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DOCUMENTATION ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE

Parmi les aspects synthétisés par Bernadette SEIBEL pour caractériser la fonction du bibliothécaire-documentaliste, il en est un qui se détache : "Son point d'honneur, c'est le déchiffrement

d'une énigme […], la compétence du bibliothécaire réside dans sa capacité à changer de registre culturel pour traduire la demande en un langage codé et «réduire», à tous les sens du terme, la distance matérielle, intellectuelle ou socioculturelle qui sépare la masse

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documentaire de l'utilisateur"28. La réduction dont il est question

peut prendre plusieurs formes. Elle passe par la collecte et la diffusion sélective des informations, parfois par l'animation ou des politiques d'acquisition en concertation avec les intéressés, parfois par l'initiation, mais au quotidien, elle concerne principalement les demandes spécifiques des usagers ; le déchiffrement des énigmes29.

Des souvenirs vagues du demandeur qui souhaiterait retrouver tel livre à couverture bleue parlant, dans un chapitre, de tatouages, aux traductions à opérer sur un nom mal entendu ou des mots mal compris ("Vauchenberg" pour Rauschenberg, Figuration libre pour Nouvelle Figuration, Nouveau réalisme pour Nouvelle objectivité,...etc.) ; des pensées confuses d'un usager sur la photographie à qui le documentaliste conseille de quitter un moment les manuels techniques pour des écrits de photographes, aux théories abruptes de tel étudiant sur le geste "sculpto-architectural" qui se voit proposé, pour modérer ses ardeurs, le Contrat naturel de Michel Serres ; d'une question étrangère au monde et au vocabulaire du documentaliste qui devra à son tour s'informer pour tenter de la comprendre, à des demandes tellement proches de ses propres centres d'intérêts qu'il lui faudra se contenir pour ne pas s'y consacrer plus que de raison, la médiation, en effet, n'est pas seulement la

28 SEIBEL, Bernadette, Au nom du livre : analyse sociale d'une profession, les bibliothécaires, Paris : La Documentation française, 1988, p. 101. Elle poursuit en précisant : "[…] Le bibliographe contrôle en effet dans la médiation le passage à l'explicite, à la représentation, de l'expérience ordinaire ou savante du demandeur; il opère leur traduction en explicite, formalise, mots ou concepts, qui sont plus ou moins éloignés, selon les cas, de l'expérience propre du demandeur, de ce qu'il sait déjà mais n'ose pas ou ne sait pas se dire", p. 102.

29 Nicole BELLIER, Conservateur chargée du service de prêt à la Bibliothèque nationale de France, en donne une liste assez fournie et "croustillante" à propos des références bibliographiques, dans : Comment obtenir les documents qu'on ne possède pas : le bibliographe mène l'enquête, Bulletin d'informations de l'A.B.F., n° 163, 2ème trim. 1994, p. 164-166.

réduction d'une distance matérielle mais aussi une opération, sur fond psycho-socio-culturel, d'échange et d'écoute30.

Et ceci, avec des publics diversifiés, débutants ou confirmés, d'étudiants, d'enseignants, de chercheurs, de professionnels, ou d'amateurs, d'origines sociales et d'âges différents, définissant avec plus ou moins de clarté le but de leurs recherches, exprimant des demandes sans formaliser les questions ou enfin posant des questions fermées dont il faudra découvrir les besoins qui les motivaient afin de les réorienter.

Aussi, sans partager l'idée de Ghislaine CHARTRON selon laquelle il existerait une information grand-public qui se limiterait à l'utilisation d'un "canal à sens unique", nous la rejoignons dans sa description d'une information spécialisée utilisant un canal de communication "à double sens, où l'utilisateur

peut orienter le dialogue en fonction de sa problématique"31. Sa

distinction n'est pas vérifiable quand elle la "distribue" selon deux types de public ; les deux canaux coexistant pour chacun des types.

D'ailleurs, si l'on connaît assez bien les comportements des usagers rapportés à tel ou tel type de lieu documentaire, on mesure encore mal leurs comportements adaptés aux différents services qu'ils fréquentent. A l'image d'une sociologie qui tente de découvrir les strates et les facettes d'une même personne dans ses différentes implications sociales, il faudrait étudier combien de "lecteurs" et "d'usagers" se rencontrent en un même individu : ici familier, donc plus enclin à établir avec le professionnel un canal

30 Les résultats d'un sondage sur les activités préférées des professionnels des bibliothèques spécialisées placent les activités d'acquisition (55%), d'orientation des lecteurs (55%), de catalogage- matières (37%) et de bibliographie (37%) parmi les premières. Ces choix sont relativement proches des activités exercées : activités d'acquisition (43%), orientation des lecteurs (77%), catalogage- matières (49%), bibliographie (41%). Dans SEIBEL, Bernadette, op. cit., p. 121-126.

31 CHARTRON, Ghislaine, De l'information spécialisée à l'information élaborée : problèmes de modélisation. In Congrès National des Sciences de l'Information et de la Communication (8 ; 1992 ; Lille), Les nouveaux espaces de l'information et de la communication, p.349-361.

à double sens, là étranger, donc plus dépendant d'un canal à sens unique. Au centre de ces processus relationnels il y a donc l'assistance individuelle qui, dans le contexte d'établissements d'enseignement, peut se compléter d'une forte composante pédagogique. Une aide, un conseil, une formation dont l'enjeu est l'information.

Aller ou retourner vers l'information, c'est être

inévitablement renvoyé aux outils documentaires appropriés, aux outils à parfaire, aux outils manquants. Ce deuxième aspect quotidien des pratiques, concerne les rouages de la recherche documentaire qui suppose des interventions, ponctuelles ou planifiées, ayant pour but l'orientation et la formation des usagers. De l'initiation au perfectionnement, le "déchiffrement d'une énigme" consiste alors à mettre en évidence les liens qui unissent le savoir à ses instruments.

En matière d'art contemporain, la présentation des sources et des outils32 peut se résumer en quelques points significatifs : a) Typologie des sources générales d'information primaire : - types de documents : supports, canaux, groupes, catégories - natures d'information : textuelle, iconique, audio-visuelle - localisation et transmission : organismes, réseaux

b) Traitement documentaire : - dans l'information primaire

- élaboration d'information secondaire et tertiaire c) Typologie des questions :

- qui : sur qui porte la recherche : auteur, artiste...

- quoi : quel sujet, quel type d'information (une référence, un document...)

d) Ressources du centre documentaire :

- par comparaison aux sources générales (mêmes catégories qu'en a)

32 Sources : documents contenant des informations exploitables par un utilisateur. Outils : systèmes forgés par des professionnels pour retrouver l'information contenue dans les sources. Ressources : documents collectés, organisés, traités dans une configuration particulière par les centres documentaires.

- liens entre sources générales et traitement documentaire "local" (couverture et recoupement)

e) Orientation vers les sources et les ressources selon l'information recherchée :

- où : dans quel document trouver ce qui est recherché - comment : comment rechercher et retrouver.

L'ordre ne sera pas nécessairement celui-là : on peut en effet supposer qu'une simple présentation, ou un véritable programme de formation, passera d'abord par un inventaire des différentes ressources d'un centre documentaire donné, et que l'inventaire des sources générales interviendra au moment de l'orientation. On peut aussi commencer par une typologie des questions. Mais si l'on envisage un tel cas, il faudra estimer ce que le demandeur pourrait trouver "idéalement" dans la masse globale de l'information, donc dans les sources, pour ensuite, soit redescendre vers des

possibilités accessibles ou médianes, soit avertir des

impossibilités.