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Chapitre 1 : Communauté de pratique en ligne

1.3 Cognition et biens informationnels

1.3.2 Règles et coopération dans les communautés en ligne

Les communautés en ligne donnent accès à des lieux virtuels sur lesquels des contributions peuvent être déposées. Un ensemble de règles facilitent et encadrent la participation. Ainsi, les forums ou les listes de diffusion sont soumis à des conditions d’accès, chartes ou règlements, et leur activité peut également être modérée par un animateur. Les règles sont formalisées sur des documents que tout utilisateur est censé avoir consulté au préalable. Leur transgression est sanctionnée par des rappels à l’ordre souvent assez vifs (flamings) des autres participants. Il est question à travers l’instauration et l’application de ces protocoles d’atteindre le but communautaire qui vise :

« un système critique précis et largement utilisé pour les communautés d’expérience ; un ensemble étendu de fichiers de bonne qualité pour les communautés d’échanges ; des conseils adaptés permettant aux débutants de bénéficier de l’expérience déjà accumulée par d’autres pour les communautés de pratiques » (Gensollen, 2006 : 191)115.

Le contact pluriquotidien et immédiat est possible dans les communautés en ligne. Mais plus largement, elles fonctionnent autour d’un corpus qu’elles constituent au fur et à mesure.

113 M. Arnaud, Liberté, égalité, fraternité dans la société de l’information, Paris, L’Harmattan, 2007.

114 M. Arnaud, L'information sur l'information, enjeu stratégique de la construction des savoirs à l'échelle mondiale, Distances et savoirs, 2008/1, vol. 6, pp. 143-158.

115 M. Gensollen, Les communautés en ligne : échanges de fichiers, partage d'expériences et participation virtuelle, Esprit, mai 2006, n° 324, p. 191.

Des analyses ethnographiques sur des communautés numériques (Auray 2005116, Conein

2004117) ont mis en lumière la manière dont les rôles se définissent et peuvent se répartir entre

les participants, les organisateurs, les experts, ceux qui élucident les questions, ceux qui entretiennent la vie de la communauté et permettent l'intégration des savoirs, etc. Les communautés en ligne, comme structures socio-techniques d'interaction, se distinguent par leur fonctionnementdes réseaux de relations personnelles bien qu'il puisse y avoir parfois des rapports personnels éphémères. Les échanges d'informations sont également plus symétriques et interactifs que ceux caractérisant les médias de masse. Dans les communautés en ligne les relations sociales sont caractérisées moins par des relations interindividuelles que par des relations au bien commun. La communauté est constituée par un lieu virtuel (logiciel

Kazaa118, site Web Amazon, liste de diffusion Debian119 ...) où l'on va pour utiliser un objet

informationnel ou/et y contribuer.

Le modèle d'interaction cognitive est de type « tableau noir » (blackboard), si l'on reprend l'expression forgée en intelligence artificielle pour indiquer un mode de coordination entre agents au travers d'un dépôt de données qui est leur est commun. Sur ce « tableau noir » chacun peut écrire et chacun peut consulter, ce qui est le cas sur les blogs, sur les forums de sites ou sur les listes de discussion. Chacun écrit en assurant la cohérence du corpus, les auteurs ne s’adressent à personne en particulier mais contribuent à un corpus déjà constitué accessible à chaque membre. Écrire s'avère souvent avantageux pour celui qui contribue grâce au signalement de ses compétences à la communauté (cas des logiciels libres). Par ailleurs, ces échanges de « points de vue » participent à la formation d'une opinion et d'un savoir collectif au sein de la communauté. Lire les informations paraît plus exigeant et incertain en ce qui concerne la qualité des données. Il est nécessaire d'aider la recherche des lecteurs en organisant le site ou la liste de diffusion de façon à permettre la formation progressive du savoir nécessaire à l'utilisation des informations. Ainsi, une « bonne » communauté se caractérise par un corpus structuré résistant à des tentatives de détournement.

116 N. Auray, Le sens du juste dans un noyau d’experts : Debian et le puritanisme civique, In B. Conein, F. Massit-Folléa, S. Proulx. Internet : une utopie limitée, Presses de l’Université de Laval, 2005, pp. 71-94.

117 B. Conein, Communauté épistémique et réseaux cognitifs : coopération et cognition distribuée. Marché en ligne et communautés d’agents, Revue d’économie politique, 2004, pp. 41-60.

118 Logiciel Kazaa : logiciel d'échanges de fichiers musicaux ou vidéo.

En effet, le danger principal qui guette un site d'échanges réside dans la présence de « trolls »120, c'est-à-dire d'intervenants dont le but est de faire dériver les discussions vers des

sujets stériles ou conflictuels. L'utilité d'un « blackboard » dépend du rapport entre les messages pertinents et les messages sans intérêt. Étant donné le temps de lecture, si ce rapport est trop faible, le site devient inutile et n'attire plus aucun participant. L'abandon de la contribution de la part d’acteurs ne signifie pas pour autant qu’ils abandonnent la lecture des contributions.

Lev-On et Manin (2006)121 ont analysé dans quelle mesure les usages d’Internet permettent

aux individus de confronter leurs avis à des opinions adverses. Leurs résultats d'enquête montrent les limites des contacts avec les dissemblables. Les auteurs précisent que « l’intentionnalité peut entraîner la segmentation et limiter le contact avec les dissemblables et l’exposition à des opinions adverses » et par conséquent n’est pas favorable à la « faculté délibérative de considérer le pour et le contre ». Les internautes ont tendance à rechercher en ligne ceux qui partagent les mêmes idées et les mêmes valeurs qu’eux. Ils ne souhaitent pas toujours être confrontés à une opinion adverse. Les communautés virtuelles sont généralement spécialisées, « elles ont un caractère unidimensionnel », elles rassemblent les individus partageant un intérêt ou une opinion dans un domaine particulier, mais cela ne signifie pas qu’ils soient d’accord entre eux dans tous les domaines de la vie politique et sociale. Dans les communautés en ligne, la confiance est un problème résolu de manière endogène, alors que la signification même des messages est difficile à extraire en raison de formulations ambiguës. La prise en compte de l’ignorance d’autrui joue un rôle clé dans le processus interactif de construction collaborative du sens.

120 “A Troll is someone who mostly initiates threads with seemingly legitimate questions or conversation starters. However, the ultimate goal of a Troll is to draw unwitting others into useless discussions. Because of this, Trolls are at the risk of being detected as cynical or manipulative Questioner” (Turner, 2005).

T.-C. Turner, M.-A. Smith, D. Fisher, H.-T.Welser, Picturing Usenet : Mapping computer-mediated collective action, Journal of Computer-Mediated Communication, 2005, 10 (4), article 7. En ligne sur

http://jcmc.indiana.edu/vol10/issue4/turner.html.

1.3.3 La gestion des connaissances dans