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Chapitre 1 : Communauté de pratique en ligne

1.3 Cognition et biens informationnels

1.3.1 Communauté et biens informationnels

En sciences de gestion, beaucoup de travaux sont consacrés aux communautés en ligne dans une approche socio-cognitive des communautés d’utilisateurs. Les analyses marketing ont mis en évidence la segmentation communautaire et l'ont étudiée dans le cadre de son rapport à la consommation. Nous citons de façon non exhaustive quelques travaux sur ce sujet : l'étude des utilisateurs de sites de téléchargement musical du défunt Napster (Beuscart, 2002)105, le

travail sur le comportement communautaire des étudiants d'une grande école d'ingénieurs (Charbit, Fernandez, 2003)106 et une recherche sur les utilisateurs du système d'exploitation

Linux (Cohendet et al., 2003)107 sous l'angle du management des organisations. Ces travaux

posent tous la question des conditions dans lesquelles émerge la confiance permettant à des usagers d'aller plus loin dans l'échange d'informations, de savoirs, de sociabilité et de créer une communauté excédant le rapport marchand. Sur le Web, les services sont gratuits, les réglementations protégeant les contenus ne sont pas respectées, la production est, pour une large part, bénévole. Le modèle qui se met en place sur Internet préfigure une nouvelle économie de l'information dans laquelle les biens et services s'échangent sur des marchés libres.

105 J.-S. Beuscart, Les usagers de Napster, entre communauté et clientèle, Sociologie du travail, 2002, vol. 44, pp. 461-480.

106 C. Charbit, V. Fernandez, Sous le régime des communautés : interactions cognitives et collectifs en ligne, Working paper, ENST Paris, septembre 2003.

107 P. Cohendet, F. Créplet, O. Dupoûet, Innovation organisationnelle, communautés de pratique et communautés épistémiques : le cas de Linux, Revue Française de Gestion, 2003/5, n°146, pp. 99-121.

Ainsi la valeur ne réside plus dans la production des biens mais dans la formation de la demande. Les biens informationnels concernés sont identifiés comme des « biens numérisés ou numérisables pouvant faire l’objet de transactions » (Shapiro et Varian, 1999)108. Gensollen

en donne la définition suivante :

« Les biens informationnels ne se détruisent pas quand on les consomme. Ils sont directement utiles à leur producteur. Par exemple, lorsqu’un professeur met en ligne son matériel pédagogique, cela ne nuit en rien à son enseignement mais peut économiser du travail à tous ceux qui ont une tâche analogue à réaliser » (2004 : 193)109.

Cette définition du « bien informationnel » trouve son fondement dans les travaux de Arrow110, à l’origine d’une première conception économique de la connaissance qui insiste sur

les propriétés faisant de la connaissance un bien économique particulier et notamment un bien « non rival », c’est-à-dire qui ne se détruit pas dans l’usage. Gensollen précise :

« Dans les économies quaternaires, qu'il faudrait peut-être appeler "économies non rivales", la production essentielle n'est plus la reproduction à l'identique de biens ou services, mais l'invention de produits ou de services nouveaux et variés. Produire une forme nouvelle, c'est produire le cadre social où elle se développera, c'est diffuser les représentations qui permettront sa perception, c'est encourager les usages nécessaires à son utilisation, c'est permettre, chez les consommateurs, la transformation des fonctions d'utilité » (2004 : 14).

Mettre à disposition d'une communauté des ressources gratuitement n'est pas toujours altruiste. Le retour sur l'échange ne se situe pas en terme de rémunération mais dans le développement du lien social et dans la reconnaissance du groupe et de l'institution qui en bénéficie. Les TIC transforment les échanges d'informations qui servent à la régulation des marchés et remettent en cause les processus de production, de distribution et de consommation. Gensollen présente une typologie des communautés selon le rôle qu'elles jouent dans la régulation des biens informationnels.

108 C. Shapiro, H. Varian, Économie de l’information, Bruxelles, De Boeck, 1999.

109 M. Gensollen, Économie non rivale et communautés d’information, Réseaux, 2004, n° 124, p. 193.

110 K. Arrow, Economic Welfare and the Allocation of Resources for Invention, In R. Nelson, The Rate and Direction of Inventive Activity, ed Princeton University Press, 1962.

Les communautés d'échange : Elles diffusent des biens dématérialisés (distribution de

logiciels libres, téléchargement de fichiers musicaux...) : chacun donne accès à des informations, que les autres copient. Ces communautés forcent le modèle éditorial à évoluer par la remise en cause du rôle des acteurs de la filière (auteur, éditeur, médias de masse, consommateurs...).

Les communautés d'expérience : Ce sont des lieux d'interaction où s'élabore un corpus

critique (sur le modèle des avis d'Amazon)111, c'est-à-dire les moyens de focaliser l'attention

de chaque consommateur sur les items qui lui conviennent, de fournir des critiques adaptées à chacun. Elles permettent une meilleure commercialisation des biens d'expérience en fournissant des biens informationnels, et des procédures d'évaluation de l'utilité qu'ils pourront fournir.

Les communautés épistémiques : elles sont basées sur la circulation de biens innovants, et

sont constituées autour d'un réseau d'experts dont le travail est reconnu de façon plus ou moins formelle. Les utilisateurs cherchent le plus souvent à résoudre un problème concret. Ces communautés peuvent permettre une prise en compte par les experts des contraintes d'usage au niveau de l'innovation et du dessin des produits. Conein (2004)112 propose une

approche particulière sur les communautés épistémiques. Il met en valeur le rôle des processus cognitifs dans l’analyse des échanges de connaissances. Une communauté épistémique suppose une dynamique d'action collective où les processus cognitifs se construisent dans des contextes de coordination. Elles reposent sur trois modalités : une composante identitaire (adhésion en lien avec la reconnaissance), une composante cognitive dans les échanges entre membres (informations, conseils, connaissances), une composante de logique d’entraide et de confiance. Les choix individuels des membres de la communauté sont influencés par les autres membres. Des formes de rationalité collective se constituent.

Le savoir pour tous

Les dispositifs de médiation accompagnent et orientent la démarche de l’internaute en quête d’information. Ils constituent un élément fondamental de la démocratisation et de la commercialisation de l'accès aux connaissances.

111 Amazon : site de librairie en ligne.

112 B. Conein, Les communautés informatiques comme communautés épistémiques, In E. Delamotte (dir.), Économie des biens d’apprentissage, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004.

Les pouvoirs publics jouent un rôle central dans la normalisation des outils et des dispositifs d'accès au savoir en ligne afin de garantir la liberté d’apprendre en régulant la chaîne de production, d'indexation et de mise en ligne des contenus (archives ouvertes, métadonnées, formation ouverte à distance...). Arnaud considère l'apprentissage en ligne comme un « bien public informationnel » à préserver pour davantage de liberté, égalité et fraternité dans la société de l'information113. « Le statut de la formation comme bien public informationnel

justifie la volonté de contrecarrer les tendances marchandes qui font que, seules, les tranches supérieures d’utilisateurs bénéficient de l’accès à un savoir en ligne de qualité » (Arnaud, 2008 : 155)114.

1.3.2 Règles et coopération dans les