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L’étude Hope, un tournant dans l'accès aux AR

Dans le document en fr (Page 173-175)

Après avoir commencé un « projet pilote » sur l'étude de la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant (étude « Milk »), suivant de peu la mise à disposition d’AZT pour les femmes enceintes par le gouvernement botswanais (programme PTME, à partir de 1998-1999), les chercheurs de Harvard présents à Gaborone s'apprêtaient à commencer un essai comparant différents régimes d'antirétroviraux. Dans le courant de l’année 2001, ce projet de recherche clinique – que je surnomme Hope229 – supervisé par Harvard avec un financement de Bristol-Myers Squibb devait démarrer tandis

que le programme d’accès aux ARV était encore en cours de pré-élaboration. Cette étude clinique avait pour objectif de surveiller les résistances et la tolérance à différents régimes associant des inhibiteurs de protéase ainsi qu’à comparer deux régimes d’observance aux ARV230. Le délai important dans la

229 J’ai changé le nom de l’étude. Toutes les études cliniques menées par Harvard au Botswana portent

toutes un nom setswana ayant une signification.

230 Les six combinaisons antirétrovirales testées dans le cadre de Hope (Traitement ARV et résistance parmi

les adultes) sont (A) AZT – 3TC – NVP ; (B) AZT – 3TC – EFV ; (C) AZT – DDI – NVP ; (D) AZT – DDI – EFV – E) D4T – 3TC – NVP ; (F) D4T – 3TC – EFV ainsi que deux stratégies d’observance dont le “standard of care” (SOC) et la stratégie SOC plus stratégie d’observance directe à base communautaire ou familial (COM-DOT). Cette étude financée par BMS est l’un des « grants » les plus importants de Secure the Future (17.000.000 $). Voir http://www.securethefuture.com/our_experience/funding/grant_recipients.shtml

Chapitre 4 – Recherche scientifique et accès aux médicaments

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mise en route de l’essai clinique était lié au fait que les responsables de Bristol-Myers Squibb de souhaitaient s’assurer que le ministère de la Santé botswanais continuerait à fournir des antirétroviraux aux patients une fois que leur essai serait terminé231. Le programme national n’étant

encore qu’en phase d’élaboration, le ministère tarda à s’engager.

En attendant d’obtenir cette assurance du ministère de la santé et les autorisations délivrées par le comité d’éthique, trois cliniciens chercheurs de Harvard proposèrent de commencer à fournir des médicaments à des patients à l’hôpital, en profitant des conditions matérielles dont ils disposaient pour leur projet. Les médecins de Boston, qui apportaient un appui ponctuel les services de l’hôpital (notamment aux Urgences), utilisèrent, avec l’accord du ministère de la santé, l’espace alloué par l’hôpital pour leur projet pour traiter les premiers patients. Ils négocièrent avec une clinique privée voisine pour obtenir des médicaments, quelques mois avant la mise à disposition promise par le gouvernement (et que le partenariat ACHAP signé quelques mois plus tôt avait vocation à soutenir). Avant que l’accès aux médicaments ne soit officiellement une politique publique, l’essai clinique, par les moyens qu’il put déployer, contribua à l’accélération de la politique de soin, ainsi que se le remémore le directeur de l’hôpital Princess Marina à cette période:

L’équipe de Harvard a commencé à introduire les traitements à Princess Marina, environ six mois avant que le programme ne commence officiellement, c’était une opportunité pour! ce n’était pas un pilote ce n’était pas officiel en fait, c’était! ils préparaient leur projet de recherche, l’étude Hope et donc ils avaient une équipe et n’avaient pas grand chose à faire et donc nous – j’étais le directeur de l’hôpital – avons emprunté des médicaments auprès des médecins privés, le Dr Datson qui a acheté les médicaments car elle était la première à les avoir introduits dans le privé et elle avait reçu des dons, donc elle a prêté des médicaments car nous ne pouvions lui payer donc on a dit que l’on rembourserai dès qu’on aurait l’argent [sous entendu de ACHAP] (Entretien Dr H. Moffat, ministère de la Santé, Gaborone, octobre 2008)

Le ministère de la santé accepta cet arrangement et proposa de les remplacer ou de les rembourser au médecin européen de la clinique privée adjacente à l’hôpital. Grâce à ce prêt, les médecins de Harvard traitèrent les patients avec des ARV au lieu de commencer leur essai clinique sur l’étude des différentes combinaisons d’ARV. Pendant plusieurs mois, les ressources humaines (médecins, infirmiers) et matérielles dont l’étude clinique été dotée, ont été provisoirement détournées pour commencer le programme national de traitement, pour en faire une « version pilote » avant son lancement officiel.

L’étude Hope étant un peu retardée, le Dr Brown et le Dr Altman ont décidé de commencer à traiter les gens. Ils étaient cliniciens et avaient négocié pour que le programme national commence avec des médicaments donnés par le Dr Datson. Quand je suis arrivée pour travailler avec eux, ils avaient un programme pilote avec 79 patients puis à la fin de la première année on avait pratiquement 300 patients mais là c’était le début du programme national et alors je me suis occupée du centre et Brown et Altman sont retournés à l’étude Hope. Mais il y a bien eu toute une année avant que l’on puisse commencer Hope. Mais vu que Hope avait de l’argent, ils pouvaient embaucher des infirmières alors on a dit que c’était le pilote pour Hope avant cela et je pense officiellement on a lancé le programme le 31 janvier 2002 donc tous les patients avant à partir de juin ou juillet, les 300 et quelques patients étaient des patients de l’étude pilote de Harvard et ensuite le programme national a commencé... (Retranscription d'entretien Dr Alma, Gaborone, octobre 2009).

(10.01.2011).

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Dans le récit de Dr Alma qui est arrivée dans le courant de l’année 2001 avec Harvard, la notion de « pilote » est même l’objet d’une confusion qui lui fait dire que le fait de traiter les patients à ce moment, en avance, du programme a constitué une forme pilote de l'étude Hope (et non une forme pilote du programme national), confusion révélatrice d’une « frontière perméable entre la recherche clinique et le soin médical » (Petryna 2005a). L’accès aux antirétroviraux procéda de façon similaire au Sénégal, où les acteurs de la recherche clinique permirent au programme de santé publique d'exister: l'ISAARV a commencé sous la forme d'un projet clinique procédant à l'inclusion des premiers patients sous ARV, qui étaient surveillés à intervalles réguliers.

Le changement qui s’opère avec l’étude Hope après l'ISAARV au Sénégal est important à la fois sur le plan des acteurs et de leurs intérêts : il s'agit pour les acteurs biomédicaux d'œuvrer à l'accès aux médicaments. A ce moment en effet, les médecins à Gaborone n’imaginaient plus conduire une étude clinique en l’absence d’un accès aux médicaments garanti par le gouvernement :

On pensait à la mise en œuvre de notre essai clinique. Mais on voyait clairement qu’il y avait tellement de personnes infectées et on a commencé à faire des analyses de labo et les CD4 et clairement, nous n’étions pas prêts à ouvrir l’essai clinique pour fournir des ARV donc on voulait fournir232 des ARV aussi rapidement que possible au moins dans un forme pilote (Retranscription d’entretien, Dr Brown, médecin, chercheur, Gaborone, BHP, janvier 2008).

Une des clés du tournant de l’étude Hope réside précisément dans l’expression « nous n’étions pas prêts » qui ne signifie pas l’absence de préparation (Dr Moffat vient de dire qu’ils avaient une équipe et n’avaient pas grand-chose à faire) mais plutôt l’existence d’une impasse politique et morale pour les cliniciens chercheurs. Bien que trop coûteuses, des thérapies efficaces existaient et leur mise à disposition en Afrique s’imposait de plus en plus sur un plan politique et moral. En plus d’une mobilisation politique internationale, les controverses sur l’éthique des essais cliniques dans les années 1990 en Afrique contribuèrent à souligner l’inégal accès aux soins233. Il se produisait dans la

communauté internationale un point de basculement à l’issue duquel il n'était plus envisageable de conduire des recherches sur les thérapeutiques du sida au sein de populations privées de soin.

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