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DEUXIEME PARTIE

1. INDEXATION MATIERE ET THEMATIQUE ARTISTIQUE

1.3. SENS ET NOTION DE THEME DANS LE DISCOURS SUR L'ART CONTEMPORAIN

1.3.1.4. THEME, SUJET ET MOTIF

Le deuxième emploi relevé confond les synonymes "thème" et "sujet". Sur ce point, les auteurs paraissent suivre les

dictionnaires qui eux non plus n'établissent pas de

distinctions claires.

17 Dans l'ordre des citations : Jean-Louis PRADEL, p. 145 ; Claude GINTZ, p. 180 ; Christian BERNARD, p.256 ; Catherine STRASSER, p.285.

Exemples de définitions (mots graissés et soulignés par nous) :

"Thème : sujet, matière, proposition que l'on entreprend de traiter dans un ouvrage, un discours.

Sujet : ce qui donne lieu à la réflexion, à la discussion; ce qui constitue le thème principal d'une œuvre intellectuelle, artistique."

(Dictionnaire Hachette de la langue française, 1980).

"Thème : sujet, proposition que l'on entreprend de prouver ou de traiter.

Sujet : matière sur laquelle on compose, on écrit, on parle, on peint."

(Littré en 10/18, 1984).

"Thème : sujet, idée, proposition qu'on développe […]. Par analogie Thème de composition d'un peintre.

Sujet : ce qui est soumis à l'esprit, à la pensée; ce sur quoi s'exerce la réflexion […]. Ce qui est représenté ou évoqué dans une œuvre graphique, plastique […]. Sujet de tableau. Voir Motif. Etude des sujets : iconographie.

(Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de

la langue française, 1989).

"Thème : sujet, idée sur lesquels portent une réflexion, un discours, une œuvre, autour desquels s'organise une action. Sujet : matière sur laquelle on parle, on écrit, on compose." (Dictionnaire des noms communs.Larousse, 1993).

Tableau comparatif des mots associés :

THEME associé à SUJET associé à

sujet (4 fois) thème (1 fois)

proposition (3 fois) matière (2 fois)

idée (2 fois) ce qui est soumis à la reflexion (2 fois)

matière (1 fois) ce qui est soumis à la discussion (1 fois)

ce qui est soumis à l'esprit (1 fois) ce qui est soumis à la pensée (1 fois) ce qui est représenté (1 fois)

De son côté, le Vocabulaire d'esthétique ne donne pas de précision définitive :

"Thème : Étymologiquement, chose posée ; en particulier, ce qui est posé comme point de départ, motif, matière, pour un travail développé.

Sujet : Le sujet d'une œuvre d'art : on appelle ici sujet le thème sur lequel travaille un écrivain, un artiste, un compositeur. […] Le mot de sujet est employé plutôt que celui de motif, de thème, quand on se réfère surtout à un contenu évènementiel, et non à l'idée d'une forme artistique..."18

Si l'on peut observer une tendance à la réversibilité des définitions19 : "le thème est un sujet et le sujet est un thème", qui semble conforter la synonymie, on peut aussi, à

partir du tableau, repérer deux types de relations

associatives préférentielles, à la fois sémantiques et syntagmatiques, qui, elles, ne correspondent pas tout à fait à des substitutions synonymiques. Les tournures périphrastiques utilisées dans la définition de sujet, semblent vouloir éviter

18 SOURIAU, Etienne, Vocabulaire d'esthétique, sous la dir. d'Anne Souriau, Paris : Presses Universitaires de France, 1990, 1415 p.

19 Tendance confirmée dans LERCHER, Alain, Les mots de la philosophie, Paris : Belin, 1987, coll. Le français retrouvé ; 11, p. 318 : "Dans un sens très proche, le sujet d'un roman, d'un film, d'une thèse, c'est ce qui est raconté, exposé, le thème". Mais, plus loin, l'auteur remarque : "...si l'on regarde l'étymologie, les termes sujet et substance sont presque synonymes". Ce qui va dans le sens des observations ultérieures.

le mot matière (ou objet) utilisées par ailleurs, mais le démonstratif ce (objet, matière, chose) y renvoie d'une autre manière.

Nous pourrions donc établir que :

thème est plutôt associé à sujet sujet est plutôt associé à matière.

De fait, il est difficile de départager selon des critères étymologiques (théma, en grec : ce qui est posé, proposé ; subjectum, en latin : ce qui est présenté, soumis, subordonné) la pertinence d'un mot par rapport à l'autre en fonction des emplois. Seuls, des critères d'usage peuvent nous aider à repérer des distinctions. Ils confirmeront sous une autre forme la gradation que les définitions des dictionnaires impliquaient.

Dans les textes étudiés, sujet sert plutôt à nommer des entités précises, se rapportant à quelque chose qui est, ou devrait être là :

-"[…] véracité qui dénote chez leur auteur une longue

familiarité avec son sujet..."20

-"Ils contiennent […] une photographie noir et blanc au sujet

incertain (morceau de ciel ? Vue d'avion ?)..."21

-"Choisir un sujet aussi intemporel qu'un paysage..."22

Le dernier exemple est significatif de la préférence donnée à sujet plutôt qu'à thème lorsqu'il est fait allusion à des données concrètes ; ici, en raison de la référence élective à "un paysage" : un paysage donné, et non le genre "paysage". S'il s'était agi du genre, la phrase aurait pu devenir : "Choisir un thème aussi intemporel que le paysage...". De même lorsqu'il est question des "sujets

incertains" dans l'exemple précédent, on perçoit qu'ils font

référence à des figures qui auraient pu s'incarner dans des représentations effectives. Quant à l'emploi du mot dans

20 CLAIR, Jean, Art en France, op. cit., p. 85

21 MILLET, Catherine, L'art contemporain en France, op. cit., p.263 22 Id., ibid., p. 214

"longue familiarité avec son sujet", il s'intègre à une tournure qui semble appliquer une loi d'usage : sujet se rapporte plutôt à ce qui est proche, concret et précis. Par corrélation, on pourra ajouter que thème s'applique plutôt à ce qui est extérieur, abstrait et général. Ces acceptions se retrouvent dans le Thesaurus iconographique23 où sont données les définitions suivantes :

"Sujet : représentation particulière identifiable, décrite à

l'aide d'un ou de plusieurs noms propres

Thème : représentation dont la signification est générale".

Sans appliquer à la lettre le principe de la description par nom propre sous le sujet, on peut inférer de l'ensemble des emplois que, selon l'extension de la catégorie choisie comme point de départ, il est possible d'établir par exemple que telle œuvre se réfère :

au thème de la nature avec pour sujet le paysage au thème du paysage avec pour sujet un verger au thème du verger avec pour sujet des cerisiers au thème de l'Antiquité avec pour sujet des ruines au thème des ruines avec pour sujet un chapiteau au thème du travail avec pour sujet un ouvrier au thème de l'ouvrier avec pour sujet tel métier au thème du portrait avec pour sujet telle personne ...etc.

Néanmoins, on parlera des thèmes du paysage, du verger, du cerisier, de telle personnalité, de la ruine, etc. Les deux mots semblent donc pouvoir se hiérarchiser quand le contexte en définit les règles sémantiques, mais être utilisés comme des synonymes hors de ce cadre. Entre "thème" et "sujet" existerait donc le même rapport qu'entre "genre" et "type", l'un et l'autre pouvant se hiérarchiser en catégorie générale

et catégorie spécifique, comme servir à signaler

indifféremment des catégories globales ou précisées.

Ces variations terminologiques sur les catégories touchent également le couple thème/motif. Georges ROQUE, en rappelant les acceptions de motif : "1) sujet de tableau ; 2)

ornement isolé ou répété, servant de thème décoratif",

souligne que le terme s'applique indifféremment, à un "visage

reconnaissable" et à une "structure itérative". Il ajoute

qu'il peut "servir de charnière […] entre le sujet figuré et

l'ornement abstrait, entre la figure et le fond, entre l'aspect statique et paradigmatique du motif-sujet et l'aspect dynamique, syntagmatique, périodique, rythmique, du motif décoratif". Sa démonstration, guidée par l'opposition du

thème, qui s'appliquerait à "l'aspect iconique", contre le motif, qui "semble se prêter plus volontiers à une analyse du

niveau plastique", débouche sur des remarques où on relève la

difficulté de donner une valeur absolue à chacun des termes. Il revient sur le thème en indiquant qu'il "pouvait être lui

aussi défini par des critères formels..." et sur le motif en

prévenant qu'il est "hautement souhaitable de ne pas cantonner

l'analyse du motif dans un rôle purement 'formel'"24.

Que retenir de ce chassé-croisé des sens sinon qu'un motif peut être, lui aussi, un sujet ou un thème appliqué à toutes sortes de niveaux et de formes25. Ainsi, nous retrouvons la précaution méthodologique de Michel BERNARD, dictée par le constat de la variabilité des définitions et des usages. Si le mot thème, tel qu'il est employé en documentation, a des effets attractifs sur les études en thématique, c'est parce qu'il reste suffisamment ouvert pour couvrir ou recouper d'autres notions.

24 Les citations sont extraites de l'article de Georges ROQUES, Le peintre et ses motifs, Communications, "Variations sur le thème", n°47, 1988, Paris : Seuil, p. 143-144.

25 Problème également souligné par Claude BREMOND : "Sans doute le motif est-il plus concret, le thème plus abstrait, mais les formes les plus concrètes du thème rejoignent les formes les plus abstraites du motif sans solution de continuité". Dans : Concept et thème, Poétique, n°64, nov. 1985, p. 417, note 2.