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Les pouvoirs Tswanas face à la détérioration de la situation sanitaire

Dans le document en fr (Page 70-74)

Tshekedi Khama, chef des Bangwato (« réserve Ngwato ») a plaidé pour l’amélioration des services médicaux dans le protectorat et la nomination de médecins de la part de l’administration britannique. Dans son Mémorandum de juillet 1934 à l’administration britannique concernant les infrastructures médicales dans le territoire Ngwato55, Tshekedi Khama comptabilisait les

54 Sir Alan Pim, Financial and Economic Position of the Bechuanaland Protectorate (London, 1933)

55 « Medical facilities in Ngwato Reserve.Memorandum by Acting Chief Tshekedi » (30 juillet 1934) (BNA,

Archival series, Disctrict Commissioner, Serowe, DCS 19/18).En ce qui concerne le territoire Ngwato, l’hôpital de Serowe a une capacité de 20 lits pour les indigènes. Dans la zone méridionale du protectorat, Khama recense 4 hôpitaux dans son rapport : Lobatsi (20 lits) ; Kanye (12 lits) ; Mochudi (12 lits) et Molepolole (30 lits).

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infrastructures existantes dans le territoire Ngwato du Bechuanaland. Il sollicitait l’édification d’hôpitaux supplémentaires et proposait de soutenir financièrement les missionnaires de la LMS qui offraient déjà des services médicaux plutôt que de nommer un médecin gouvernemental. Il affirmait aussi que les médecins missionnaires étaient moins dispendieux que les médecins nommés par le gouvernement et qu’on obtenait de leur part une bien meilleure continuité de service. Il utilisait l’argument financier qui était la principale préoccupation des Britanniques dans l’administration (le plus a minima possible) du territoire du Bechuanaland tout en participant à la compétition entre les missions chrétiennes dans leurs efforts pour fournir des soins médicaux en appuyant la LMS contre les projets médicaux entrepris par les missionnaires SDA afin de ne pas engendrer « des complications supplémentaires » (p. 7).

La revendication de Tshekedi Khama pour des services médicaux correspondait à une volonté de consolider la suprématie Ngwato et est aussi un souci politique de répondre aux besoins de sa population. La priorité fut donnée par l'administration à la construction d'un hôpital à Francistown mais, avec l'accord de Tshekedi Khama, la London Missionary Society construisit un hôpital à Sethlare en 1938. En 1938 également, la SDA ouvrait son hôpital de mission à Maun.

Dans les années 1930 la situation sanitaire se détériora. Les maladies sexuellement transmissibles (« maladies vénériennes ») proliférèrent ainsi que les infections bactériennes comme la tuberculose, profitant des mauvaises conditions de vie et de travail dans les mines sud-africaines (Packard 1989). En ce qui concerne la syphilis, le médecin responsable du dispensaire mobile de Francistown notait en 1938:

L'on m'a demandé de visiter un lieu reculé... où un certain nombre de lépreux sont censés se trouver; à mon arrivée j'ai trouvé des habitants qui souffraient non de lèpre mais de syphilis à un stade avancé. Ce n'est pas exagéré de dire que ces pauvres gens étaient un musée vivant de syphilis clinique56

Le Medical Officer de Francistown déplorait quant à lui en 1940: « Malgré des efforts de prévention et de traitement de la gonorrhée et de la syphilis ces maladies gagnent du terrain chaque année »57. Entre 1943 et 1956 les villes de Mahalapye, Maun et Molepolole signalaient toutes une

augmentation alarmante des maladies sexuellement transmissibles. À Maun, la syphilis et le paludisme étaient les principales pathologies mais l'hôpital faisait face à un « manque de médicaments, de temps, de personnel et d’eau »58. Les médecins de l'administration coloniale

décrivaient le Bechuanaland comme « hautement syphilisé » (Livingston 2005, 261) et traitaient des milliers de cas de syphilis chaque année, de loin le problème de santé le plus important dans les années 1940-1950 (Murray, Merriweather, et Freedman 1956; Merriweather 1976, 77-78).

Pendant la seconde guerre mondiale, le manque de personnel de santé poussa les autorités coloniales à envisager avec les chefs Tswana la formation de personnel africain. Ce type de politique (pour la formation de personnel subalterne) avait commencé en Afrique de l'Est et de l'Ouest dans

56 BNA Med 1/1, Travelling Dispensary B 2, Annual Report, 1938 (Molefi 1996, 24). 57 BNA Med 1/3/5, Annual Report, 1940.

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l'entre deux guerres. En 1943, le High Commissioner signalait: « Il est probable de trouver des Africains capables de devenir des médecins qualifiés mais il est peu probable qu’il y en ait beaucoup »59, le kgosi Bathoen II soutint ce mouvement en utilisant à nouveau un argument financier:

« Nous voulons nos propres médecins et infirmières (…) les hôpitaux sont trop dispendieux à entretenir alors que les cliniques peuvent être entretenues à moindre frais » (Molefi 1996, 27). Le High

Commissionner britannique engagea des mesures pour susciter des programmes de formation dans

d'autres districts.

Durant les années 1940 et 1950 les autorités locales et l'administration coloniale négocièrent sur les besoins de services médicaux notamment en personnel. L'administration répondait aux demandes des chefs par des déclarations de satisfaction sur l'état général des services de santé tandis que les autorités locales déploraient l'insuffisance de la couverture médicale et commençaient à s'alarmer de l'influence grandissante d'églises comme la Zion Christian Church (ZCC) dans le territoire. Née en 1910 par la prophétie de l’évêque A. B. Lakganyane, inquiet de l'érosion des croyances locales par l'action des missionnaires, la ZCC développa en effet une offre de guérison spirituelle très étendue et devint la plus importante église révélée en Afrique australe (Anderson, A., 1999). Son influence dès lors fut croissante en particulier en tant que pourvoyeur de soins.

Face à la détérioration de la situation sanitaire, les chefs locaux mobilisent leurs pouvoirs en interpellant le pouvoir britannique et leurs interlocuteurs missionnaires afin d'améliorer la santé collective. Cette requête s'exprima de plus en plus fortement et contribua à la légitimité des dikgosi dans l'administration de leur population. La construction d'hôpitaux devint un enjeu politique, marqué par la concurrence entre les missions chrétiennes.

La marche vers l'indépendance du pays va marquer un tournant avec l'avènement de la figure paternelle de Sereste Khama et de sa femme britannique blanche, Ruth, pour guider le pays vers l'indépendance et « prendre soin » de la nation.

Section 2. Indépendance nationale, pouvoir bienfaisant et santé

publique

La politique contemporaine jusqu'à l’indépendance du Botswana en 1966 a été associée au

morafe des Bangwato et à sa dynastie régnante la famille Khama, du règne du kgosi Khama III (1875-

1923) jusqu'à Seretse Khama qui est devenu le premier président du Botswana indépendant. Cette famille qui régna sur une proportion importante du pays, autour de sa capitale Serowe, a entretenu un rapport étroit avec l'expansion du christianisme dans le protectorat et reste aujourd'hui connue pour la lutte qu'elle fit contre l’alcool. La crise de succession à la tête des Bangwato, en raison d’un mariage

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« interracial » scandaleux dans le contexte régional de l’apartheid, contribua à l'émergence d'élites politiques rassemblant l'ensemble des merafe. Le peuple Bangwato fut de la sorte associé à la construction de l’État indépendant.

En 1948, l’héritier au trône Bangwato, Seretse Khama, se vit refuser l’accès au trône en raison de son mariage avec une femme britannique blanche. Ce mariage a déclenché une longue « crise » dans les relations coloniales, dans la région et jusqu'en Grande-Bretagne. Le brillant héritier avait bouleversé l'ordre de ségrégation raciale qui prévalait dans la région et provoqué la panique des autorités britanniques et de l'ensemble des pays voisins dans lesquelles dominaient les minorités blanches. Celles-ci ont vu ce mariage comme une menace extrême de remise en cause de leur statut et de leur pouvoir dans la région (Dale 1996 :3), une situation tendue qui dura pendant toute la décennie 1950 (voir encadré 1). Une fois les tensions apaisées, Seretse Khama guida le pays vers l’indépendance. Le couple qu’il formait avec son épouse Ruth incarna la protection de la Nation et son accession à l’indépendance dès lors qu’ils ont été autorisés à rentrer au Bechuanaland, après un exil en Angleterre.

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A la mort prématurée de Sekgoma II, fils de Khama III, en 1925, l'héritier du trône Seretse Khama n'avait que quatre ans. Il fut nommé kgosi lors d'une cérémonie et son oncle Tshekedi fut nommé régent. En tant que membre de l'élite dirigeante africaine, et selon les pratiques de l'Empire britannique, Seretse Khama fit ses études supérieures à Fort Hare (l'unique université pour Africains), dans la province du Cap orientale, en Afrique du Sud, où il obtint un B.A. en 1944 puis il fut envoyé poursuivre des études de droit en Angleterre, à Oxford puis à Londres61. Il socialisa à Londres avec les

étudiants et membres de l'élite africaine et se sensibilisa aux luttes indépendantistes et anti-raciales. Il y rencontra une jeune clerc de notaire, Ruth Williams. Ils décidèrent de se marier, contre l'avis des Bangwato et de son oncle régent, des Britanniques et de l'église à Londres, et de la London Missionary Society, les missionnaires installés de longue date au Bechuanaland. Tous ces efforts conjugués ne dissuadèrent pas les jeunes épris de se marier devant la mairie en septembre 1948 (Williams, 2006 : 25).

Le mariage de Ruth et Seretse provoqua une onde de choc auprès du pouvoir Bangwato au Bechuanaland et dans toute la région, en particulier en Afrique du Sud, où le parti nationaliste venait d'être élu et auprès des autorités britanniques désireuses de ménager les relations avec ce pays. TshekediKhama exhorta son neveu à rentrer et à annuler son mariage. S. Khama multiplia les réunions publiques (kgotla) pour persuader son peuple qu'il continuait à être digne d'exercer le pouvoir. Lors du Kgotla du 21 juin 1949 parvint à convaincre les dignitaires et l'ensemble de la population qui se rallia à sa cause, le confirma comme chef et accueilli sa femme comme leur « mère ». Du côté des Britanniques, les intérêts économiques et politiques en Afrique du Sud les conduisirent à adopter une attitude radicale face à un mariage interracial. Le gouvernement du parti national venait de remporter les élections en 1948 et s'engagea dans l'adoption des lois du programme d'Apartheid (le « grand Apartheid »). Le 1er juillet 1949 est votée une loi qui interdit les mariages entre races (Prohibition of Mixed Marriages Act). L'administration britannique exclut Seretse Khama du pouvoir Bangwato. Il fut banni du territoire et condamné à l'exil en 1950. S. Khama rentra en Angleterre tandis qu'une enquête parlementaire commença à étudier la capacité de S. Khama à

60 D’après le titre du livre de Michaël Dutfield, A Marriage of Inconvenience (1990).

61 Voir la biographie de Seretse Khama par Neil Parsons, historien à l'université du Botswana :

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exercer la fonction de chef. Cette enquête menée par le juge Harragin conclut à la pleine capacité de Seretse à diriger les Bangwato62 mais ce rapport fut tu par le gouvernement britannique pendant

plusieurs décennies. Seretse et sa femme sont condamnés à l'exil en Angleterre en 1951 (un exil décrété à vie en 1952).

Cette union eut de grandes répercussions dans la région où l'idéologie de la ségrégation raciale était en train de l'emporter à partir de l’Afrique du Sud. Mais elle signifia aussi la consolidation d'une identité nationale structurée autour du couple a-racial Khama.

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