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Chapitre 3 : Communauté discursive

3.4 Les paroles d’autrui

3.4.1 Le tiers

Nous constatons avec Kerbrat-Orecchionni (1999 : 25)262 qu’ « à la phase d’émission,

plusieurs niveaux d’énonciation peuvent se trouver superposés ». Les énonciateurs ainsi introduits dans le discours sont au locuteur « ce que le personnage est à l’auteur dans une fiction » (Maingueneau, 1991 : 128)263. Il arrive que le locuteur veuille citer les paroles de

quelqu’un d’autre.

262 C. Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation, Paris, Armand Colin, 1999. Collection U.

263 D. Maingueneau, L’analyse du discours. Introduction aux lectures de l’archive, Paris, 1991. Hachette supérieur.

S’il s’agit des paroles précédemment énoncées dans la discussion, le locuteur peut copier tout le message et le réintroduire dans le sien, accompagné d’une indication de la source (le temps de l’énonciation et l’énonciateur original). Dans ces cas de discours rapporté direct, l’intention du locuteur est souvent celle de commenter l’énonciation de l’autre. Les voix énonciatrices que le locuteur fait apparaître dans ses messages ont quelque fois des sources autres que les participants présents dans la discussion, ailleurs que dans le cercle des sujets parlants virtuellement présents sur la liste. Ce sont des propos plus généraux comme des reprises d’idées généralement reconnues, des proverbes, des dictons. C’est le cas de l’extrait suivant où le documentaliste cite un proverbe africain pour évoquer la question épineuse de la disparition de documents du centre de documentation.

DEBAT : vols au cdi!

''Sur le nez du voleur, il ne pousse pas d'herbe'' (proverbe africain). Le vol est bien un problème douloureux. Que faire lorsqu'on soupçonne des personnes sans preuve formelle ?

Les mots de l’autre font le plus souvent l’objet de reprises et de remaniements. Il faut constater que le discours indirect, les reprises et les reformulations portent rarement sur des segments très longs, elles concernent avant tout des éléments courts : des mots ou des syntagmes. Les citations peuvent concerner une référence à un autre participant à la discussion aussi bien qu’un sujet parlant non identifié et extérieur à la liste de discussion (« on dit que… », « on prétend que… », etc.). Même si celui que l’on va désigner comme tiers n’est pas un véritable acteur de l’échange, car il représente la « cible » de discours qui « n’est pas en tant que telle incorporée au circuit communicationnel » (Kerbrat-Orecchionni, 1999 : 175), l’analyse de son statut ouvre des perspectives intéressantes sur le fonctionnement de l’énonciation sur une liste de discussion. A la suite d’auteurs comme Charaudeau et Montes264

qui mettent en avant une conception triadique de la communication, nous postulons la présence d'un tiers comme figure jouant le rôle de garant dans le partage de pratiques. Charaudeau distingue trois lieux de problématisation du tiers : « l’espace situationnel de la communication », « l’espace discursif de l’énonciation », « l’espace interdiscursif où circulent les discours ». Ce dernier défini comme « lieu d’une sémantisation des systèmes de valeurs, où le tiers peut être considéré comme un ''méta-énonciateur'' qui produirait des discours de vérité servant de référence à tout nouvel énonciateur », retient particulièrement notre attention.

Ce répondant qui donne du sens, ce surdestinataire comme le dit Bakhtine est celui qui sous- tend la circulation de discours toujours contextualisés, porteurs de systèmes de valeurs à référer à des systèmes de pensée constitués en « imaginaires socio-discursifs ». La notion d’ « imaginaire socio-discursif » est essentielle en ce qu’elle façonne les représentations des différents acteurs. Au sein de notre corpus constitué de discours circulant, nous recherchons donc les traces et manifestations de ce « méta-énonciateur ». Les abonnés actifs construisent leurs discours à travers les destinataires et lecteurs supposés. La construction identitaire s'affirme ainsi autour de l'exposition des opinions. Pour Charaudeau, la position du tiers est fondamentale dans le discours et le regard de l'autre entraînerait des différences dans les objets discutés. Les participants de la liste de discussion partagent des savoirs de connaissance et de croyance, savoirs qui circulent dans le groupe auquel ils appartiennent et qui sont mobilisés dans un jeu d'interdiscursivité. La référence au tiers est présente dans l'exemple suivant, le surdestinataire est identifié par "il" et dans les expressions "il faut, il est toujours...".

Sujet : bcdi : désherbage périodiques et exemplaires

Bonjour tous ! depuis mon arrivée en septembre dernier dans mon établissement, j'ai effectué un grand désherbage des périodiques. J'ai supprimé la fiche document-notice de chaque périodique désherbé et conservé la fiche exemplaire avec statut=mis au pilon. Mais je me demande à présent si il faut ou non conservé la fiche exemplaire? Merci

Ces exemplaires sont la mémoire du fond, il faut donc les conserver.... ils ne sont pas très lourds et ne gênent en rien la recherche, donc pas de soucis.

Bonjour, je ne crois pas qu'il faille supprimer ces exemplaires... Il est toujours recommandé de les conserver car il s'agit de documents achetés sur le budget de l'éducation nationale... Les 1700 exemplaires ne surchargent pas la base... Dans le lycée où j'étais, la base contenait plus de 10 000 exemplaires… Bonne journée »

Les occurrences de "il faut" renvoient à une norme professionnelle non citée. Le tiers apparaît comme une instance de jugement, un arbitre social de la norme, chargé de décider de l'acceptabilité sociale des comportements des acteurs. La particularité de l’acte d’énonciation dans une liste est la perpétuelle alternance des rôles. Le participant devient maintes fois à son tour l’émetteur, l’auteur, l’acteur et ensuite le récepteur, le public du discours produit à l’écran. Il convient de rappeler la métaphore bien connue, celle d’un orchestre sans « chef ni partition » où « chacun joue en s’accordant sur l’autre » (Winkin, 1981 : 8)265.