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Chapitre 1 : Communauté de pratique en ligne

1.2 Les communautés en ligne d'enseignants

1.2.3 Institutionnalisation et pérennisation des communautés en ligne

La mise en place des communautés en ligne a rassemblé en priorité les enseignants motivés par les technologies de l'Internet. Ces derniers utilisaient déjà des moyens de communication en réseau comme les babillards, le minitel, les réseaux de correspondance. Il faut préciser l'élément d'origine de ces communautés et le contexte d'émergence pour comprendre leur fonctionnement.

Le modèle d'origine des communautés

Nous proposons ici d’étudier différents types de communautés existantes en ciblant leur relation avec la socialisation et l’apprentissage. Nous distinguons les listes de discussion des communautés délocalisées d'apprentissage qui correspondent à des objectifs et des modes de fonctionnement différents avec cependant des éléments communs. Le choix expérimental d'une communauté d'apprentissage en ligne répond à une volonté didactique en particulier dans le cadre de la formation des enseignants aux TIC. Ce type de communauté est créé en lien avec un dispositif qui prend appui sur un outil, une plate-forme informatique d'apprentissage (Ferone, 2006)93.

93 G. Ferone, Le travail collaboratif, les nouvelles technologies et les activités d’écriture et de construction des connaissances dans la formation des enseignants. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Paris 8, 2006.

Les communautés militantes

Nous pouvons remarquer que les initiatives sont souvent le prolongement d'activités engagées. Ainsi, on observe une adoption du réseau par des communautés militantes en éducation comme les enseignants du mouvement Freinet (Turban, 2004)94. La liste de

discussion vient augmenter les activités de ces communautés sur le réseau.

Les communautés individuelles

Des formes spontanées et autonomes de mise en réseau des enseignants se constituent pour la plupart en dehors des institutions du Ministère de l'Éducation Nationale. Devauchelle95

nomme « communauté individuelle », le fait qu'une communauté a été créée sur l'initiative d'une seule personne. Ces projets correspondent à une intuition ou des besoins identifiés par une personne ou plusieurs personnes qui composent le cercle des initiateurs du projet.

« Dans les processus de création, on retrouve trois cercles d’acteurs différents : le noyau des initiateurs ou innovateurs, la nébuleuse des contributeurs et des visiteurs qui étendent l’audience de la communauté et le cercle des réformateurs qui s’impliquent dans la régulation et la pérennisation de la communauté » (Delamotte, 2007)96.

L'implication personnelle de l'initiateur permet de donner naissance à la communauté. Un certain nombre de communautés ont tendance avec le temps à se structurer en associations qui participent à instituer le dispositif. Les exemples de la liste H-Français (Pascaud, 2002)97 et de

l'association des Clionautes, de Profs-L98 et LDT-Pagestec99 sont significatifs des changements

de statut et de fonctionnement de communautés individuelles. En mars 1998, Gadennes fonde la liste Profs-L ouverte à tous les professeurs de français des lycées d'enseignement et par la suite intégrée dans le site associatif des professeurs de français WebLettres.

94 J.-M. Turban, Listes de diffusion pour enseignants du premier degré : une expérience sociale formative, combinaison des logiques de l'action (intégration, stratégie, subjectivation). Thèse de doctorat UFR de sciences humaines, Rennes, Université de Rennes 2 - Haute Bretagne, 2004.

95 B. Devauchelle, Pérennité des communautés, partenariats et collaborations possibles, institutionnalisation, In A. Daele, B. Charlier, Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants. Pratiques et recherches, Paris, L’harmattan, 2006, pp. 126-135.

96 E. Delamotte, Communautés d’amateurs et apprentissage à l’ère du numérique, Distances et savoirs, 2007 /2, vol. 5, pp. 159-175.

97 D. Pascaud – H-Français, In Les communautés délocalisées d’enseignants : Rapport final, PNER, 2002, p. 73. En ligne sur http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/00/18/81/PDF/rapportfinal.pdf.

98 Liste Profs-L : http://www.Weblettres.net/profs-l/.

Animé par une trentaine d'enseignants bénévoles, ce site propose un espace partagé pour la mise en ligne de cours et séquences didactiques. Quant à la liste de diffusion LDT-Pagestec (Drot-Delange, 2001), elle propose un espace d'échange pour les professeurs de technologie en collège. Elle a pour but également de leur permettre de participer à la construction du site Pagestec100, site de l'association créée en 2000.

Les communautés institutionnelles

Elles sont constituées à l'initiative d'une structure ou d'acteurs d'une hiérarchie qui prennent conscience de l'intérêt de cet outil. Les listes TPE-TICE (Kalogiannakis, 2004) et des ATICE (Villemonteix, 2007) correspondent à cette situation. Elles sont mises en place sur Educnet, site qui propose des ressources pédagogiques numériques par disciplines pour enseigner avec les technologies de l'information et de la communication. Sperber souligne que :

« les institutions traditionnelles ont tout intérêt à être à l’écoute, à jouer le jeu de bonne grâce, plutôt que d’essayer de contrôler les nouvelles formes d’association et de socialités qui émergent grâce au Net » (Sperber, 2001)101.

L'institution établit son propre réseau à partir des espaces disciplinaires des sites Web académiques ou en collaboration avec Educnet. Ces communautés en ligne s'appuient sur des catégories déjà existantes, soit des professeurs d'une discipline d'enseignement ou des enseignants d'une zone géographique déterminée. L'institution pérennise la communauté en apportant des moyens techniques, humains et financiers. Elle intervient dans l'organisation du fonctionnement et dans la place imaginaire ou réelle qu'elle tient dans les communautés. Il est fréquent de voir apparaître des allusions à l'institution (ministères et leurs représentants) lors des échanges sur les listes. L’émergence spontanée de ces communautés d’enseignants indépendantes de réseaux officiels, permet d’envisager une évolution dans les rapports entre les enseignants et leur hiérarchie (Dillenbourg, 2003)102.

100 Pagestec association des professeurs d'éducation technologique : http://www.pagestec.org/.

101 D. Sperber, Un anthropologue au cœur des communautés en ligne, Les dossiers de l'Ingénierie éducative, 2001, n° 36, pp. 24-27.

102 P. Dillenbourg, C. Poirier, L. Caries, Communautés virtuelles d'apprentissage : e-jargon ou nouveau paradigme. In A. Taurisson, A. Senteni (dir.), Pédagogies. Net : l'essor des communautés virtuelles d'apprentissage, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, 2003, pp. 11-47. En ligne sur

Dans le secteur éducatif, la communauté de praticiens crée ainsi de la valeur dont l’institution sait qu’elle peut tirer bénéfice. Le changement d'axe de communication qui passe d'un schéma vertical hiérarchique à un schéma horizontal réticulé a cependant freiné les initiatives des acteurs institutionnels.

La pérennisation des communautés d'enseignants en

ligne

Daele et Charlier (2006)103 ont mené une démarche de réflexion visant à comprendre le mode

de constitution des communautés virtuelles et leurs apports pour les enseignants. Ils ont adopté trois points de vue complémentaires, celui des enseignants, des formateurs et des chercheurs. Huit cas de communautés virtuelles d'enseignants sont décrits par des acteurs qui y sont impliqués comme concepteurs, modérateurs ou participants. Quatre d'entre elles utilisent des listes de discussion informelles ; les quatre autres, liées à une formation initiale, sont contextuelles et scénarisées. Le point de vue des formateurs d’enseignants est abordé en analysant les conditions de participation et d’apprentissage dans ces communautés. Les thèmes de discussion et les centres d'intérêt sont très variés de même que le degré de participation, la façon de garder trace des échanges, l'ouverture et l'indépendance vis-à-vis d'une institution, les modes d'animations et de modération. Cette grande diversité montre la complexité du phénomène. Le fonctionnement en réseau s'appuie sur six caractéristiques principales : le règlement des déséquilibres, la diffusion de l’information, le critère commun d’appartenance, le rôle des structures, l'innovation, la mémoire collective. Les auteurs rappellent que la communauté :

« est en quelque sorte un label de qualité relatif au fonctionnement des groupes, en particulier à l’intensité des interactions qui s’y déroulent. Cette dynamique est susceptible de constituer un double vecteur d’apprentissage : sur le plan motivationnel en tant que catalyseur de participation et sur le plan cognitif en tant que moteur de transmission d’une culture » (Daele et Charlier, 2006 : 89).

Ces chercheurs en éducation tentent de comprendre et de formaliser le phénomène en s’interrogeant sur la construction identitaire et la culture de ces communautés.

103 A. Daele, B. Charlier (dir.), Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants. Pratiques et recherches, Paris, L’Harmattan, 2006.

La question de l’animation et la modération des communautés est abordé en précisant l’importance du rôle de l’animateur et modérateur qui « accompagne la communauté dans son évolution en validant la participation des membres et en développant son identité » (2006 : 242). La fonction de modérateur a aussi une importance au regard de la pérennisation des communautés.

« En contribuant à définir et à affirmer l’identité de leur communauté tant pour les membres que vis-à-vis de l’extérieur et en se positionnant comme des moteurs et des régulateurs d’interactions, les animateurs et modérateurs participent à une forme d’institutionnalisation des communautés » (2006 : 242).

Ces communautés varient en taille (nombre de membres), en dispersion géographique (régions ou pays différents), et en durée de vie (selon la tâche à accomplir). La communauté de pratique d'enseignants n’a pas une durée prescrite d’avance ni de projet unique qui canalise son énergie. Elle a une évolution lente et une grande capacité d’accueil de nouveaux membres (Henry et Pudelko, 2006 : 117)104. Ces chercheurs soulignent le changement radical entre la

formation continue traditionnelle des enseignants (séminaires, ateliers) et ces approches originales qui visent à développer d'autres compétences, voire une nouvelle dynamique professionnelle. Les travaux de cette étude ont montré la variété des types de communautés, leurs spécificités. L'émergence de ce nouveau mode social d'interaction semble correspondre à un besoin. Après une phase critique de développement la première année d'existence, la communauté s'accroît et les échanges se stabilisent autour d'un code communautaire implicite qui devient ensuite plus explicite avec la création d'une charte d'abonné, et l'affichage de règles de régulation des débordements. Une deuxième phase dans la vie de la communauté correspond à une reconfiguration face aux menaces d'éclatement avec la construction de listes dissidentes ou spécialisées. Ces communautés délocalisées d'enseignants sont l'expression d'une nouvelle forme de relation au sein d'un corps professionnel. Elles font aujourd'hui partie du monde enseignant même si elles ne concernent qu'une petite partie de la population des professionnels.

104 F. Henri, B.Pudelko, Le concept de communauté virtuelle dans une perspective d’apprentissage social. In A. Daele, B. Charlier (dir.), Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants. Pratiques et recherches, Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 105-126.