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3.1 La continuité avec Lénine : des thèses de 1934 au manifeste de 1940

3.2.1 Les « compagnons de route »

A la veille de l’éclatement de la guerre mondiale, les trotskistes avaient acquis un certain nombre de « compagnons de route » dans les cercles intellectuels. Surtout, ce fut le cas parmi les surréalistes français et dans le comité de rédaction de la revue américaine

534 J.-J. Marie, Le trotskysme et les trotskystes, Armand Colin, Paris 2002, p. 85. 535 « A Letter from Ulster », Fourth International, n° 4, avril 1943.

536 Voir Hansard Parliamentary Collection, « Periodical, Socialist Appeal », vol. 382, 22-7-1942, column

55 et 23-7-1942, columns 161-162.

Partisan Review, refondée en 1937 suite à la rupture d’un secteur intellectuel avec le CPUSA.

Wald rappelle que « Historically, the phrase “New York intellectuals” was episodically used to refer to nonparty Trotskyist sympathizers and allies during the 1930s and early 1940s »538. Ce milieu en voie de radicalisation depuis le début des années 1930 avaient été

le lien avec le trotskisme pour Felix Morrow et George Novack, jeunes intellectuels qui allaient devenir des cadres du SWP. Pendant cette décennie un autre futur cadre du SWP, Sherry Mangan, fut en même temps poète, écrivain d’avant-garde et éditeur. Entre autres, il contribua à la publication de textes du poète Harry Roskolenko et du philosophe et critique littéraire Philip Wheelwright, à cette époque « compagnons de route » des trotskistes.

Dans les cercles autour de la Partisan Review de William Phillip et Philip Rahv, d’autres « compagnons de route » de premier plan furent le journaliste et ancien directeur du Menorah Journal, Herbert Solow, l’historien de l’art Meyer Schapiro et le critique littéraire Lionel Mordechai Triller. Certains d’entre eux, dont Solow, avaient été « compagnons de route » du parti communiste.

Cherchant à expliquer ce phénomène très particulier, Wald écrit que

« The relative weakness of working-class political traditions and organizations in the United States helped account for the fact that so many of the most advanced and independent- minded intellectuals gave serious considerations to the minuscule and isolated Trotskyist organization »539.

Le CPUSA, d’autre part, n’avait pas sous-estimé la question. V. J. Jerome, responsable culturel du parti, écrivit que les rédacteurs de la Partisan Review étaient « of the same ilk that murdered Kirov, that turned the guns on the backs of Loyalist civilians in Spain and betrayed the army’s front lines, that have been caught red-handed in plots with the Gestapo and Japanese militarists to dismember Soviet Union »540.

Cette relation entre la QI et les intellectuels avait été nourrie par une large participation au comité d’enquête présidé par le philosophe John Dewey sur les procès de Moscou et également par l’appréciation de la finesse des écrits de Trotsky sur la littérature.

La visite d’André Breton à Trotsky au Mexique en mai 1938 fut une étincelle ultérieure. Les deux hommes y avaient décidé de rédiger un manifeste « pour revendiquer la liberté absolue de l’art face à la menace d’un enregistrement totalitaire – bourgeois ou stalinien – de la création artistique »541. Le texte final, « Pour un art révolutionnaire indépendant »,

fut signé par le peintre Diego Rivera aussi, quoi qu’il n’y contribua pas, et fut la base idéologique pour la constitution de la Fédération Internationale de l’Art Révolutionnaire Indépendant (FIARI).

Ce projet eut un certain écho surtout en France, où le manifeste fut signé, entre autres, par Yves Allegret, Michel Collinet, Jean Giono, Maurice Heine, Pierre Mabille, Marcel Martinet, André Masson, Henry Poulaille, Gérard Rosenthal et Maurice Wullens. Selon Breton, la parution d’un bulletin de la FIARI aurait permis « d’établir une discrimination très précise entre ceux qui se rallient à la position du manifeste de Mexico et ceux qui, à

538 Alan M. Wald, The New York intellectuals : the rise and decline of the anti-Stalinist left from the

1930s to the 1980s, cit., p. 11.

539 Alan M. Wald, The New York intellectuals : the rise and decline of the anti-Stalinist left from the

1930s to the 1980s, cit., p. 94.

540 V. J. Jerome, « No Quarter to Trotskyists-Literary or Othewise », Daily Worker, 19-10-1937.

541 P. Casciola, « Présentation » à Clé. Bulletin mensuel de la FIARI (Fédération Internationale de l’Art

des fins le plus souvent opportunistes, cherchent à biaiser avec lui »542, comme dans les

cas de Gaston Bachelard ou d’André Gide. André Thirion raconte ainsi l’état d’esprit de Breton : « Peu après son retour de Mexique, Breton tint à me parler de la création de la F.I.A.R.I. J’avais donné mon adhésion, mais je ne voulais pas aller plus loin. Après le premier feu, Breton me dit qu’il ne se sentait pas fait pour les tâches d’organisation que représentait une telle entreprise, mais qu’il savait, en revanche, qu’elle étaient dans mes moyens »543.

Le premier bulletin de la section française de la FIARI, Clé, parut en janvier 1939 mais la revue n’alla pas au-delà du deuxième numéro. Parmi les collaborateurs de Clé figurent Victor Serge, Bénjamin Péret, Maurice Nadeau, Léo Malet, Magdaleine Paz, Sylvain Itkine etc. De l’autre coté de l’Atlantique, le 2 mars du 1939, à l’initiative de la Partisan Review une trentaine d’artistes et d’écrivains formèrent la League for Cultural Freedom and Socialism, solidaire avec le manifeste de Breton et Trotsky.

A l’avis de Maurice Nadeau, la FIARI ne réussit pas à se consolider en raison de l’absence d’unité réelle entre ses promoteurs :

« des discussions internes au groupe surréaliste (exclusion de Georges Hugnet en raison de son amitié avec Eluard qui avait rompu avec le groupe pour se rapprocher des communistes) furent malheureusement transportées dans la FIARI. D’autre part les "prolétariens", comme Marcel Martine et Henry Poulaille, décèlent une emprise trop grande des surréalistes sur l’organisation. Au lieu de contrebalancer par un apport équivalent, ils s’enferment dans leurs positions. Tentative intéressante de regroupement sur le plan révolutionnaires des artistes indépendants, la FIARI entre en déliquescence avant même d’avoir commencé sa tâche »544.

Malgré le coup d’arrêt de la FIARI et la rupture de janvier 1939 entre Trotsky et Rivera, la QI n’était donc pas coupée d’un secteur minoritaire mais significatif du monde intellectuel.