vue de la théorie que de l’organisation, notamment pour la présence à Paris de cinq groupes d’exilés politiques adhérents au regroupement.

Dans la projection publique, le nouveau cadre fournissait au groupe dirigeant une totale liberté de parole. La promesse de s’opposer par tous les moyens à l’éclatement de la guerre impérialiste figura dès l’édition spéciale de Juin 36, hebdomadaire du PSOP, consacrée à la naissance de la nouvelle formation237. Pivert ne fut pas avare d’articles sur

le problème de la guerre et plaça dans la ligne de tir les convulsions de son vieux parti. Dans un éditorial qui rendait compte du conflit entre Léon Blum et Pierre-Étienne Flandin, homme politique favorable aux accords de Munich, Pivert contesta l’obligation de se ranger du côté d’une défense de la paix comprenant la soumission aux fascistes ou bien d’une défense de la liberté impliquant la préparation de la guerre238. Il ne fallait pas choisir

entre l’une ou l’autre, admonestait Pivert. L’intensification du conflit de classe était la voie à suivre pour éviter la guerre. Il fallait un nouveau « Juin 36 », un sursaut du mouvement ouvrier.

Le PSOP revint fréquemment sur le problème de la guerre239. L’orientation du parti dans

l’éventualité où la guerre eût éclaté resta toutefois en sourdine lors de sa fondation. Le PSOP était traversé par un fort courant pacifiste intégral qui s’interdisait d’examiner une telle hypothèse, comme si cela affaiblissait la lutte pour la paix. À la fondation du parti, Pivert fit en sorte de maintenir soudés les courants en faisant référence, de façon suffisamment générique pour ne pousser personne à entrer dans une opposition ouverte, à la motion contre la guerre approuvée lors du congrès socialiste de Stuttgart de 1907240.

Mais cela suffira-t-il ?

235 « Noi socialisti non possiamo mettere sullo stesso piano la guerra del Giappone e la guerra cinese.

La Cina è una nazione arretrata con una economia a carattere prevalentemente semifeudale, anche se in essa sono innestati molti elementi di economia capitalista. […] Le masse cinesi sono doppiamente sfruttate: dai padroni interni e dall’imperialismo mondiale. Per conseguenza l’odio cinese contro i bianchi e contro i giapponesi non significa altro che l’espressione del diritto legittimo di liberarsi dallo sfruttamento dell’imperialismo mondiale, il quale ha tutto l’interesse a mantenere la Cina allo stato arretrato di colonia. La guerra del popolo cinese contro il Giappone assume perciò il carattere di una guerra di liberazione nazionale, che deve riscuotere l’approvazione e la solidarietà del proletariato e dei socialisti », Effe, « Tempesta sulla Cina », l’Avanti!, a. XLII, n. 16, deuxième série, 5-9-1937.

236 Autour de Maurice Deixonne, dirigeant de premier plan de la GR hostile à la scission, se cristallisa un

courant qui déclara vouloir continuer la bataille de gauche dans la « maison-mère ». La direction de la SFIO en fut satisfaite.

237 « Le socialisme continue », JUIN 36, n° 12, 11-6-1938. 238 M. Pivert, « Editorial », JUIN 36, n° 13, 17-6-1938. 239 Voir L. Hérard, « Sur la guerre », JUIN 36, n° 19, 5-8-1938. 240 M. Pivert, « Le PSOP devant la guerre », JUIN 36, n° 15, 1-7-1938.