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Chapitre 1 : Communauté de pratique en ligne

1.3 Cognition et biens informationnels

1.3.3 La gestion des connaissances dans l'organisation

La gestion des connaissances a émergé dans les années 1980 dans les organisations à la suite de plusieurs constats. L'information devient la principale richesse des organisations modernes, sous forme de compétences métier, de savoirs, de savoir-faire, de brevets, de stratégies, de technologies, ou autres. Acquise et accumulée par une organisation, elle n'est pas pérennisée

faute de conservation. Ce concept de gestion de la connaissance repose sur l'échange des

connaissances dans une organisation et permet, par des outils, de mieux partager des informations par défaut non structurées telles que l'expertise des salariés. Parmi les nombreuses définitions de la gestion des connaissances, nous retenons celles du Dictionnaire de l'information (Cacaly, 2008 : 162)122 : « Gestion organisée, coordonnée et opérationnelle

des savoirs et des savoir-faire individuels et collectifs dans un organisme ». Le Knowledge Management (KM) met l'accent sur les contextes favorables à la création de connaissances au bénéfice de l'organisation. Des processus et des contextes organisationnels permettent de développer la capacité de création et de valorisation de nouvelles connaissances, tant individuellement et collectivement qu'au niveau du management. Le partage de connaissances et la prise en compte du savoir implicite formalisés dans les procédures de KM dans les entreprises sont des modèles à interroger pour notre étude. Cette approche « tente de manager des items aussi divers que pensées, idées, intuitions, pratiques, expériences, émises par des gens dans l'exercice de leur profession. » (Prax, 2000)123. Les objectifs du KM dans une

organisation visent à l'amélioration de la compétitivité de l’entreprise par une meilleure réactivité, des gains de productivité et de la qualité du service ou de la production. Le KM recouvre le processus de création des connaissances (Recherche-Développement, innovation) et la capitalisation des connaissances (recueil d’expériences, formalisation des savoir-faire) dans un objectif de gestion du capital intellectuel de l'entreprise. Notre analyse vise à identifier la forme de capitalisation du savoir professionnel au sein de la communauté étudiée afin de construire une connaissance collective. La liste de diffusion fournit un contexte commun dans lequel les individus peuvent dialoguer avec le groupe qui agit comme synthétiseur de connaissances.

122 S. Cacaly (dir.), Dictionnaire de l’information, 3° éd., Paris, Armand colin, 2008, p. 162. 123 J.-Y. Prax, Le guide du Knowledge Management, Paris, Dunod, 2000.

La question du management des connaissances porte sur la transférabilité et l'imitabilité de la connaissance individuelle vers le groupe par des apprentissages permanents.

Le modèle SECI

Selon Nonaka et Takeuchi124, la connaissance naît d'une interaction entre la connaissance

explicite et la connaissance tacite. Dans ce schéma, cette dernière regroupe les compétences innées ou acquises, le savoir-faire et l’expérience. Elle est une forme de connaissance difficile à traduire dans le discours et à communiquer par le langage. En revanche, les connaissances explicites sont transposables sur un support, formalisées et transférables sur un manuel ou un document. Ces auteurs se sont beaucoup intéressés aux interactions et conversions entre le tacite et l’explicite et ont proposé le modèle SECI (Socialisation, externalisation, combinaison, internalisation) qu’ils ont développé en un modèle cyclique de la vie cognitive des organisations, appelé la spirale de conversion des connaissances. L'approche qu'ont les Japonais du KM se veut différente de la nord-américaine, considérée comme essentiellement orientée vers les technologies de l'information. Le fondement de leur modèle se trouve dans la distinction de Polanyi (1944)125 entre connaissances tacites et explicites et fournit une

compréhension de la création et de la gestion des connaissances dans les organisations japonaises. Un autre élément semble important : « L'activité primordiale d'une entreprise

créatrice de savoir est de rendre le savoir individuel accessible aux autres »126. Quatre étapes de transmission de connaissances découle de ce modèle :

• La socialisation : de la connaissance tacite à la connaissance tacite

• L’externalisation : de la connaissance tacite à la connaissance explicite • La combinaison : de la connaissance explicite à la connaissance explicite • L’internalisation : de la connaissance explicite à la connaissance tacite

124 I. Nonaka, H. Takeuchi, La connaissance créatrice. La dynamique de l'entreprise apprenante, Bruxelles, De Boeck Université, 1997.

125 K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983. Coll. Bibliothèque des sciences humaines, traduction française de C. Malamoud, M. Angeno (The Great Transformation, New York, Farrar, Rinehart & co, 1944).

126 I. Nonaka, L’entreprise créatrice de savoir. In Le Knowledge Management, Harvard Business Review, Paris, Ed. d'Organisation, 1999, p. 41. Première publication 1991.

Types de connaissance Tacite Explicite

Tacite Socialisation Externalisation

Explicite Internalisation Combinaison

Tableau inspiré du modèle SECI de Nonaka

La socialisation est le processus de partage d'expériences. Le savoir existe d’abord

sous forme implicite dans les pratiques individuelles qui sont ensuite socialisées et partagées de manière informelle pour s’incorporer à des cultures organisationnelles.

L'extériorisation correspond à la transcription des connaissances tacites sur un

support. Elle consiste essentiellement à représenter sous forme de documents écrits, de logiciels ou de bases de données la plus grande partie possible des pratiques informelles.

La combinaison se réalise par la collecte de connaissances externes ou internes qui

seront combinées en vue de leur diffusion. Elle permet par le biais d'un langage commun la communication des connaissances explicites qui sont combinées pour produire des connaissances nouvelles.

L'internalisation est le processus d'incorporation de la connaissance explicite en

connaissance tacite. La difficulté réside dans l'adoption d'un langage et de concepts partagés.

Le modèle SECI nous permet de comprendre comment les connaissances se créent et se transforment dans l’organisation. Pour Nonaka et Konno (1998)127, ces conversions de

connaissances peuvent uniquement se réaliser au sein d’un espace partagé, le « ba », que l’on peut traduire littéralement par le « lieu » (« place » en anglais). L’accent est mis sur les « Ba », lieux d’interaction et de partage entre individus où l’information interprétée et négociée se transforme en savoir et où se crée une culture partagée (confiance, estime mutuelle, empathie). Chacun s’enrichit de l’autre, puise son énergie dans le groupe, on y recherche le consensus social, tout en y respectant les différences de points de vue, les tensions nécessaires à l’apprentissage.

127 I. Nonaka, N. Konno, The Concept of « Ba » : Building a Foundation for Knowledge Creation, California Management Review, 1998, vol. 40, n° 3, pp. 40-54.

Le concept de « Ba » est aussi abordé en soulignant l’importance de l'investissement du leader (Nonaka, 2000)128 dans la création d’un espace de partage dans le but de stimuler les

différences de vue, qui constituent une forme de création de connaissances. En validant les connaissances individuelles via des mécanismes de consultation communautaire, il est possible d’atteindre un consensus sur une vision partagée de ce qui est véridique dans la communauté professionnelle.

Gestion des connaissances et analyse d'une liste de

diffusion

Caviale129 dans sa thèse a analysé à partir du modèle de la gestion des connaissances deux

listes de diffusion : la liste IGC (Informatique de gestion et de communication) de 2000 à 2003 et Cdidoc (échantillon de 3687 messages en 2000). Son sujet portait principalement sur l'évolution des ressources en ligne en économie et gestion dans l'enseignement secondaire. L'observation de la liste Cdidoc des documentalistes avait pour objet de servir de contre point à son étude principale sur la discipline économie-gestion. La dimension référentielle relative au contenu des messages est codée à l’aide des quatre étapes de transfert des connaissances issues du Knowledge Management : socialisation, externalisation, combinaison et internalisation (Nonaka et Takeuchi, 1995). L'auteur les caractérise en les associant au contexte organisationnel, à savoir : l’individu, le groupe, l’organisation et l’inter-organisation. La liste de diffusion est regardée au travers des échanges, des traces significatives de comportements d'enseignants. Les connaissances affichées dans une liste de diffusion provoquent des échanges d'explicitation et des tentatives d'appropriation par d'autres membres. Certains débats ne concernent que des experts, d'autres sont partagés au sein du groupe et de l'organisation.

La socialisation : Parmi les messages d'une liste de diffusion, certains relèvent du domaine de

réflexion sur les valeurs de la profession. Cette catégorie regroupe des discussions sur des problématiques que les colistiers cherchent à résoudre. Les échanges témoignent des doutes et interrogations des acteurs.

128 I. Nonaka, R. Toyama, N. Konno, SECI, Ba and Leadership : a unified model of dynamic knowledge creation, Long Range Planning, 2000, n° 33, pp. 5-34.

129 O. Caviale, Étude de l'évolution des ressources en ligne en économie gestion, de leurs concepteurs et de leurs usagers, Thèse en sciences de l'information et de la communication, ENS Cachan, 2008.

L'externalisation : Les échanges de messages permettent une production de ressources,

création qui est le résultat d'un savoir-faire, de l'expérience des acteurs. « Quelle est la part réelle de création par rapport au simple relais d'information ; selon les spécialités enseignées que peut-on appeler création de connaissances ? » (Caviale, 2008 : 144). L'auteur a rencontré des difficultés de traitement des messages de la liste Cdidoc pour leur interprétation selon cette catégorie.

La combinaison : Cette catégorie regroupe des échanges au sein des fils de discussion, qui

peuvent croiser des informations d'autres sources ou adapter des connaissances et des ressources à des contextes différents. Ce groupe de messages correspondrait à un travail coopératif dans l'intérêt de la communauté.

L'internalisation : Nous pouvons trouver des traces de témoignages de nouvelles pratiques,

d'expériences personnelles, qui sont le reflet de mise en situation de séquence pédagogique. La communication sur les pratiques se heurte souvent à des problèmes de formalisation (description du contexte, des apprenants, des scénarios pédagogiques). Ces éléments incomplets ou absents des messages rendent difficile à appréhender la situation décrite pour des personnes extérieures.

Certains messages ne sont pas porteurs de connaissances, ils traitent de thématiques ne pouvant être directement réinvesties par les membres de la liste. C'est le cas de demandes spécifiques comme les questions d'aide technique qui ont un caractère personnel et ne peuvent donc servir à l'ensemble de la collectivité. En l'absence de pilotage organisationnel du mode de coopération, les modalités de création de connaissances à l'intérieur d'une liste de diffusion renvoient davantage à une forme d'externalisation (production de ressources) plutôt qu'à une structuration communautaire.

1.4 Intelligence collective et communauté de