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Le tournant épidémiologique et l'administration de la santé dans une « réserve de travail »: le Bechuanaland des années

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À partir de la fin des années 1860 avec la découverte de diamants à Kimberley dans l’ouest de l’Afrique du Sud47 puis plus tard l’or dans le Witwatersrand (région de Johannesburg) se mit en place

un système très contrôlé de travail migrant profitant à l'impérialisme britannique. Le capital minier permit l'industrialisation de l'Afrique du Sud et reposa sur la main d'œuvre des colonies et territoires voisins. Les mauvaises conditions économiques entraînèrent de plus en plus d'hommes vers ces migrations de travail. Comme le décrit J. Iliffe (1987) dans l'Afrique coloniale rurale, ce sont des crises écologiques et la pauvreté qui ont poussé les hommes vers le travail industriel à des fins de survie. Ce double phénomène d’industrialisation et de paupérisation bouleversa l'économie politique de la région et affecta la santé des populations. La crise économique et les transformations de l'économie politique en Afrique du Sud entraînèrent de profonds changements épidémiologiques au premier rang desquels la propagation de la tuberculose (Packard 1989), l'importance prise par les handicaps (Livingston 2005) et d'autres conséquences sur le plan démographique, économique et politique (liées en particulier à l'absence des hommes) déstabilisatrices pour ces sociétés d'émigration, désormais nommées « labour reserve » ou « réserve de main d’œuvre ».

Au Nord-Ouest de Johannesburg, la fin des années 1920 et la première moitié de la décennie 1930 ont été marquées par une crise économique due à plusieurs années de sécheresse. Le bétail fut touché par la fièvre aphteuse ravivant les souvenirs de la désastreuse épizootie de 1898. Le Bechuanaland, qui exportait des surplus de céréales devint dépendant envers des importations qui ont du être acquittées par le travail salarié48. De plus, un système de taxation plus contraignant fut

mis en place par l'administration à la même période, ce qui contraignait les hommes à se proposer pour le travail dans les mines49. Les hommes travaillaient déjà dans les mines depuis plusieurs

décennies mais dans des proportions moindres que ceux venant d'autres colonies comme le

47 Actuelle capitale de la province du Cap Nord (Northern Cape Province) à l’Ouest de l’Afrique du Sud. 48 Voir le Rapport Pim sur la situation économique dans le Protectorat du Bechuanaland en 1933.

49 D'autres facteurs expliquent l'accélération de l'émigration de travail dans les mines d'Afrique du Sud

(l'attrait du travail en Afrique du Sud, salariat, émancipation, consommation de biens matériels, Livingston, 2006 : 113-115).

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Mozambique, le Basutoland et le Nyassaland. La crise économique que connaissait le protectorat à la fin des années 1920 accru significativement l'échelle du travail dans les mines. En 1930 il y avait 3151 mineurs venant du Bechuanaland dans les mines sud-africaines ; en 1960 ceux-ci étaient 21.404. D'après I. Schapera (1984), entre 1938 et 1940, plus de 40% des hommes dans la région Sud-Est du pays étaient partis travailler ailleurs et près de 59% en 1942 (un effectif probablement encore plus élevé en raison de la seconde guerre mondiale)50.

A partir du début du 20è siècle et face à cette situation économique et sociale tourmentée, trois séries de développements ont contribué à la construction des services de santé au Bechuanaland. Tout d’abord le besoin croissant de travailleurs et la nécessité de leur faire passer un examen médical exigé par les compagnies minières en Afrique du Sud. Ensuite, la compétition entre différentes dénominations chrétiennes afin d’offrir des services de santé. Enfin, une requête volontariste de la part des dikgosi Tswana auprès de l’administration britannique pour la fourniture de services de santé et de médecins pour prendre en charge les affections d'une population exposée de plus en plus aux maladies infectieuses comme la tuberculose ou la syphilis.

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Avant d'être envoyés dans les mines, les hommes étaient soumis à des examens physiques qui étaient requis par les compagnies de recrutement (Native Recrutement Companies) présentes dans les « réserves de main d’œuvre » (Parson 1984). Ces examens médicaux qui étaient effectués dans le protectorat par les médecins de l'administration ainsi que par des missionnaires qui jugeaient de leur aptitude au travail (fitness). Ces examens ont contribué à la pénétration de la médecine occidentale et à la normalisation des examens médicaux. Les résultats de ces examens avaient également des conséquences économiques et sociales. Les hommes déclarés « unfit » trouvaient du travail dans les fermes tenues par les blancs où le travail était moins bien rémunéré ou dans les élevages de bétail, ce qui était encore moins avantageux. Le fait d'être rejeté pour le travail minier (trop jeune, trop vieux ou malade, handicapé) n'entraînait pas une exemption de la taxation coloniale (bien que des exemptions fussent parfois octroyées) ce qui a accéléré la paupérisation et les tensions sociales. L'expansion du travail minier a eu bien d'autres conséquences dans l'organisation sociale du Protectorat du Bechuanaland. Il devint un marqueur de la maturité physique masculine et du passage à l'âge adulte, qui commença à remplacer les cérémonies d'initiation bogwera pour les jeunes hommes51.

Jusqu’aux années 1910-1920 les autorités britanniques étaient réticentes à développer les services médicaux dans le Protectorat. Le Colonial Office estimait que le Bechuanaland lui coûtait trop et ne consentit à fournir des services médicaux qu’en échange d’une contribution de la population locale (fiscalité coloniale). Tant que les dikgosi Tswana refusaient d’accéder à cette condition, les populations africaines étaient exclues des services médicaux réservés à l'administration britannique, à

50 Ce phénomène perdure bien au-delà de l'indépendance (rapport de l’USAID en 1975 qui fournit des

estimations aux alentours de 25% à 30% des hommes absents d'après le Census 1971).

51 Ces cérémonies d'initiation Bogwera pour les garçons, Bojale pour les filles (Schapera 1933) furent

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Mafeking (où se trouvait un effectif de police, l’administration du Protectorat s’effectuait depuis Pretoria). Les chefs acceptèrent le paiement de taxes en 1891.

En 1892, un hôpital de police fut construit à Gaberones52 pour lutter notamment contre le

paludisme endémique dans cette zone et pour traiter les employés de l’administration. Les efforts consentis par l'administration britannique ne concernaient que la préservation des intérêts européens: le développement industriel et minier et la santé des Européens (avec des services établis à proximité de leurs lieux de résidence: Mafeking, Lobatse, Gaberones). L'administration, en toutes choses, privilégiait la méthode du gouvernement indirect (indirect rule) en déléguant aux chefs locaux un pouvoir d’administration de la population. Pour les services de santé, le gouvernement tenta d'encourager la pratique privée mais les chefs refusèrent en opposant le coût trop élevé d'une telle option et continuèrent à demander des services « publics » de santé.

L'expansion de la biomédecine au Bechuanaland se poursuivit en raison de la demande croissante d'examens médicaux pour le travail dans les mines d'Afrique du Sud. Deux autres dynamiques politiques expliquent l'augmentation des services médicaux et du nombre d'hôpitaux dans le protectorat pendant la décennie 1930. La première est liée à l'augmentation du nombre de missions chrétiennes offrant des services médicaux et de la compétition qui s'est nouée entre elles ; la seconde, est le résultat d'une quête volontariste de la part des dikgosi d'obtenir des services de santé de la part de l'administration britannique.

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Les missionnaires envoyés par la LMS furent les premiers à pratiquer la médecine dans le cadre de leur entreprise de « missionnary healing » parmi les Bangwato, Bangwaketse, Bakwena et autres merafe Tswana. Ils furent imités dans cette entreprise par d’autres missionnaires, dans le courant des années 1920 puis 1930, avec l’arrivée de corps missionnaires qui proposaient des services de médecine occidentale. L’arrivée des Adventistes du 7ème jour (Seventh Day Adventists ou

SDA) en 1922 à Kanye provoqua une « compétition évangélique » avec une augmentation qualitative et quantitative de l'offre médicale par les missions. La LMS protesta contre l'arrivée de la SDA et demanda à l’administration et au régent des Bangwaketse de leur refuser le permis de travail comme missionnaire et de ne l'autoriser seulement comme médecin et que le régent accepta. La SDA menaça de retirer son médecin si celui-ci n’était pas aussi autorisé à faire un travail évangélique. Le régent accepta et informa l’administration que « la population est en tel besoin d'un médecin européen que nous avons révoqué notre premier accord et autorisons les Adventistes à établir leur église à cet endroit »53. Le soin médical se présentait comme un bien recherché, échangé et au prix duquel des

concessions politiques importantes étaient opérées, au risque d'une érosion du pouvoir des chefs. L’exemple de la SDA montre que les chefs étaient prêts à accueillir toutes les bonnes volontés du

52 Ancien nom de l'actuelle capitale qui à cette époque n'était qu'une station gouvernementale, son nom

dérive du nom du Kgosi Gaborone des BaTlokwa.

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moment que ces nouveaux acteurs se montraient disposés à améliorer la santé des populations. Les missions sont entrées en concurrence, par l’offre de services médicaux, pour garder leurs convertis (Musinghe, 1984: 318). Dans cette course, les missions équipaient leurs stations médicales avec un personnel de santé qualifié. En 1925, une infirmière européenne était envoyée à Molepolole (à 45 km de Gaborone) par la LMS (Miss Violet Taylor) puis en mars 1931, Dr Peter M. Sheperd prit son poste de médecin à Molepolole. Le Principal medical officer A. M. Chirgwin s’en félicita et le

medical officer de Gaborone effectua de moins en moins de visites dans la région. La LMS et la UFCS

unirent finalement leurs efforts pour construire un hôpital sur un terrain cédé par le merafe Bakwena : le Scottish Livingstone Hospital, doté de 20 lits fut officiellement ouvert le 3 septembre 1934 par l'administrateur britannique Sir C. Rey.

A Mochudi, à 35 km de Gaborone, la Dutch Reformed Church (DRC), qui procurait des médicaments de façon officieuse, informa l’Administration de sa volonté d’établir un petit hôpital. Le premier médecin de la DRC fut nommé en 1927 parmi les Bakgatla. En 1930 fut construit le premier hôpital à Lobatse par le Comte de Athlone. Commencé en 1928, le Sekgoma Memorial Hospital fut ouvert à Serowe en 1931. Chacun de ces hôpitaux avait 24 lits pour Africains et 5 pour Européens. En 1933 les catholiques romains érigèrent une clinique à Kgale et les luthériens une clinique à Ramotswa. Le Rapport Pim, sur la situation économique et financière du Protectorat54, critiqua

cependant le fait que le gouvernement ait laissé les services médicaux se concentrer dans la partie Est du protectorat, tandis que les régions les plus éloignées comme le Kalahari demeuraient dépourvues de services de santé. À la suite du Rapport Pim des dispensaires mobiles ont été introduits à partir de 1936, le premier basé à Lobaste et le second à Francistown (Molefi, 1996:22).

Le gouvernement continua d’organiser le Protectorat à distance et de répartir le travail médical des missionnaires sur lesquels la Grande-Bretagne s’appuyait pour la gestion de la santé des populations. L'administration britannique profitait de la compétition entre les missions chrétiennes tout en effectuant un contrôle. Lorsqu’en 1934 la SDA et la LMS proposèrent de construire un hôpital à Rakops et un au Ngamiland respectivement, l’administration tenta de dissuader la LMS de s’implanter à Maun en arguant du fait que Tshekedi Khama étant affilié à la LMS il ne laisserait pas une autre mission s’installer parmi les Bangwato.

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