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Recherche scientifique et accès aux médicaments antirétrovirau

Dans le document en fr (Page 152-154)

De l’expérimentation à l’attraction

Chapitre 4 Recherche scientifique et accès aux médicaments antirétrovirau

L’infection à VIH a progressé rapidement à travers le continent africain : à partir de l'Afrique centrale, orientale puis a atteint l'Afrique australe, plus tardivement mais de façon fulgurante (voir chapitre 2). Assez tôt également, l’épidémie d’infection à VIH a fait l’objet d’investigations scientifiques, en particulier de recherches virologiques qui, aux côtés des travaux d’observations cliniques des premiers cas de sida dans les hôpitaux ont contribué à une meilleure connaissance de l’épidémie notamment en suivant l’hypothèse de l’origine africaine du VIH. Dans le courant des années 1990, l’épidémie s’est aggravée dans l’ensemble du continent. L’analyse de la collaboration, à partir du milieu des années 1990 de l’école de santé publique de Harvard (Harvard School of Public Health), l’une des plus puissantes institutions de recherche au monde, avec le gouvernement du Botswana, sera envisagée dans cet objectif afin de réinscrire la prise en charge du sida au Botswana dans le contexte de la production scientifique dont le virus en Afrique a fait l’objet, des relations entre les acteurs et de leurs intérêts. Alors que les chercheurs virologues sont de plus en plus présents en Afrique, aux côtés des médecins, comment s’opère le basculement de ces acteurs vers une implication dans l’accès aux médicaments ?

En 1996, l’Initiative sur le sida de Harvard (Harvard AIDS Institute185) présidée par Myron Essex

au sein de l'école de santé publique de Harvard établit ses premiers contacts avec le gouvernement botswanais en vue de conduire des études virologiques. Au même moment, la recherche médicale internationale enregistre des résultats très importants dans la thérapeutique avec l’annonce lors de la conférence internationale de Vancouver en 1996 de l’efficacité de l’association de trois molécules antirétrovirales. L'implantation de l'école de santé publique de Harvard/Initiative de Harvard sur le sida (HSPH/HAI) à Gaborone, qui est dans un premier temps consacrée uniquement à la recherche virologique, ouvre une période d'augmentation rapide des projets de recherche puis une évolution des enjeux éthiques et une diversification des acteurs de l’accès aux antirétroviraux.

En retraçant l’histoire de l'intervention de Harvard School of Public Health sur le sida au Botswana, trois phases se distinguent : la première – virologie – est concernée exclusivement par le

185 Le Harvard AIDS Institue a été créé en 1988 par le président de Harvard, le doyen de l’école de santé

publique et le doyen de l’école de médecine. Le HAI effectue une découverte d’un anticorps du VIH dans la salive ; découverte des protéines vpx et vpu permettant de distinguer le VIH-1 et le VIH-2.

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virus, sa caractérisation moléculaire et génétique. La seconde – épidémiologie – est marquée par la nécessité d'augmenter les infrastructures de laboratoire afin de pouvoir effectuer des études sur le VIH à l'échelle de l'ensemble de la population et la troisième phase – santé publique – consacre l'avènement du traitement antirétroviral pour lequel les scientifiques et cliniciens de Harvard s'engagent activement.

Afin de donner plus de force à ce récit, la collaboration entre l’école de santé publique de Harvard et le gouvernement du Botswana sera mise en perspective avec la collaboration de Harvard au Sénégal et au cheminement de ce pays vers l’accès aux ARV. Non seulement ces deux récits sont connectés par l’intermédiaire d’une collaboration avec Harvard mais ces connections éclairent l’objet du chapitre, à savoir la translation de la recherche biomédicale à l’accès aux médicaments, donc il est donc difficile de parler de l’un sans l’autre. A cet égard, plutôt qu’une visée comparatiste, je propose d’adopter une approche d’histoire croisée (Werner et Zimmermann 2003) qui implique de regarder les interactions et les relations et interdépendances entre différentes parties du monde, les croisements dans l’objet mais aussi la façon dont les acteurs eux-mêmes comparent. L’histoire croisée, d’ailleurs, invite le chercheur à un regard réflexif sur ses méthodes et son objet (sur les croisements intrinsèques à l’objet).

Sur le plan méthodologique, le travail de recherche sur la collaboration entre Harvard et le Botswana correspond à la dernière phase d'enquête conduite par entretiens, à Boston, Tours et depuis Paris. J’ai pu notamment réaliser un entretien en mars 2011 à Boston avec le directeur exécutif du Harvard AIDS Initiative qui a complété les entretiens effectués avec plusieurs chercheurs et médecins de Harvard pendant mon terrain au Botswana. Cependant, cet entretien m'a permis de collecter des données approfondies et rétrospectives (les extraits cités dans les sous-titres de ce chapitre sont issus de cet entretien). Il me semble d’ailleurs que si j’avais rencontré ce haut responsable plus tôt, au Botswana, notre conversation n’aurait pas eu la même teneur. Un entretien à Gaborone, tandis que j’étais concentrée sur l’organisation des soins aurait probablement concerné plus la contribution de Harvard au système de santé (formation, équipements, etc.), informations que j’ai pu collecter par ailleurs (documents, entretiens). Le fait que l'entretien ait été réalisé aux États- Unis, à l’école de santé publique de Boston c’est-à-dire à distance géographique du « site » et à distance temporelle de mes recherches a rééquilibré le rapport de domination dans l’entretien. A Gaborone, j’étais une parmi des dizaines de jeunes chercheurs occidentaux intéressés par le partenariat Botswana-Harvard et par l’accès aux antirétroviraux en général tandis qu’ à Boston, j’incarnais un chercheur du Nord plus crédible, à qui l’on peut faire des confidences. Afin de poursuivre l’analyse de ce sujet, j’ai également conduit un entretien auprès d’un chercheur ayant collaboré avec l’équipe de M. Essex au CHU de Tours (Francis Barin)186. Ces entretiens ont permis

d’aborder rétrospectivement, sur la forme du récit, l'histoire de l'intervention et de l'institution, des informations que j'ai ensuite analysées avec le récit d’autres chercheurs internationaux, ceux

186 Complétés par deux entretiens utiles dans ce chapitre mais surtout dans le chapitre 3 : avec la

responsable du programme d’accès aux médicaments de la compagnie pharmaceutique Bristol Myers Squibb et le président du programme philanthropique « Secure the Future », réalisés en mai 2012, le premier à Paris, le second par téléphone à New-York.

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d'acteurs botswanais et avec des sources secondaires (articles scientifiques, articles de presse, communication institutionnelle).

Section 1 – De la recherche virologique à l’établissement des

partenariats biomédicaux (1980-1990)

Après la description par les Centers for Disease Control (CDC) d'Atlanta, en juin 1981 des premiers cas de pneumonie à pneumocystis carinii grave parmi plusieurs homosexuels, souffrant de ce qui deviendra fin 1982 le « syndrome d’immunodéficience acquise », les scientifiques s’attellent à la recherche de l’agent pathogène responsable de ces cas cliniques observés aux États-Unis (chapitre précédent) puis en Europe. Le début des années 1980 est marqué par la souffrance et le désarroi des malades et des médecins, une certaine panique sociale. Sur le plan de la recherche biomédicale, une compétition transatlantique s’engage entre les grands centres de recherches virologiques afin d’élucider l’agent responsable de ces pathologies, autour des professeurs Robert Gallo (National Cancer Institute de Bethesda) et de Luc Montagnier (Institut Pasteur à Paris). La course à l’identification de l’agent causal à l’origine du syndrome (qui est décrit comme SIDA dès 1982) fut l’une des plus intenses batailles scientifique, politique et commerciale en raison des retombées politique et économiques (brevets des tests de dépistage) (Seytre 1995). Après avoir écarté des hypothèses liées à un agent infectieux en association avec des pratiques sexuelles (« cancer gay ») ou à la consommation de produits chimiques (popper), les scientifiques occidentaux recherchèrent un virus qui serait à l’origine de ces surprenantes aplasies immunitaires.

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