• Aucun résultat trouvé

l’urgence nationale

Dans le document en fr (Page 84-87)

L’épidémie de sida en Afrique a frappé les sociétés et les observateurs par la rapidité de sa propagation, son ampleur épidémiologique, ses conséquences sur les plans individuels, sociaux et politiques. Dès le milieu des années 1980 face à sa progression, les explications épidémiologiques ont rendu responsables les États et les populations : pour leur inaction, pour leurs comportements sexuels et leurs croyances culturelles. Or la réponse politique des États mérite d’être appréhendée en fonction de la spécificité de l’épidémiologie et également en fonction de la structuration des institutions nationales afin de proposer une sociohistoire politique de l’épidémie. En déconstruisant le paradigme d’explication culturaliste du sida, les anthropologues ont ouvert la voie à une appréhension des réponses étatiques face à l’épidémie de sida en Afrique (Fassin 1994, 750) en montrant les fragilités des institutions et des pouvoirs face à la violence politique de l’assignation culturaliste et de l’origine du sida et le désarroi face à la crise sanitaire. Les premiers temps de l’épidémie, et du rapport politique au VIH/sida, à la fois sur le plan de la réalité épidémiologique et sur le plan des politiques de lutte sont fondamentaux pour comprendre la structuration ultérieure de la lutte – sur le plan politique et institutionnel, jusqu’à l’accès aux médicaments. Cela explique en effet le « silence » des États face à l’épidémie comme au Congo (Fassin 1994) voire la dissidence dans le cas sud-africain, une attitude politique porteuse d’un message au monde (Fassin 2002). Sur ces apports décisifs de l’anthropologie politique de la santé, la science politique française (Gruénais et al. 1999; Eboko 2005b; Kerouedan et Eboko 1999) a contribué à une analyse des réponses étatiques face au sida. La littérature anglo- saxonne a également envisagé ce domaine d'étude, à partir du paradigme de la crise de l’État ou de l’État failli (Batsell et Boone 2001; Fassin 1994; Poku et Whiteside 2004)82.

En vue d’analyser la réponse politique et institutionnelle au VIH/sida au Botswana et la configuration des acteurs qui permit d'envisager la mise en œuvre d'une politique d'accès aux médicaments, deux temps seront développés : en premier lieu il s'agit de retracer l'évolution

82 On exclut ici une très dense littérature au tournant des années 2000 sur la « globalisation et le sida », les

Chapitre 2 – L’État botswanais face au sida jusqu’en 2000

84

épidémiologique de l'infection à VIH en Afrique et les réactions des responsables politiques et de santé publique. Dans un second temps, je décris le processus d’ajustement politique et d'alignement des normes et institutions de la lutte contre l'épidémie. Le gouvernement botswanais et en particulier le président de la République de 1998 à 2008, Festus Mogae, se distingue comme une responsable politique de premier plan dans la reconnaissance de la sévérité de l’épidémie, de son impact à tous les niveaux de la société et de l’économie. Le président déclara en janvier 2000 que le VIH/sida était une « urgence nationale » et il agit en conformité avec ce discours : mobilisation institutionnelle et de l’ensemble des forces de la nation derrière son « leadership », « appel à l’aide » aux partenaires internationaux, engagement pour l’acheminement prochain de médicaments gratuits. Au moment où le Brésil se distingue comme un État activiste face au sida (Batsell et Boone 2001; Fassin 1994; Poku et Whiteside 2004), en termes de mobilisation politique et institutionnelle, d’organisation du système de santé et d’accès aux médicaments, le Botswana peut-il être caractérisé par un activisme politique et sanitaire?

A la suite des travaux de Fred Eboko sur la modélisation des États africains face au sida (Eboko 2005b), l’étude du façonnement des acteurs et des institutions permettra de souligner les caractéristiques de l’État botswanais face à une crise sanitaire majeure : comment le pouvoir bienfaisant et protecteur étudié dans le précédent chapitre existe-t-il au cœur de l’État face au sida ?

Sur le plan théorique, la façon dont est prise en charge l'épidémie de l'infection à VIH dès ses débuts puis les calculs, évaluations dont elle fait l'objet permettant d'analyser la biopolitique du sida et comment se dessinent les instruments matériels, financiers et symboliques pour y faire face : comment la souveraineté étatique se donne-t-elle à voir afin d'œuvrer à « faire vivre » la population, par l'accès aux médicaments. Afin de comprendre ces rouages, il s'agit d'analyser la santé comme un objet politique et comme un objet de politiques (Fassin 2006a) à savoir étudier à la fois les décisions politiques et aussi se demander si la lutte contre le sida suscite une politisation des acteurs, des positionnements idéologiques, une instrumentalisation des données épidémiologiques, en somme comment le dispositif sanitaire se mobilise dans l'espace public.

Chapitre 2 – L’État botswanais face au sida jusqu’en 2000

85

Section 1. La progression du VIH/sida en Afrique (1980-1990):

l’Afrique australe touchée tardivement mais de façon

exponentielle

Entreprendre de fournir les éléments de repères d'une histoire du sida en Afrique est un défi qui est autant méthodologique que politique car il croise l'histoire de son assignation au « foyer africain » (Grmek 1989), de son assimilation à une épidémie différente que ne pourraient expliquer que les comportements sexuels et la culture des Africains. Cette assimilation à une altérité radicale (Dozon et Fassin 1989 ; Dozon, 2007) a nourri l'écriture d'une histoire racialisée du sida (Leibowitch 1984; Grmek 1989), d'études démographiques tout aussi racistes (Caldwell, Caldwell, et Quiggin 1989; Caldwell et Caldwell 1993) puis d'un récit sur les incapacités politiques des gouvernements à faire face avec des répercussions politiques et en termes de santé publique.

Or, l'épidémiologie du VIH/sida en Afrique est politique. Sa diffusion est ancrée dans une histoire de rapports de domination, de violence, d'inégalités sociales et de pauvreté. La situation socioéconomique détermine en effet largement la distribution des maladies (Farmer 2001). L’économie politique du VIH/sida (Fassin 2000a; Farmer 2006) s’impose et oblige à retracer tant l'histoire de l'épidémie en Afrique que la place du Botswana dans cette trame épidémiologique. Le sida en Afrique du Sud fut ainsi analysé à la fois comme une condition sociale (inégalités socioéconomiques, d’accès aux soins et d’exposition au risque) et une expérience historique liées à la violence héritée du système de ségrégation raciale (Fassin 2003b). La façon dont l’épidémie du VIH fut envisagée à son apparition par les pouvoirs politiques et sanitaires africains implique d’être retracée à partir d’éléments concernant l’histoire des premiers cas décrits aux États-Unis puis sur le continent africain.

Au début du mois de juin 1981, le bulletin épidémiologique des Centers for Disease Control (CDC) Mortality and Morbidity Weekly Report (MMWR) mentionna plusieurs cas de pneumonie à

pneumocystis carinii chez de jeunes hommes en Californie, précédemment en bonne santé et qui

n'ont en commun que d'être homosexuels. Le 4 juillet, la même publication rapportait 26 cas, cette fois à travers l'ensemble des États-Unis. Dans les toutes premières années, des cas similaires commencèrent à être identifiés en Afrique. Des cliniciens reconnurent avoir eu affaire à de tels cas cliniques vus dans les années 1970, parfois dès les années 1960, comprenant la plupart des symptômes cliniques de la maladie : amaigrissement, diarrhées83.

83 Il s’agit ici de poser les jalons importants d’une histoire de l’épidémie de VIH/sida en Afrique et de son

contexte politique et épidémiologique. Pour plus de détails sur l’histoire du sida et Afrique on peut se référer à Iliffe (2006) et à Denis et Becker (2006) pour des études de cas.

Chapitre 2 – L’État botswanais face au sida jusqu’en 2000

86

Dans le document en fr (Page 84-87)

Outline

Documents relatifs