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Chapitre 3 : Communauté discursive

3.3 L’interaction et la conversation

3.2.2 Le cadre participatif

Parler de plurilogue nous conduit à évoquer la question du cadre participatif. Selon Goffman (1987)248, celui-ci désigne l’ensemble des rôles interlocutifs actualisés durant une interaction.

Le cadre participatif correspond au sens que chaque participant donne à la situation collective, c’est-à-dire notamment à la représentation que chacun a des objectifs du groupe, ainsi que des rôles et modes d’intervention qui y sont attendus. Chaque individu à la fois l’identifie et le construit par ses interventions et son attitude. Il est donc rarement prédéfini, et le plus souvent co-construit par les participants. Le cadre participatif est largement contraint par ce que Flahault (1978)249 a appelé les rapports de place. Cette dernière désigne la position sociale

revendiquée par une personne dans une interaction sociale donnée. Pour Bourdieu (1982)250,

toute interaction sociale constitue un lieu d’échanges et de circulation de capitaux symboliques. Selon ces deux approches, les individus poursuivent des buts socio-identitaires qui se surajoutent aux finalités de l’interaction. Goffman (1973)251 va plus loin en comparant

l’interaction sociale à une scène où les interactants se comportent comme des acteurs jouant un rôle. Il considère que la réalité est une construction sociale. Sa compréhension repose sur la sélection de cadres qui donnent un sens à chaque situation ou événement. Ces cadres sont multiples, et peuvent différer d’un individu à l’autre, leur fournissant alors une interprétation différente de la même situation. En interaction avec d'autres, la règle fondamentale que doit respecter tout individu est de préserver sa face et celle de ses partenaires. La face est « la valeur sociale positive qu'une personne revendique effectivement à travers une ligne d'action que les autres supposent qu'elle a adoptée au cours d'un contact particulier » (Goffman, 1974 : 9)252.

248 E. Goffman, Façons de parler, Paris, Minuit, 1987. 249 F. Flahault, La parole intermédiaire, Paris, Seuil, 1978. 250 P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.

251 E. Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne (2). Les relations en public, Paris, Minuit, 1973. 252 E. Goffman, Les rites d'interaction, Paris, Minuit, 1974.

Pour l’auteur, l’image de chaque interactant est exposée à l’autre pour défendre son propre territoire et pour proposer une image de soi valorisante narcissique (face négative et positive chez Brown et Levinson)253. Un travail de figuration assure le respect de sa face et celle des

autres, évitant de les compromettre : c'est le tact, le savoir-vivre ou encore la diplomatie. Le comportement de l’acteur manifeste la maîtrise du rituel et le degré de socialisation. La fonction du rituel consiste à faciliter le rapprochement avec le minimum de risques pour la « face » des interactants. Vion affirme ainsi que « chaque interaction, jusqu’à la plus banale conversation, est un lieu où chacun remet en jeu sa face et des éléments de son identité » (2000 : 76)254.

L’implicite

Il faut noter l’importance que prend l’implicite et le présupposé dans les interactions asynchrones, où la modalité de présence est celle d’échanges de messages par courrier électronique, avec un « ici et maintenant » différents pour chacun des intervenants.

« Il est clair que chaque participant entre dans une situation sociale en portant une biographie déjà riche d’interactions passées avec les autres participants – ou tout du moins avec des participants du même type ; de même qu’il vient avec un grand assortiment de présuppositions culturelles qu’il présume partagées » (Goffman, 1988)255.

Le savoir partagé des participants à la conversation n’est pas directement accessible à l’analyste à travers l’examen des marques explicitement présentes dans le texte. En effet, « le locuteur communique à l’auditeur davantage qu’il ne dit effectivement en prenant appui sur l’information d’arrière plan, à la fois linguistique et non linguistique, qu’ils ont en commun, ainsi que sur les capacités de rationalité et d’inférence de l’auditeur » (Searle, 1979 : 73)256.

Le savoir partagé représente une sorte de macrocontexte de l’énoncé car il englobe tout le discours précédent, ainsi que la situation linguistique et culturelle du locuteur. Il comprend des éléments de deux types : l’histoire conversationnelle et les éléments de contexte immédiat.

253 P. Brown, S.-C. Levinson, Politeness : Some Universals in Language Usage, Cambridge University Press, 1987. Studies in Interactional Sociolinguistics, n° 4.

254 R. Vion, La communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette supérieur, 2000.

255 E. Goffman, L’ordre de l’interaction, In Y. Winkin (ed.) Les moments et leurs hommes, Paris, Seuil, 1988, pp. 186-230.

256 J.-R. Searle, Sens et expression. Études de théorie des actes de langage. Paris, Minuit, 1979. Collection Le sens commun.

L’histoire conversationnelle renvoie à l’ensemble des échanges ayant déjà eu lieu, cette histoire est rappelée par des appels à l’exploration des archives pour consulter des réponses à des questions récurrentes comme celle ici évoquée des manuels scolaires ou pour une demande d’aide pour retrouver un échange d’information (second exemple).

METIER : gestion des manuels scolaires au cdi

La gestion de ces satanés "manuels scolaires" est une affaire collective au sein d'un établissement. Elle regarde les services d'intendance (intendant et agents), la Vie scolaire (CPE qui établissent le planning et les AED) , les profs principaux... et le professeur documentaliste responsable du CDI. Chacun a un rôle dans l'opération. Questions à notre collègue Patrick : 1/ n'a-t-il pas déjà exploré les archives de la liste qui surabondent sur ce sujet numéro un des préoccupations parasites, un peu partout ? […]

QUEST : Droit d'image et illustration d'une exposition

Bonjour, Je ne retrouve pas dans les archives de la liste, mais c'est sûr que le sujet a déjà été abordé... Excusez-moi donc de re-soulever le problème : pour une exposition destinée à être vue uniquement par les élèves et les profs de l'établissement, quels sont les droits liés à l'utilisation d'images pour illustrer des panneaux d'expo ? […]

Selon Sperber et Wilson « communiquer, c’est produire et interpréter des indices » (1989 : 13)257. Il y a communication lorsqu’un individu cherche à réaliser une intention

communicative. Dans leur théorie de la pertinence, cette notion est relative aux coûts et effets cognitifs. Le coût est l’effort nécessaire à l’interprétation. Et l’effet cognitif d’une proposition dans un contexte donné est l’ensemble de propositions que l’on peut inférer d’elle quand elle est jointe à un contexte. Le langage est porteur d’indices permettant d’inférer, c’est-à-dire de faire des hypothèses interprétatives sur les intentions de celui qui parle. « Nous appellerons environnement cognitif mutuel tout environnement cognitif partagé dans lequel se manifeste l’identité des individus qui partagent cet environnement » (Sperber et Wilson, 1989 : 70). Le thème de l’implicite est traité par Kerbrat-Orecchioni (1996)258 dans son ouvrage sur le sujet.

Une partie de cet essai est consacrée à l’examen de la genèse et du décodage des contenus implicites, étroitement liées aux compétences des sujets parlants. Le locuteur opte pour une expression implicite lorsqu’il « ne peut pas, pour des raisons de convenance, utiliser l’expression directe. Il recourt alors à la formule implicite pour conjurer l’existence de certains tabous » (1996 : 277), ou pour « atténuer cette menace que constituent les F.T.A.259

pour les faces négatives et positives du destinataire du message » (1996 : 280).

257 D. Sperber, D. Wilson, La pertinence : communication et cognition, Paris, Minuit, 1989. 258 C. Kerbrat-Orecchioni, L'implicite, Paris, Armand Colin, 1996.