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L’institutionnalisation de la lutte contre le sida

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La période d’institutionnalisation de la lutte contre le sida correspond aux mesures engagées par le gouvernement, en coopération avec les organisations comme l’OMS puis l’ONUSIDA, afin d’adapter sa politique de santé à cette nouvelle épidémie, puis à procurer des soins aux malades. En période d’impuissance thérapeutique, l’institutionnalisation comprit en premier lieu des mesures de contrôle de la diffusion du virus (sécurisation des transfusions en particulier) ; l’adoption d’une approche multisectorielle puis la mobilisation communautaire et les soins à domicile.

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La première initiative gouvernementale d'envergure face à l'épidémie de sida date de 1986- 1987, lorsque la première campagne nationale d'information sur le VIH/sida est lancée dans l'ensemble du pays97 dans le cadre du Premier Plan à court terme (Short Term Plan ou STP) pour la

97 Voir à se sujet l'article de Bénédicte Ingstad (1990), qui a été une observatrice privilégiée de cette

campagne en 1989 et a écrit les premières analyses (enquêtes de terrain) sur les interprétations locales de la maladie, en particulier parmi les guérisseurs traditionnels.

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période 1987-1988. Cette première réponse, considérée comme "minimale" (dans les projets suivants) fut placée sous la direction de l'Unité épidémiologique du ministère de la Santé. C'est à ce moment que l'OMS a apporté son assistance (sur demande du gouvernement) pour développer le Programme National de Contrôle du sida (National AIDS Control Program) en 1987. Le plan établi par le NACP se limitait à l'examen du sang et des produits sanguins et la fourniture de seringues jetables par les services nationaux de santé. Ces actions ont été jugées sinon inefficaces du moins insuffisantes au regard de la rapidité de la propagation de l'épidémie, déjà sensible au début des années 1990.

Le Premier Plan de Moyen Terme (MTP I) adopté pour la période 1989-1993 vise à renforcer la surveillance épidémiologique et la gestion du diagnostic et des mesures de contrôle ainsi qu'à prévenir plus activement la transmission sexuelle du VIH. En 1992 plusieurs structures importantes sont mises en place pour faciliter une surveillance accrue de la progression de l'épidémie : au niveau institutionnel, l'unité SIDA/MST au sein du ministère de la Santé (AIDS/STD Unit) et à un niveau plus technique : le rapport automatique des nouveaux cas de VIH/sida détectés ("routine reporting") permit d'établir des statistiques jugées fiables. C'est le principe qui va guider aussi la mise en œuvre de la surveillance "sentinelle" (femmes enceintes) en 1992 également98.

La vigilance des premières années correspondait à la mise en conformité avec les normes internationales. Ce mouvement s'est accompli aisément car le Botswana disposait d'infrastructures sanitaires suffisantes pour gérer ces changements (accueil des patients mais aussi rapport des nouveaux cas et détection du virus parmi les femmes enceintes). L'évaluation du MTP I et la progression alarmante des taux de séroprévalence conduit cependant les responsables politiques à engager une révision et une expansion de la politique de lutte contre le sida. La première "Politique Nationale sur le sida" (National AIDS Policy)99 adoptée par directive présidentielle a été le premier pas

vers une approche de l'épidémie de sida qui ne soit plus le fait d'actions médicales et sanitaires localisées.

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Le VIH/sida fut pris en charge par le ministère de la Santé, mais d'autres secteurs furent appelés à prendre en charge différents aspects de la lutte contre le sida100 conduisant à l’adoption de

l'approche multisectorielle, telle que préconisée par les organisations internationales, concomitante avec la naissance d'ONUSIDA en 1996. Dès 1997 en effet, le VIH/sida est qualifié de "menace majeure au développement économique et social du pays, menace envers les accomplissements du passé dans ces domaines" lors d’une conférence qui se tient à Gaborone101. Le Second Plan à Moyen

Terme (MPT II, 1997-2002) reposait sur cette évaluation de l'ensemble des conséquences du

98 BIDPA, 2004, p. 10.

99 Pour plus de détails voir « AIDS update », december 1993. 100 Botswana Medium Term Plan II, 1997-2002, p. 25-26.

101 Mulwa, J., "Overview of HIV/AIDS in Botswana", National Conference on HIV/AIDS in Botswana, ministère

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VIH/sida, au moment où les médicaments antirétroviraux devenaient accessibles dans les pays du Nord.

L’approche mutisectorielle est entérinée en 1998102 avec la révision de la première "Politique

Nationale sur le VIH/sida" formulée en 1992103. Ce document d'orientation politique guide l'action

publique dans le domaine du VIH/sida et décrit le rôle respectif de chacun des acteurs dans le cadre de la réponse nationale. Le Bureau du Président se voyait conférer la responsabilité de « leadership politique » pour s’assurer que tous les secteurs soient mobilisés : tous les ministères, le département de l’information et de la communication, les entreprises privées, les ONG et associations communautaires. Cette nouvelle approche multisectorielle était également soutenue au plus haut niveau avec la création du National AIDS Council (NAC), chargé de conseiller le gouvernement sur les questions liées à la politique nationale contre le sida. Le Conseil se réunit périodiquement pour débattre des grandes orientations de la politique publique. Il est dirigé par le président de la République et composé des ministres concernés ainsi que des représentants du milieu économique et associatif.

En tous points, le gouvernement et ses institutions se conformaient aux recommandations de l’OMS et son Global Program on AIDS (GPA) puis celles de l’ONUSIDA. La création en 1999, de l’agence de coordination (National AIDS Coordinating Agency, NACA) est une autre étape de la mise en conformité de la lutte contre le sida avec les normes internationales. Alors que les États africains n’ont pas encore accès aux médicaments, en revanche, ils ont engagé dans un processus de bureaucratisation de la lutte contre le sida depuis le début de la décennie 1990. L’organisation de la lutte contre le sida autour de Programmes nationaux de lutte contre le sida (PNLS) est caractérisée plutôt par l’adaptation des bureaucraties aux recommandations internationales. La progression du sida exigea cependant une adaptation du système de santé notamment pour les soins à domicile.

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L’approche multisectorielle renforça le rôle des institutions locales dans la lutte contre le sida. Le MTP II créé des Comités multisectoriels de District (DMSAC), qui dépendent du ministère du gouvernement local (MLG qui est aussi responsable de toutes les structures sanitaires hors hôpitaux). L’échelon local est aussi mobilisé pour contribuer aux programmes de soins à domicile qui sont mis en place à partir de 1996. Le concept de Home Base Care est étudié dès 1992 alors que le système public hospitalier peine à répondre à toutes les demandes de soin en lien avec les infections VIH. Après une étude pilote réalisée en 1995 à Tutume et à Molepolole, la politique de Home Base Care est adoptée, financée par le ministère du Gouvernement Local. Le ministère de la santé mis tôt en œuvre un programme de prise en charge des orphelins dont l'un ou les deux parents sont décédés à cause du sida. L'épidémie de sida à la fin des années 1990 a contraint l'État à s'engager dans des programmes coûteux qui reposaient sur la mobilisation communautaire et le volontariat.

102 Source: Revised Botswana National Policy on HIV/AIDS; AIDS/STD Unit 1998, ministry of Health.

103 Botswana National Policy on HIV/AIDS, approuvée et adoptée par le gouvernement par directive

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Le réseau associatif se trouva en première ligne de la réponse face au sida pour apporter des solutions aux multiples problèmes qui se posaient aux malades du sida. Des associations sont créées au début des années 1990 comme BONEPWA104 réseau Botswanais de personnes vivant avec le VIH,

BONASO105, réseau botswanais d’associations de lutte contre le sida et BONELA réseau de personnes

et de collectifs sur les enjeux éthiques et juridiques106. Ce tissu associatif rencontra deux principaux

problèmes.

Le premier était d’ordre financier. BONEPWA par exemple, fondée en 1995, n’a été opérationnelle qu’en octobre 2000 et ne fonctionne qu’avec des subventions gouvernementales ce qui affaiblit sa capacité critique. Ces associations ont très peu de ressources. En raison des résultats économiques enregistrés par le pays dans les années 1980, la plupart des bailleurs de fonds se sont retirés et les ONG locales n'ont plus bénéficié (ou en faible quantité) de financements de la part des bailleurs.

Le second problème concerne l’absence de mécanisme solide de coordination et de dialogue avec le gouvernement. Les associations se sont historiquement peu développées comme contre poids aux institutions gouvernementales (« société civile »). Les universitaires au Botswana ne s'entendent pas sur cette question. Tandis que pour J. Holm et P. Molutsi (1990), la faiblesse de la société civile est la principale limite au modèle botswanais, pour B. Tsie (1996), il faut revoir cette affirmation car dans de nombreux domaines les communautés savent faire entendre leur voix, notamment dans le cadre d'une pratique du consensus et de la concertation qui ne valorise pas le conflit mais peut engendrer des avancées (syndicats, associations de femmes).

Au milieu des années 1990, les soignants n’avaient aucun moyen pour traiter les malades du sida en dehors des soins palliatifs. Les hôpitaux commencèrent à être débordés. Au moment où les médicaments antirétroviraux devenaient disponibles dans les pays occidentaux, les pays africains assistaient au dépérissement progressif de l’ensemble des structures sociales et économiques. L’évaluation des conséquences de l’épidémie sur les secteurs (sanitaire, éducatif, économique) par des instituts et organismes internationaux fut d’autant plus cruelle qu'elles se multipliaient au moment où les médicaments étaient disponibles au Nord (à partir de 1996). Comment réagit, dans ce contexte, un gouvernement à qui l'on prédit la chute de l'espérance de vie, la perte des « gains de développement » voire sa « disparition de la carte » ? L’évaluation de l’impact du sida dans l’industrie minière et dans le secteur de l’éducation va entraîner la mise sur l’agenda d'un traitement politique du sida.

Comme dans la plupart des pays africains, la lutte contre le sida fait l’objet d’une mise en conformité institutionnelle, avec une approche multisectorielle et une agence de coordination. Le sida n’entre cependant pas dans l’espace public et ne fait pas l’objet d’une politisation (Fassin 1994; Gruénais et al. 1999), qui a défaut de se faire par le haut se ferait par le bas, portée par des

104 Botswana Network of People Living with HIV/AIDS. 105 Botswana Network of HIV/AIDS Associations. 106 Botswana Network of Ethics, Law and HIV/AIDS.

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associations (comme ce fut par exemple le cas en Ouganda avec la TASO (The AIDS Support

Organisation) créée tôt, en 1987 et qui contribua à une mobilisation communautaire intense.

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