• Aucun résultat trouvé

UN OUTIL DE RECHERCHE DOCUMENTAIRE : L'INDEX, HISTOIRE, FONCTION ET DEFINITION

2. LA DOCUMENTATION AU SERVICE DE L'HISTOIRE DES ARTS PLASTIQUES CONTEMPORAINS

2.5. UN OUTIL DE RECHERCHE DOCUMENTAIRE : L'INDEX, HISTOIRE, FONCTION ET DEFINITION

L'index n'est pas un outil anodin, on connaît sa valeur instrumentale en documentation, celle que nous analyserons, mais elle n'est pas la seule. Paul OTLET a noté ses apports bibliographiques : "Les tables des matières et les index constituent

en un certain sens des instruments de recherches bibliographiques et comme tels forment des compléments aux Bibliographies. Il en est ainsi surtout des tables et index des périodiques"84. Ne serait-ce

qu'à travers les noms d'artistes qu'il recense dans les livres de synthèse sur l'art contemporain, il pourrait orienter, par exemple, des études s'inspirant du modèle "scientométrique" (peut-être faudrait-il dire "médiatométrique") sur les artistes qui parviennent sur la "scène" de l'Histoire et ceux qui en sont écartés, au gré des textes. Les travaux d'Annie VERGER n'ont-ils pas trouvé dans l'index

83 Citons en particulier la thèse éditée de Michel BERNARD, De quoi parle ce livre ? …, op. cit, et la bibliographie qu'il donne sur les recherches en thématique littéraire. Quelques collections éditoriales également sont l'émanation de ces recherches. Exemple, chez Bordas, "Recueils et études thématiques", sous la dir. de Georges Décote (L'aventure, L'exotisme, La folie, Le mythe du héros, La Femme).

et la liste des matériaux de choix : les "palmarès" d'artistes, publiés par Connaissance des arts entre 1955 et 1976, dans un cas, et les listes d'expositions recensées dans les catalogues, une "bibliographie des biographies", dans l'autre85 ?

Avant d'en venir aux questions que l'index soulève dans les limites de notre étude, sur le domaine précis des thèmes, un bref historique rappellera sa fonction générale.

Comme l'ont étudié Mary A. et Richard H. ROUSE86, pour l'Europe occidentale, les prémices de ce que nous appelons maintenant "appareil documentaire" d'un texte se sont confirmées aux débuts de l'ère chrétienne "autour" des Ecritures. Avec, d'une part, des tables de matières, ou Capitulations, qui, à l'instar de tables analytiques détaillées, permettaient de retrouver un sujet (capita) dans la Bible, et d'autre part les Canons, conçus par l'évêque Grec

85 VERGER, Annie, L'art d'estimer l'art : comment classer l'incomparable, Actes de la recherche en sciences sociales, n°67/68, mars 1987, p. 105-121, et, Le champ des avant-gardes, Actes de la recherche en sciences sociales, n°88, juin 1991, p. 2-40. Ses études, prenant appui sur la documentation publiée à propos des artistes contemporains, débouchent sur les fonctionnements du champ artistique. On pourrait nommer cette perspective "une sociologie de la visibilité des artistes".

86 ROUSE, Mary A. et Richard H., La naissance des index, in Histoire de l'édition française, tome 1, p.77-85. Ces auteurs situent le phénomène au 3e siècle ap. J.C. Mais avant ces formes il faut remonter à l'Antiquité grecque. Paul OTLET, op. cit., p. 119, signale en particulier "Les premiers qui imaginèrent l'index alphabétique furent les Grecs (syllabikê, syllabus) comme le rapporte M. Tullius à Atticus '[…] excogitarunt sibi indice alphabetaris ordine digestos’ "

-D'autres développements dans : Henri MESCHONNIC, Des mots et des nombres : dictionnaires, encyclopédies, grammaires, nomenclatures, Paris : Hatier, 1991, coll. Brèves littérature, p. 40-47.

-Dans l'article "Dictionnaire" confié à ETIEMBLE et Bernard QUEMADA, in Encyclopaedia universalis, éd. 1993, Corpus, vol. 7, p.387-390, où ils rappellent les antécédents antiques.

-Mais pour approfondir le sujet, son "archéologie", et comprendre notamment les liens institués entre les premiers systèmes d'écriture et le classement de l'information sous forme de listes, il y a l'ouvrage de GOODY, Jack, La raison graphique : la domestication de la pensée sauvage (1977, trad. française 1979), Paris : Les Ed. de Minuit, 1993, coll. Le sens commun, en particulier dans le chap. 5, les p.169-196.

Eusèbe de Césarée, qui mettaient en parallèle des épisodes évangéliques dans des tables de quatre colonnes. Des nécessités exégétiques orientèrent ainsi l'adjonction au texte d'un système de repères.

Mais un facteur important, dans la mise au point d'outils destinés à localiser les passages d'un texte, fut une amélioration technique : "L'innovation la plus importante de l'histoire de

l'érudition biblique - et donc, de l'histoire de tous les outils de recherche - ne fut pas une invention mais une modification dans la présentation physique de l'ouvrage manuscrit : le passage du rouleau de l'Antiquité au codex, assemblage de feuilles ou pages cousues"87.

C'est lentement, cependant, que ces outils88 se

perfectionnèrent. Mis à part un dictionnaire conçu par Papias au milieu du 11e siècle, le principe d'un classement alphabétique des termes ne se systématisa qu'au 12e siècle, dans des ouvrages destinés à composer des sermons où les prédicateurs pouvaient puiser des exemples. Une nouvelle organisation des références, à la fois conventionnelle et logique, traduira un changement dans l'approche du texte dont nous sommes les héritiers. Le 13e siècle enfin, vit naître la Concordance des Ecritures89, et dans le même temps des

87 ROUSE, Mary A. et Richard H., art. cit., p.77

88 Id., ibid., p.78 : "Pierre Lombard [XIIème s.] tient le langage des nouveaux instruments de travail [souligné par les auteurs], que l'on retrouve dans le prologue de presque tout ce genre d'ouvrages rédigés du XIIème au XIVème siècle. Nous pensons à des expressions telles que sine labore, facilius occurrere, presto habere, citius ou même statim invenire".

89 Oeuvre des Dominicains de Saint-Jacques, à Paris, sous la direction de Hugues de Saint-Cher. Il n'est pas fortuit qu'Alain DE LIBERA aborde la problématique de l'index dans un article consacrée à la pensée médiévale [souligné par nous] : "...sorte de mémoire externe matérialisée […]. Forme médiévale de l'index, la Concordance d'Hugues de Saint-Cher correspond à la fois à un moment dans l'histoire du livre et à une phase d'épanouissement dans la recherche exégétique et théologique. Par rapport à l'époque carolingienne, on est passé d'une synopsis des phrases à une concordance des mots. Travaillant à partir d'unités de mots, le théologien du XIIIème siècle se trouve face à une matière éclatée dont il peut en droit explorer toute les possibilités

premiers index alphabétiques. L'index alphabétique a introduit l'idée, en particulier, que le texte n'était plus l'organisation immuable d'un ordre à mémoriser mais une matière dont l'utilisateur pouvait disposer personnellement. Si la liberté intellectuelle du lecteur n'était pas encore un fait acquis, c'était, pour le moins, un premier pas vers la reconnaissance de son indépendance cognitive. Henri MESCHONNIC a souligné cet effet paradoxal de l'ordre alphabétique : "Curieusement, c'est le développement de la

théologie, au XIIème siècle, qui amène ce qui va devenir un instrument d'anti-théologie"90. Ce gain d'autonomie, on le mesure

encore dans la pratique courante des usagers d'une bibliothèque ou d'un centre de documentation : alors qu'ils rencontrent quelques difficultés à comprendre les hiérarchisations d'une classification systématique du savoir, ils comprennent rapidement le fonctionnement d'un fichier alphabétique. Parce qu'il permet d'isoler des séquences sans faire appel chaque fois à la complexité du contexte ("le travail de la mémoire ne consistera plus qu'à connaître par cœur l'ordre alphabétique"91), et qu'il sait démêler, dans les procédures de la connaissance, l'unité de l'ensemble, l'ordre alphabétique s'est imposé comme un opérateur efficace.

S'appuyant sur les travaux de Jack GOODY92, Henri HUDRISIER l'a exprimé à son tour : "L'émergence de la science moderne n'a pu

voir le jour que grâce à l'organisation tabulaire de l'écriture - la page écrite ou imprimée -, dont l'aboutissement fut la table des

de recombinaison et d'entre-expression […]. L'outil matériel devient ici outil de pensée : l'index n'est pas l'instrument neutre d'une lecture érudite trouvant d'elle-même le fil du sens, c'est un opérateur de lecture qui multiplie le sens des mots en disposant la totalité du champ de ses occurrences", dans l'article "Médiévale (Pensée)", in Encyclopaedia Universalis, éd. 1992, Corpus, vol. 14, p.843.

90 MESCHONNIC, Henri, Des mots et des nombres, op. cit., p.42.

91 Réflexion de Daniel BOORSTEIN, extraite de Les découvreurs, Paris : Ed. Seghers, 1986, citée dans Dossiers de l'audiovisuel, n°45, 1992, p.89.

matières, l'index, puis la banque de données moderne"93. C'est par

lui véritablement que l'on peut s'orienter dans les dépôts du savoir en fonction de questions préalables, ou en "butinant" sur ses listes (car au butinage sur les rayons on peut ajouter cette autre forme de butinage sur les mots). Index signifie en Latin, selon « le Gaffiot » : "qui indique ; catalogue, liste, table ; titre d'un livre ; inscription" mais aussi..."pierre de touche". L'étymologie confirme ici sa fonction de rassemblement de données, de marquage et de balisage.

Plus récemment, Pierre LEVY94, en rappelant que l'imprimerie a repris bien des "traits d'interface stabilisés avant le XVème siècle"95, a résumé les pratiques cognitives autorisées par la banalisation du paratexte et la formalisation des parties du livre : "La notion d'interface […] ne doit pas être limitée aux techniques

de communication contemporaines […]. Tous ces dispositifs logiques, classificatoires et spatiaux se soutiennent les uns les autres au sein d'une structure admirablement systématique : pas de tables des matières sans chapitres nettement découpés et annoncés, pas de tables des matières, d'index, de renvois à d'autres parties du texte, ni de références précises à d'autres livres sans pages uniformément numérotées. Nous sommes maintenant tellement habitués à cette interface que nous n'y prenons plus garde. Mais au moment où elle fut inventée, elle ouvrit un tout autre rapport au texte et à l'écriture que celui qui avait cours avec le manuscrit : possibilité

93 HUDRISIER, Henri, L'iconothèque : documentation audiovisuelle et banques d'images, op. cit., p. 164.

94 LEVY, Pierre, Les technologies de l'intelligence : l'avenir de la pensée à l'ère informatique (1990), Paris : Ed du Seuil, 1993, coll. Points. Sciences ; S 90, p. 39. Il dit plus loin, p. 40 : "Sur le territoire quadrillé du livre ou de la bibliothèque, on a besoin des médiations et des cartes que sont l'index, la table des matières ou le fichier".

95 Grâce au manuscrit et à l'écriture en général. Jack GOODY l'a observé : "J'ai noté que, sans écriture, il est difficile d'isoler un segment du discours humain (les mathématiques par exemple) pour le soumettre à une analyse aussi individuelle, intensive, abstraite et critique que celle qu'autorisent des énoncés écrits", dans La raison graphique, op. cit., p.53.

de survol du contenu, d'accès non linéaire et sélectif au texte, de segmentation du savoir en modules, de branchements multiples sur une foule d'autres livres grâce aux notes de bas de page et aux bibliographies. C'est peut-être à de petits dispositifs «matériels» ou organisationnels, à certains modes de pliage ou d'enroulage des inscriptions que tiennent pour une large part les mutations du «savoir»".

Sans partager l'enthousiasme qui, dans la dernière phrase, fait découler "pour une large part les mutations du savoir" de "petits dispositifs matériels", comme si tout à coup les hommes avait déserté l'histoire, nous retrouvons dans ce passage, clairement exposés, des arguments précieux pour une approche documentologique.

Dans le même sens, les responsables de la numérisation à la Bibliothèque nationale de France96 ont mentionné tout ce que l'hypertexte actuel doit à ces perfectionnements anciens que l'habitude, en effet, nous incline à regarder comme des procédés pratiques ordinaires, mais qui renvoient aussi à cette catégorie plus abstraite, mise en lumière par P. LEVY, recouvrant un ensemble de phénomènes, et susceptible de dégager le trait pertinent de leur "mécanique" interne : l'"interface".

Tous ces moyens, et au premier chef, l'index alphabétique, ont contribué à vérifier que pour exister en tant que segment isolable, l'information doit être accompagnée ou doublée d'une autre forme. Ce fut l'écrit qui permit de segmenter l'oral, puis l'index confirma, après les titres, la séparation en parties et les tables de matières, la segmentation de l'écrit. Pour retrouver une qualité I d'information, on peut faire appel à la mémoire, à la prospection aléatoire ou à son voisin (!)..., mais on peut aussi passer par une qualité i qui est son substitut (son indice, son signe ou sa

96 MAIGNIEN, Yannick et WAGNEUR, Jean-Didier, Numérisation et nouvelles pratiques de lecture, Bulletin d'informations de l'Association des bibliothécaires français, n°167, 1995, p. 40 : "Lorsque les hypertextes automatisent des liens permettant une navigation dans des hyperdocuments, ils reprennent des procédés mis au point dès le Moyen-Age au travers des tables de concordances et des index".

marque). Ce sera, selon les cas, la fiche qui renvoie vers un titre, la cote d'un document, une liste de notices catalographiques, une section signalisée d'un centre de documentation, une icône graphique, un logiciel, telle lettre d'un dictionnaire, la pagination d'un livre, etc. Toutes formes qui ont en commun pour

fonction explicite de reconnaître de l'information par

l'intermédiaire du marquage ou de la traduction. Ainsi l'interface, que P. LEVY reconnaît comme une notion, pourrait rejoindre de plein droit la liste des concepts établie par Yves-François LE COADIC97, pour compléter ceux de citation et d'hypertexte. Comme la citation, l'hypertexte, la classification (mais encore des outils et des systèmes de références tels que le catalogue, la bibliographie cachée, la table des matières), l'index obéirait aussi au concept d'interface en ce qu'il trace les limites d'un contact, d'une relation préparée à cet effet, entre une information et son récepteur.

Cependant, il faut aborder ici une notion voisine. Le cadre notionnel de l'index ne peut, en effet, éviter ce que Gérard GENETTE a théorisé sous le nom de paratexte98. Bien que son étude soit centrée sur l'œuvre littéraire et n'aborde pas directement les questions de l'index ou de la table analytique des matières99, l'élargissement de ses observations à d'autres types de textes a été proposé par Jean MEYRIAT qui cite dans la catégorie du paratexte : "bibliographie […], tables, index et annexes"100.

97 LE COADIC, Yves-François, La science de l'information, op. cit., chap. V, p. 63-72.

98 Selon ses termes, le paratexte est lui aussi "éminemment transitionnel". Dans Seuils, Paris : Ed. du Seuil, 1987, coll. Poétique, p.293.

99 Il s'en tient à la table des matières qui pour lui est devenu un "instrument de rappel de l'appareil titulaire" plus qu'une table réelle des matières, id., ibid., p.292.

100 Sciences de l'écrit, p.419, pour conclure que "Beaucoup d'analyses seront nécessaires pour vérifier et préciser ces comportements et usages du paratexte...". Des approfondissements sur un aspect du paratexte : les notes des publications scientifiques, dans l'article

Les propos de GENETTE laissent entrevoir en effet qu'un "objet

aussi multiforme et tentaculaire" peut annexer "tout ce qui passe à sa portée"101. On le vérifie dans le cas de l'illustration annexée

au texte dont il dit qu'elle fait partie du paratexte102, comme le titre et la signature en sont des équivalents dans les arts plastiques103.

La documentation se trouve donc devant deux notions concurrentes qui demanderont à être précisées par l'usage. S'il semble plus logique de réserver le terme de paratexte aux parties d'un document telles que la préface, la dédicace, les notes des textes littéraires et ce que GENETTE nomme l'"épitexte public"104, il est en revanche moins fondé de l'appliquer à l'index des textes documentaires qui visent moins à "ajouter du sens" au texte qu'à créer, précisément, des interfaces d'accès au texte. Mais décréter que le paratexte ne serait qu'une des formes de l'interface pour conclure que l'index fait partie de la catégorie des interfaces épi- textuelles105 quand il est un instrument autonome, et des interfaces paratextuelles quand il est annexé au document,

de Yveline LEVY-PIARROUX, Les notes donnent le ton, EspaceTemps les Cahiers, n°47/48, 1991, p. 21-33.

101 GENETTE, Gérard, Seuils, op. cit., p.374

102 Ce qui complique au demeurant la nature du paratexte qui peut aussi être de l'image. Que devient dans ce cas la légende d'une illustration ? Est-elle aussi du paratexte, sans être différenciée de l'image, elle-même paratexte, ou du paratexte para-iconique ? Et que devient le texte accompagnant des planches, est-il dans un rapport paratextuel avec les planches ou les planches sont-elles le paratexte du texte ?

103 "Il est évident que d'autres arts, sinon tous, on un équivalent de notre paratexte : ainsi du titre en musique et dans les arts plastiques", Seuils, op. cit., p.374.

104 Annonces et présentations de livres dans la presse, entre autres, ibid., p. 316 et suiv.

105 Dans le cas des index référençant des images, il pourrait devenir une interface péri-iconique ou épi-iconique, mais là aussi nous préférerons la locution "appareil documentaire des illustrations" dans le cadre des documents imprimés.

changerait l'acception que GENETTE lui a donnée. On pourrait aussi réserver le terme d'interface au domaine de l'informatique, mais on a vu qu'un effet "rétroactif" de la notion tend à annexer les

dispositifs pré-informatiques, inventés pour les formes

codicologiques de l'écrit.

Les principales distinctions que nous pourrions formuler pour l'instant, seraient donc les suivantes : séparer l'index du paratexte, sauf dans le cas où il fait partie d'un dispositif littéraire ; parler d'index intégré, partie de l'appareil documentaire, pour l'index annexé au document et d'index séparé, partie des outils documentaires autonomes, pour les autres. Ces deux dernières catégories étant comprises dans des interfaces documentaires.