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Chapitre 1 : Professionnalisation et identité professionnelle

1.2 Le secteur professionnel de la documentation

1.2.1 Définitions de la fonction documentaire

Actuellement, le mot documentation recouvre plusieurs concepts, il qualifie à la fois une activité, le résultat de cette activité et une pratique. La documentation désigne ainsi :

322 M.-A. Le Gouellec-Decrop, Profession et professionnalisation des documentalistes des établissements scolaires. Revue française de pédagogie, 1999, n° 127, pp. 85-97.

un processus, une démarche, une activité : se documenter correspond à l'action de

rechercher de la documentation sur un sujet défini pour appuyer une étude.

un résultat, un ensemble de documents, intentionnellement constitué : c'est

l'action de réunir une documentation sur un thème. C'est également l'ensemble des documents, des supports, des publications associés à un produit ou un équipement. Le mot documentation indique ainsi le service en tant que lieu où se pratique cette activité au sein de l'organisation. Il signifie dans ce sens une collection de documents et la façon de les organiser en vue d'une diffusion d'information.

une pratique : la documentation est un ensemble de pratiques, de techniques

professionnelles, mises en œuvre pour rassembler, identifier, traiter, diffuser des documents. La documentation représente l'activité professionnelle ou la fonction exercée par les documentalistes. Cette acception professionnelle est apparue au début du XX siècle et s’est imposée après 1945.

Les historiens des mots situent à la fin du XIX siècle (1870), la naissance du mot « documentation » sans précision sur son auteur. La plupart des définitions font référence au fait que « documentation » vient de « document » issu du latin « documentum » qui renvoie au verbe « docere » qui veut dire enseigner, instruire, faire savoir, informer. L'étymologie donne ainsi au terme de document un sens d’enseignement ou de preuve. Le suffixe « -ment » signifiant « moyen », un document est un moyen d'enseigner, d'instruire, quelles que soient sa nature et sa forme. Il est « ce qui sert à instruire », et il est une preuve (Blanquet, 1993)323.

Briet théoricienne de la documentation définissait le document comme « tout indice concret ou symbolique, conservé ou enregistré, aux fins de représenter ou prouver un phénomène, soit physique ou intellectuel » (Briet, 1951)324. Cette dimension est également présente dans la

définition courante du dictionnaire : « écrit servant de preuve ou de renseignement. Par extension, on considère comme document toute base de connaissance, fixée matériellement, susceptible d’être utilisée pour consultation, étude ou preuve »325. Dans le champ

documentaire, le document est défini comme un « objet qui supporte de l’information, qui sert à la communiquer, et qui est durable (la communication peut donc être répétée) » (Meyriat, 1981)326.

323 M.-F. Blanquet, La fonction documentaire : étude dans une perspective historique, Documentaliste-Sciences de l'information, juillet 1993, vol. 30, n° 4-5, pp. 199-204.

324 S. Briet, Qu’est-ce que la documentation ?, Paris, Edit, 1951. 325 Grand Robert de la Langue Française, édition 2001.

Dans un article intitulé « What is a document ? » Buckland (1997)327 décrit l'approche de Briet

pour qui le besoin d’étudier un objet peut faire de celui-ci un document. De ce point de vue, tout objet n'est pas un document, mais le devient dès qu'il est conservé à des fins d'information. Cette notion est reprise par Meyriat (1978)328 qui considère que certains objets

sont conçus pour transmettre de l'information, ce sont des documents « par intention » et que d'autres objets deviennent documents à partir du moment où l'on y cherche de l'information, ce sont les documents « par attribution ». Dans cette définition admise par les professionnels de la documentation, le document est un support d’information. Il possède des caractéristiques physiques (sa forme) et des caractéristiques intellectuelles (son contenu). Il se définit par sa nature (écrit, imprimé, numérique…), son support et son mode de diffusion (Accart, Réthy, 2003)329. Nous devons le sens actuel du mot « documentation » à certains précurseurs ainsi

qu'aux associations professionnelles (Meyriat, 1993)330. En 1895, les avocats belges Otlet et

Lafontaine sont les premiers à utiliser ce terme. La définition qu'ils en donnent englobe la bibliographie, qui est la science qui permet la fourniture de tous les documents sur un sujet donné (Otlet, 1934)331. Ces deux mondialistes, défenseurs de la paix, décrivent la

documentation comme un partage de savoirs et un échange d'informations. Utopistes et idéalistes, ils ont une vision humaniste de la fonction documentaire, ils pensent que les informations doivent circuler entre tous les chercheurs puisque les progrès de la science sont collectifs. Les deux hommes créent l’Office international de bibliographie en 1895, qui rassemble les notices des ouvrages parus depuis l’invention de l’imprimerie. Au début du XXe siècle, les termes « bibliographie »332 et « documentation » sont alors complémentaires,

l'originalité de la documentation se situe dans la diffusion des documents. Pour atteindre cet objectif, la documentation se caractérise par l'exhaustivité, la pertinence, la fiabilité, la mise à jour, pré-requis pour une mise à disposition de l'information (Fayet-Scribe, 2000)333.

327 M.-K. Buckland, What is a document ?, Journal of the American Society for Information Science, 1997, vol. 48, n° 9, pp. 804-809.

328 Meyriat, De l’écrit à l’information : la notion de document et la méthodologie de l’analyse du document, Inforcom 78, Société française des sciences de l’information et de la communication, premier congrès Compiègne. Paris, SFIC, 1978, vol. 1, pp. 23-32.

329 J.-P. Accart, M.-P. Rethy, Le Métier de documentaliste, 2e éd., Paris, Electre, Le Cercle de la Librairie, 2003. 330 J. Meyriat, Un siècle de documentation : la chose et le mot, Documentaliste-Sciences de l'information, juillet 1993, vol. 30, 4-5, pp. 192-198.

331 P. Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique. Bruxelles, Éditions Mundanéum, Palais Mondial, 1934. Réédité par le Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique, Liège, 1989.

332 Bibliographie : désigne la connaissance, le recensement et la description des ressources documentaires liées à un sujet ou à un domaine particulier (S. Cacaly, Dictionnaire encyclopédique de l'information et de la documentation, Paris, Nathan, 1997, p. 67).

333 S. Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France. Culture, science et technologie de l'information : 1895-1937, Paris, CNRS, 2000.

En 1931 naît l'Union Française des Organismes de Documentation (UFOD), première association professionnelle de documentalistes. L'UFOD précise les règles et les normes de la profession. Elle définit une terminologie de la documentation et fait notamment adopter le terme de documentaliste au lieu de « documentariste » ou « documentateur », jugés trop techniques. Dans un article ancien de la revue « Documentaliste-Sciences de l’information », Pierson334 s'interroge sur le mot documentaliste et sur ce document qui aurait dû donner

naissance au documentiste (journal donne le jour au journaliste). Ce terme se construit sur la racine documental qui n’existe pas.